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Nº 2881 du vendredi 25 janvier 2013

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POLITIQUE

Attaque du convoi de Fayçal Karamé. Tripoli, encore et toujours


L’attaque perpétrée contre le convoi du ministre de la Jeunesse et des Sports, Fayçal Karamé, a fait craindre une résurgence de la violence à Tripoli. Car, derrière cette tentative d’assassinat, c’est bel et bien la déstabilisation de la grande ville du Nord qui est encore une fois en jeu.

Les photos parlent d’elles-mêmes. Quand on voit l’état du tout-terrain Nissan visé par une grenade, on comprend que le jeune ministre de la Jeunesse et des Sports, Fayçal Karamé, l’a échappé belle. En ce vendredi 18 janvier, le ministre prend la route de Tripoli, dans une voiture, accompagné d’un convoi comme d’habitude. Parvenu en ville, le convoi est la cible de tirs et d’un jet de grenade, alors que les voitures se dirigent vers une mosquée, où le ministre se rend pour prier. Sur la route Azmi, des tirs en provenance d’individus encore non identifiés, ciblent les véhicules du convoi. Sur la route se tient alors un sit-in de soutien à des détenus islamistes. Une grenade est lancée contre un 4×4 Nissan qui prend feu. Bilan de l’attaque surprise, onze blessés, dont cinq gardes du corps de Fayçal Karamé. Le ministre, lui, n’est pas touché. Il parvient à se rendre directement à la résidence de son père, le président Omar Karamé où il explique avoir échappé à un jeune homme qui le braquait avec son revolver.
Malgré la violence de l’attaque, Fayçal Karamé ne pense pas en être la cible privilégiée. Selon lui, les auteurs des tirs «ne savaient pas que je passerai par là».
Loin de vouloir attiser le feu qui couve sous la cendre, le ministre joue l’apaisement, appelant ses partisans à la retenue. Dans sa conférence de presse, Fayçal Karamé souligne qu’à travers sa personne «c’est la ville de Tripoli et sa stabilité qui sont en premier et dernier lieu visées par cet incident». Il estime même que la capitale du Nord «a échappé à une véritable discorde». Visiblement soucieux de calmer le jeu, le fils de Omar Karamé martèle: «Nous ne nous laisserons pas entraîner dans une guerre civile à Tripoli». Devant la caméra de la chaîne OTV, il poursuit en disant «Je ne peux accuser personne pour l’instant, notre famille a offert un martyr pour le Liban et le fera encore».
Faisant écho à son fils, le père, l’ancien Premier ministre Omar Karamé, prend soin de n’accuser personne, préférant attendre les résultats de l’enquête. Mardi, le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel faisait état de l’arrestation d’un individu dans le cadre de l’enquête.

Sur le plan politique, l’attaque du convoi est condamnée unanimement par l’ensemble des partis, le 14 mars comme le 8 mars. Donnant l’occasion à Fayçal Karamé de saluer «l’unanimité politique sur la nécessité de mettre fin au chaos sécuritaire à Tripoli».
Côté 14 mars, les Forces libanaises ont dénoncé la tentative d’attentat et renouvelé leur appel en faveur du désarmement de Tripoli, voire de l’ensemble du Liban, Beyrouth inclus. Hadi Hobeiche, député du 14 mars, a de son côté dénoncé «le recours à la violence, les éliminations et les assassinats politiques», tout en soulignant la présence des armes du Hezbollah, qui, selon lui, sont à l’origine «des troubles suscités dans les différentes régions du Liban». Marwan Hamadé est d’un avis un peu dissonant, estimant que cette tentative d’attentat servirait les intérêts du camp adverse, pour «montrer que les leaders du 8 mars sont visés par des embuscades tendues par des inconnus, sachant que cet incident a lieu dans un milieu où agit plus d’un service de renseignements».
L’ancien député de Tripoli, Misbah el-Ahdab, a lui aussi donné de la voix, martelant: «Nous ne permettrons pas qu’un seul camp -celui que les services de sécurité pointent comme étant terroriste- soit désarmé et affaibli, alors qu’on ferme l’œil sur les armes que détient l’autre camp affilié au régime de Bachar el-Assad». «Le scénario des événements sécuritaires, qui se succèdent à Tripoli, et le chaos créé par l’anarchie des armes, combiné aux informations que nous détenons, nous laissent craindre ce qui se prépare, après les déclarations du Premier ministre, Najib Mikati, sur le risque de la formation d’un émirat islamiste à Tripoli», a-t-il ajouté.
Du côté de la majorité, même condamnation. Le Hezbollah a ainsi souligné que «le but de ces pratiques criminelles est de mettre en danger la paix civile, de déstabiliser Tripoli et de semer la discorde entre ses habitants». Le ministre du Travail, Salim Jreissati, s’est rendu au domicile des Karamé représentant Michel Aoun. Il a affirmé qu’à travers la personnalité de Fayçal Karamé, «c’est le courant de la modération qui est visé».

