Magazine Le Mensuel

Nº 2880 du vendredi 18 janvier 2013

general

Loi électorale. Les marchandages ont commencé

 

L’opposition du Courant du futur et du PSP, à la proposition du Rassemblement orthodoxe, s’est élevée contre l’unanimité des chrétiens qui s’en remettent désormais à Nabih Berry pour arriver au consensus le plus large. Pendant que le président du Parlement étudie ses possibilités, les négociations continuent.

L’effet coup de théâtre s’est rapidement dissipé. La semaine dernière, le retrait en grande pompe de la sous-Commission parlementaire, en charge de la loi électorale, du député du CPL Alain Aoun et le virage serré des chrétiens de l’opposition présents à Bkerké, sur lesquels Boutros Harb et ses amis, mais surtout le Futur, ont exercé une forte pression, ont plongé le débat dans une dramaturgie excessive. Ces coups d’éclat auront, au moins, eu le mérite de clarifier les positions des uns et des autres ou au mieux de remettre sur d’autres rails les négociations entre tous les partis. Car, en vérité, les discussions ne repartent pas de zéro. La séquence de la semaine dernière a simplement acté que l’unanimité des chrétiens, à elle seule, ne suffisait pas. Avec le concours des suffrages du Hezbollah et de son mouvement, Nabih Berry aurait pu forcer le calendrier, organiser une séance plénière et faire passer le projet orthodoxe à la majorité. Mais les oppositions des sunnites, des druzes et du président de la République Michel Sleiman étaient trop fortes. Le revoici en première ligne pour concocter un accord global dont il a le secret.

Les chrétiens en attente
Dès vendredi dernier, le patriarche Raï, prenant acte de ce nouvel équilibre de forces, a donc convié à Bkerké les leaders Michel Aoun, Sleiman Frangié et Amine Gemayel, Samir Geagea s’étant absenté pour des raisons de sécurité. Le communiqué publié par le patriarcat à l’issue de la rencontre marque le début d’un nouveau round. «Les participants conviennent de la nécessité de parvenir à une loi électorale assurant la meilleure représentation, de la façon la plus juste et la plus sûre, à toutes les communautés libanaises». Dimanche, dans son homélie, le chef de l’Eglise maronite souligne l’importance de remplacer la loi de 1960.
La dernière rencontre de Bkerké aura eu pour effet de calmer les attaques du CPL contre les chrétiens de l’opposition, accusés d’atermoiements et d’obscurantisme, plus précisément d’avoir cédé aux oukases du Courant du futur, cassant «l’opportunité historique» que constituait l’unanimité des plus grands partis chrétiens sur le projet orthodoxe que Rabié «ne laissera pas échouer».
Cloués au pilori, les Forces libanaises et les Kataëb, qui se sont efforcés de réaffirmer leur alliance avec leurs congénères du 14 mars, ont dû faire montre de pédagogie tout au long de la semaine. Mardi, Samir Geagea a donné sa part de vérité. «Nous nous étions entendus avec nos alliés du Courant du futur sur le projet des petites circonscriptions, mais nous n’avons pas été en mesure de lui assurer une majorité à la Chambre. Seul le projet orthodoxe disposait de cette majorité […] L’un de ceux qui le contestent a-t-il proposé une alternative?».
L’autre enseignement de la semaine, c’est le poids conséquent des chrétiens qui s’opposent au projet orthodoxe. Et les mots employés pour le qualifier ne laissent présager d’aucune ouverture. Si le chef de l’Etat a mis en exergue l’inconstitutionnalité de la proposition, les chrétiens non encartés qui gravitent dans l’orbite de l’opposition, autour du député Boutros Harb, ont expliqué que le projet orthodoxe détruirait le Liban.
Le retrait d’Alain Aoun n’aura duré que quelques jours. Dès dimanche, le député de Baabda a confirmé son retour au sein de la Commission. «Mon retour s’explique par le simple fait que le procès-verbal des discussions, qui se sont déroulées depuis le début des réunions, a été entériné et scellé. Nous craignions que certaines parties représentées en son sein passent outre leurs engagements. Nous ne fermons pas la porte à des discussions sur le projet que nous avons présenté, mais nous ne sommes pas prêts à nous rétracter».
Mardi, le président de la sous-Commission, le député Robert Ghanem, lui a donc remis le procès-verbal des discussions clôturées et scellées la veille. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés vendredi à Aïn-el-Tiné pour décider de la suite. Le chef du Parlement a donc décidé, dans un premier temps, que les travaux de la sous-Commission devaient se poursuivre. Son objectif affiché est de prendre le temps de consulter l’ensemble des partis pour aboutir à un compromis acceptable par tous. Et d’un autre côté, garder en vie la sous-Commission lui permettrait d’avoir une autre instance fonctionnelle de négociation. Bref, du Berry pur jus.

