«Nul ne peut gouverner seul le pays, nul ne peut gouverner le pays en piétinant l’autre. La communication entre toutes les composantes libanaises est incontournable même si l’une ou l’autre remporte la victoire. Il est impossible de gouverner en l’absence de consensus». Akram Chéhayeb, député du Parti socialiste progressiste (PSP), ne mâche pas ses mots: dans la question électorale, tout le monde fait de la surenchère.
Vous avez lu l’esquisse du rapport soumis par la sous-Commission parlementaire au chef de l’Assemblée, Nabih Berry. Et après? Sera-t-il possible de dégager des dénominateurs communs?
Nous devons parvenir à des dénominateurs communs. Tel est le but de la sous-Commission composée des représentants de tous les blocs influents à la Chambre. L’essentiel est le consensus. Nous avons discuté des lignes principales des projets présentés, allant de celui proposé par le gouvernement aux autres transmis via certains députés. Mais nous n’avons pas exploré chaque loi en profondeur. Nous étions unanimes à dire que ces projets ne constituent pas la solution souhaitée, en l’absence de consensus entre les divers acteurs représentant les forces politiques, confessionnelles et communautaires – si je puis me permettre – c’est pourquoi nous devons nous remettre calmement ensemble pour discuter sérieusement des dénominateurs communs incontournables: premièrement, l’organisation des législatives dans les délais fixés; deuxièmement, un accord sur la loi électorale; troisièmement, un mode de scrutin équitable envers chacune des communautés en présence. A partir de ces constantes, nous nous remettrons à négocier, même s’il va falloir créer un chantier de travail quotidien jusqu’à la fin du mois de février.
Les députés Alain Aoun et Sami Gemayel ont invité le président Berry à fixer une date pour une réunion des Commissions conjointes et pour une séance plénière au Parlement, consacrée au vote.
Quel projet allons-nous voter? Le président Berry a été clair. Il ne convoquera la Chambre ou les Commissions conjointes qu’en cas d’entente. Cette entente est aujourd’hui inexistante. La loi dont parlent certains collègues, qui, d’après eux, aurait obtenu la majorité, n’a pas été soumise au vote; nous l’avons débattue. Le débat a montré que la loi en question bénéficiait de la faveur de trois à six personnes. Mais ce nombre concerne les priorités à mettre au programme des discussions. Ce n’est pas un vote.
Est-il possible que Walid Joumblatt finisse par approuver le projet amendé des 50 circonscriptions ou de la loi de 1960 sur laquelle viendront se greffer quelques amendements?
La position de Walid Bey est claire. Taëf constitue une base. Il appuie le Parlement aconfessionnel après la création du Sénat qui représentera les communautés. Libérons la vie politique à partir de Taëf dans une première étape, puis optons pour une loi capable de garantir l’égalité entre tous.
L’adoption par les Kataëb et les Forces libanaises du projet de loi orthodoxe équivaut à un règlement de compte avec Walid Bey, selon un site web. Etes-vous d’accord avec cette analyse?
Non. La vérité c’est que nous assistons à un festival de surenchères entre les diverses parties. Je ne comprends pas comment le gouvernement propose un projet de loi fondé sur la proportionnelle et prévoyant un découpage de treize circonscriptions sans qu’un seul membre du gouvernement ne le défende. C’est étrange! Par ailleurs, je sais que les Kataëb et les Forces libanaises, en collaboration avec le Moustaqbal, ont présenté un projet de scrutin majoritaire basé sur 50 circonscriptions, et ils ne l’ont pas défendu. Les principaux animateurs du festival des surenchères étaient le Courant patriotique libre (CPL) et les FL. Désolé, mais nous ne pouvons pas entraîner le pays dans les surenchères dans un but électoral! La loi électorale représente la vie politique du pays. Vous devez sauvegarder le pays quels que soient les gagnants ou les perdants… Le Hezbollah, qui appuie le projet orthodoxe et qui rejette ouvertement la fédération, a une attitude bizarre! Toute loi garantissant une majorité préalablement acquise à n’importe laquelle des deux fractions verticales en compétition ne sera pas soumise au Parlement.
Est-ce que le Hezbollah et le mouvement Amal savaient à l’avance que le projet orthodoxe ne passerait pas, mais ont voulu montrer qu’ils étaient contre la marginalisation des chrétiens?
C’est un avis personnel. Tout le monde surenchérissant sur tout le monde.
Certains analystes indiquent que Walid Bey pourrait mener les élections avec des listes indépendantes du 8 et du 14 mars dans le Chouf et la région de Aley.
C’est fort possible. L’essentiel est de sauvegarder les équilibres dans le pays. Peu importe qui remporte les élections. Aujourd’hui, la majorité issue des élections a-t-elle pu changer la réalité? Nul ne peut gouverner seul le pays, nul ne peut gouverner le pays en piétinant l’autre. La communication entre toutes les composantes libanaises est incontournable même si l’une ou l’autre remporte la victoire. Il est impossible de gouverner en l’absence de consensus.
Le député Sami Gemayel a répondu à Walid Joumblatt au sujet des surenchères, en lui disant qu’il fallait trouver des solutions au lieu de lancer des accusations.
Nous avons avancé des solutions dans le cadre de la sous-Commission. Elles débuteraient par l’application des accords de Taëf pour faire évoluer la vie politique et éviter la consécration des divisions. Cela passerait par: 1) La création d’un Sénat représentatif des communautés qui examinerait les grandes causes nationales et consoliderait la confiance entre les Libanais. 2) L’élection d’une Assemblée non confessionnelle pour affranchir l’exercice politique des contraintes confessionnelles. 3) L’adoption de la décentralisation administrative pour booster le développement rural et redonner un sens au développement équitable.
Au cas où le projet de loi orthodoxe serait adopté, allez-vous recourir à son invalidation?
Le projet ne sera pas adopté au Parlement. Il ne sera pas proposé s’il ne fait pas l’unanimité. Le président Berry a été catégorique. Il l’a dit et répété. Que ceux qui veulent le projet orthodoxe nous pardonnent de ne pas être d’accord: le patriarche des grecs-orthodoxes qui vient de disparaître y était opposé, tout comme l’actuel patriarche et l’évêque de Beyrouth, Elias Audeh. Ils ne doivent pas lui donner le qualificatif d’orthodoxe! C’est un projet présenté par deux députés, Neemetallah Abi Nasr et Alain Aoun. Même lors des dernières rencontres du Parti socialiste, dans le cadre de sa tournée sur les partis libanais, certains membres du CPL ont dit que la proposition orthodoxe n’était pas sérieuse. Je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui, les choses ont pris cette tournure!
Craignez-vous une reproduction du scénario palestinien en ce qui concerne les déplacés syriens qui pourraient s’implanter au Liban?
C’est totalement différent. Il existe un Etat occupant, Israël, connu pour sa politique d’expansion, et en Syrie, il y a un régime qui tue son propre peuple. Lorsque le carnage prendra fin, les Syriens retourneront chez eux. La position du gouvernement est claire: oui à l’assistance à tout déplacé, non à la livraison de tout individu réclamé pour ses convictions politiques et non au verrouillage des frontières. Le patriarche s’est prononcé et le président de la République aussi. Certaines forces politiques se sont exprimées avec clarté, d’autres avec un certain racisme. Nous sommes avec la clarté et contre le racisme.
Propos recueillis par Saad Elias