Le ministre de la Défense Fayez Ghosn a, de son côté, estimé que «l’armée veille et ne permettra jamais que quiconque mette en danger la sécurité intérieure». Selon lui, le Liban «a échappé à une discorde dont il aurait été très difficile de sortir».
Un point de vue partagé par le ministre des Finances Mohammad Safadi qui a dit craindre «un plan subversif» visant à la discorde dans le pays.

L’utopie du désarmement
Ce nouvel incident sécuritaire à Tripoli fait en tout cas craindre, une fois de plus, des jours sombres pour le Liban. Des inquiétudes affichées par le gouvernement et la plupart de la classe politique, qui appellent désormais à régler le problème de la ville du Nord, en optant pour le désarmement total de la ville, voire de tout le Liban. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a d’ailleurs relancé le slogan: «Tripoli sans armes», puisque, selon lui, «l’attaque contre le ministre est due à la présence d’armes».
Mais si, comme après chaque incident sécuritaire à Tripoli, les partis semblent unanimes pour désarmer, cela semble difficilement applicable. Sahar Atrache, analyste libanaise pour l’International Crisis Group (ICG), croit peu en cette perspective. «Tripoli est une place symbolique, une boîte à lettres, où les différentes parties s’envoient des messages. Il y a une communauté alaouite et des groupes islamistes, avec un Hezbollah dont la présence n’est pas très forte. Une tentative de désarmement des parties présentes dans la ville risquerait de dégénérer jusqu’à se transformer en conflit généralisé», explique-t-elle. «Chaque partie utilise les armes des autres pour refuser de livrer les siennes. Pour les alaouites, qui soutiennent jusqu’au bout le régime syrien, c’est une question existentielle. Ce désarmement les rendrait encore plus vulnérables. De l’autre côté, chez les sunnites et les islamistes, il existe un sentiment de triomphalisme par rapport à ce qui se passe en Syrie. Avec leurs armes, ils se sentent plus forts et ils ressentiraient une tentative de désarmement comme une volonté d’affaiblir leur communauté».
L’analyste de l’ICG confie également à Magazine que «la situation à Tripoli se poursuivra car il n’y a pas de réel consensus politique». «Par exemple, le Courant du futur et le 14 mars utilisent l’arsenal du Hezbollah comme prétexte. Sans compter qu’ils ne veulent pas laisser Tripoli à Mikati». «Ce n’est pas la première fois que l’on entend le discours du désarmement», note-t-elle, «il s’agit plus d’un discours politique que d’une réalité sur le terrain». Inquiète de la situation, Sahar Atrache estime que «tous les éléments d’un conflit au Liban sont là. Des lignes rouges ne doivent pas être franchies pour ces deux communautés. Pour l’heure, c’est un statu quo». Quant au rôle que l’armée peut tenir dans la stabilisation de Tripoli, elle dit: «L’armée doit se montrer plus rigide et arrêter tous ceux qui sont en possession d’armes ou qui commettent des infractions, de manière à rendre la situation dans les quartiers plus sûre».
Malheureusement pour ses habitants, la grande ville du Nord continuera donc à vivre dans des soubresauts sécuritaires, tributaire des décisions politiques des uns et des autres. Jusqu’à quand? Nul ne le sait.

Jenny Saleh

 

Les permis de port d’armes annulés?
En réponse à l’attentat contre le convoi du ministre Karamé, le chef du gouvernement Najib Mikati a demandé aux ministres de l’Intérieur et de la Défense, Marwan Charbel et Fayez Ghosn, de plancher sur un plan sécuritaire. Celui-ci comprendrait l’annulation des permis de port d’armes et interdirait aux particuliers d’installer des vitres teintées sur leurs véhicules. La question est de savoir si ces «mesurettes» sont à la hauteur de la situation…

 


 

 

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