La balle dans le camp de Berry
Le leader du mouvement Amal est, là encore, doublement important. Président du Parlement, c’est lui qui a la responsabilité d’organiser une séance plénière. Maître du calendrier, il a toutes les cartes en main pour éviter une éventuelle volte-face de l’un des partis s’il devait y avoir vote. Deuxième avantage: il est sans doute celui qui est le plus sensible aux réserves de son partenaire institutionnel le président de la République et de son ami Walid Joumblatt. Depuis le début, il explique, comme le Hezbollah d’ailleurs, qu’il accorderait sa voix au projet qui obtiendrait le plus de soutien. Concrètement, s’il était convaincu que le projet orthodoxe respectait ces critères, le vote aurait déjà eu lieu.
Alors à quoi pourrait ressembler cette proposition miracle? Sans doute à un cocktail hétérogène qui satisferait sur le plan électoral toutes les parties. Berry devra, en premier lieu, ménager les sensibilités les plus exacerbées. Sa proposition devra assurer la représentativité de l’ensemble des sensibilités politiques et communautaires chrétiennes, conformément aux vœux de Bkerké et des quatre grands partis, mais avec l’aval du président de la République, qui continue d’appuyer le projet du gouvernement Mikati. Il devra se pencher sur le cas particulier de Walid Joumblatt qui tient à garder sa mainmise sur son fief.
Dans un second temps, il devra engager des discussions avec le Courant du futur, dont les positions ont beaucoup à voir avec son opposition systématique à la majorité gouvernementale, et dont le rôle pourrait bien être significatif. Ce troc a un avantage immédiat. Il permettra à l’Etat libanais de respecter ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale à laquelle il a été assuré que les élections se dérouleront à la date prévue. Mais les débats de ces derniers mois ont révélé que le pays était à un tournant. Derrière les calculs autour de la loi électorale se trouve une question plus fondamentale.
Alors qu’est en train d’émerger lentement mais sûrement l’idée d’un bloc centriste animé par le président Sleiman, le Premier ministre Mikati, Walid Joumblatt, voire Nabih Berry, un autre problème se pose. D’aucuns expliquent que le projet orthodoxe, qui permettrait l’élection de représentants communautaires, pouvait s’apparenter à une Constituante qui serait capable, de par sa représentativité induite par les accords de Taëf, de traiter des sujets de l’avenir tels, dans l’ordre croissant, la création d’un Sénat, la transformation de la double égalité chrétiens-musulmans en une triple égalité entre chrétiens, sunnites et chiites, voire l’établissement d’une nouvelle laïcité.
Le marchandage permanent permet-il d’ouvrir ces débats?

Julien Abi-Ramia

 

La sous-Commission, café du commerce
A quoi aura servi la sous-Commission parlementaire? A permettre d’abord au Courant du futur de réaffirmer son opposition non seulement au projet orthodoxe, mais plus globalement à la proportionnelle. Ensuite au PSP, extrêmement réfractaire à la tournure que prennent les discussions, de clamer son point de vue, son représentant au sein de la sous-Commission ouvrant même le chantier du Sénat libanais. Hors de propos, lui a rétorqué le député FL Georges Adwan qui prévient: «Ou on nous présente des alternatives et nous poursuivons la discussion, ou les travaux s’arrêtent et nous allons devant la Chambre réunie en séance plénière». De son côté, Sami Gemayel a proposé une sorte de compromis, le projet orthodoxe sur le mode majoritaire. Des palabres tous azimuts dont pourra se servir Nabih Berry pour gagner du temps.
 


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