Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

à la Une

Al-Qaïda frappe l’Iran au Liban. L’autre guerre de Syrie

Point d’orgue d’une escalade sans précédent dans le bras de fer qui oppose Riyad à Téhéran. Le double attentat suicide qui a visé l’ambassade d’Iran à Beyrouth sanctionne la progression des troupes du président Bachar el-Assad sur le terrain. En entretenant le vide politique et sécuritaire du pays, les belligérants du conflit en Syrie ont fait du Liban le terrain de jeu privilégié de leur confrontation.
 

Le Liban est le théâtre de l’autre guerre de Syrie, une guerre en miroir inversé. Qui perd du terrain de l’autre côté de la frontière peut, ici, frapper l’ennemi. La victoire de l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah qui a repris pied dans la région-clé de Qalamoun, reliant Damas à Homs, offre au régime syrien la possibilité d’ouvrir un couloir stratégique avec les régions alaouites à l’ouest, et Alep au nord. Pour la rébellion armée, soutenue et financée par les pays du Golfe, qui se servait de cette région frontalière du Liban comme d’une base arrière, il s’agit d’une très lourde perte qui pourrait bien en appeler d’autres. Mardi, l’Iran a payé son retour en force sur la scène syrienne et internationale qui en a froissé plus d’un. L’accord sur les armes chimiques, parrainé par la Russie et les Etats-Unis, la reprise des négociations sur son programme nucléaire et l’horizon de la deuxième conférence de Genève ont redonné une légitimité à Téhéran qu’il a su mettre au service de ses alliés indéfectibles. Après avoir tenté de renverser Assad et avoir frappé le Hezbollah au cœur de ses bastions beyrouthins, c’est au tour de la tête pensante d’être visée.
L’ambassade d’Iran se situe dans le quartier de Bir Hassan qui abrite de nombreuses familles chiites ayant vécu en Afrique. Mardi, c’est également le Hezbollah qui est visé. L’attentat intervient, plusieurs semaines après une escalade verbale sans précédent, alimentée par le Courant du futur et le Hezbollah, contre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le dernier épisode en date a débuté sur les chapeaux de roue avec le discours enflammé prononcé de vive voix par Hassan Nasrallah auprès de ses fidèles venus célébrer Achoura. Rarement le secrétaire général n’était apparu aussi déterminé, aussi confiant et aussi péremptoire.
«Tout accord qui évite la guerre dans la région, Israël n’en veut pas. Il est regrettable que quelques pays arabes se tiennent aux côtés d’Israël dans ses choix meurtriers. Il est regrettable que Netanyahu soit le porte-parole de quelques pays arabes», a-t-il martelé. «Ces pays refusent toute solution politique qui arrête le bain de sang et la destruction de la Syrie. Ils s’opposent aussi fortement à tout accord entre l’Iran et les pays du monde», a-t-il ajouté en faisant allusion en premier lieu à l’Arabie saoudite «qui a recommandé au 14 mars de ne pas former un gouvernement au Liban et d’attendre les changements sur le terrain et leur victoire en Syrie». Nasrallah place clairement le royaume wahhabite dans le camp d’Israël, celui de l’ennemi. Que comprendre alors lorsque les dignitaires du Hezbollah sur place accusent Israël de l’attentat?
Il y a un mois, le prince Turki el-Fayçal, ancien responsable des services saoudiens de renseignement, affirmait que «le Liban est au bord de la guerre civile, le Hezbollah poursuivant la mise à exécution de son agenda». La virulence de ses accusations va sans doute de pair avec la solidarité affichée avec ses partenaires. «Nous avons deux alliés: l’Iran et la Syrie. Dites-moi: est-ce qu’un jour ils nous ont vendus? Nous ont-ils une fois déçus, poignardés dans le dos ou ont-ils conspiré contre nous? Dans les circonstances les plus difficiles, cela n’a jamais été le cas et nous sommes sûrs de cette alliance», allusion à l’inflexion de la position des Etats-Unis sur les dossiers syrien et iranien. Toutes ces provocations ont alimenté le terreau de la violence fomentée par les fondamentalistes.  

La boîte aux lettres
La thèse d’un groupuscule inhabituel fait son chemin au vu d’une autre donnée essentielle de l’attentat de mardi, son exécution confiée à des kamikazes. Une première – à l’exception de l’attentat contre l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, en 2005 – depuis la période de la guerre civile, qui ressemble étrangement aux attaques meurtrières qui avaient visé, il y a trente ans, les baraquements des marines américains et le poste militaire français du Drakkar. Il faut surtout noter que, contrairement aux derniers attentats qui ont frappé Dahié et Tripoli, les commanditaires n’ont pas utilisé de voiture piégée. Le mode opératoire très particulier du double attentat suicide est l’une des signatures propres à al-Qaïda. Preuve, si besoin en était, du vide sécuritaire qui paralyse le pays et du terreau privilégié qu’il constitue pour les groupuscules terroristes.
A cet attentat, Téhéran a réagi à plusieurs niveaux. L’ambassadeur Ghadanfar Rokn Abadi a prévenu: «Nous ne renoncerons pas à nos principes, nous ne changerons pas nos positions et nous en sommes d’ailleurs fiers». De Rome, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a affirmé que «le double attentat de Bir Hassan constitue une sonnette d’alarme qui s’adresse à nous tous. Ce qui s’est passé nous montre qu’il est nécessaire de traiter la question des extrémistes avec sérieux». Autre réaction, celle du porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Mordiya Afkham, qui a déclaré qu’Israël se tient derrière la double explosion de Bir Hassan et ajouté qu’il s’agit d’un «crime odieux qui montre la haine des sionistes et de leurs agents». Comme le Hezbollah, l’Iran établit un lien entre Israël et les jihadistes.
L’une des réactions marquantes est sans nul doute celle du président Michel Sleiman. «Le Liban ne permettra pas au terrorisme importé de détruire son tissu social et ne permettra pas aux parties étrangères de régler leur compte sur son sol». Le Premier ministre désigné, Tammam Salam, a déclaré: «Ce crime terroriste s’inscrit dans le cadre de la série de crimes et d’actes terroristes qui visent à porter atteinte à la stabilité et à l’unité nationale», ajoutant que «tous les leaders libanais sont appelés à contribuer à faire baisser la tension dans le pays en faisant preuve de responsabilité dans leurs discours politiques et en tenant aussi le Liban à l’écart de tout ce qui porte atteinte à sa stabilité et à sa sécurité». 


Julien Abi Ramia 

L’Occident condamne
Au nom des Etats-Unis, le secrétaire d’Etat, John Kerry, a condamné «avec force les attentats 
terroristes à la bombe, insensés et abjects, contre l’ambassade iranienne à Beyrouth». De son côté, la France a dénoncé «avec la plus grande fermeté l’attentat sanglant» et «réitéré son soutien au gouvernement libanais pour 
préserver l’unité nationale». A Londres, le Foreign Office a déploré «l’attaque terroriste choquante contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth qui a fait tant de pertes humaines».

Le 14 mars accuse
A l’issue de sa réunion hebdomadaire, au lendemain de l’attentat, la coalition du 14 mars a expliqué que «l’implication du 
Hezbollah dans les combats en Syrie par une volonté iranienne et la décision du régime de Bachar el-Assad de faire exploser le Liban, ont ouvert la voie au terrorisme». «Le parti qui veut impliquer le Liban dans des aventures doit savoir qu’il ne sera pas capable de contrôler les conséquences de ses actions», poursuit-elle, en allusion au Hezbollah présent en Syrie.
Par ailleurs, le leader du Courant du futur, Saad Hariri, a déclaré: «Cet acte terroriste, que nous condamnons pour des 
considérations aussi bien politiques, que morales ou humaines, devrait nous inciter à tenir le Liban à l’écart des tempêtes qui nous entourent et à épargner aux Libanais, toutes tendances ou origines confondues, les dangers de l’implication militaire dans la tragédie syrienne».

 

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