Après le retrait de l’ordre du jour du Conseil des ministres, en début d’année, de la première mouture du budget, les observateurs s’attendent à un projet d’austérité. Ce genre de budget ne peut, par définition, initier une reprise économique puisqu’il ne prévoit pas des dépenses d’investissement. Le gouvernement n’a pas d’autres choix, vu les retombées directes des troubles en Syrie sur la conjoncture macroéconomique au Liban.
Certains anciens grands argentiers recommandent d’élargir la base des contribuables comme solution de substitut à de nouveaux impôts et taxes. Aussi devons-nous nous interroger si cette formule est jouable? Certains experts du métier de la banque font état d’opérations de fraude fiscale dans différents secteurs de l’économie productive. Les montants de ces opérations s’élèveraient à environ 7% du PIB, soit près de 3 milliards $ en rythme annuel, selon la même source qui a considéré comme impérative la normalisation de cette situation afin d’éviter de nouvelles charges fiscales tant au patronat qu’aux salariés.
Les recettes en 2011 et 2012
Dans le cadre de la mouture du projet d’austérité, la base des prévisions des recettes serait celle des rentrées réalisées en 2011et les surplus enregistrés en 2012, alors que le volume du déficit représenterait 5250 milliards de livres. Ainsi, le volume des dépenses totaliserait quelque 20000 milliards de livres soit un montant égal à celui enregistré en 2011. Les dépenses budgétaires de 2012, rappelle-t-on, avaient atteint 23000 milliards de livres. Toute dépense supplémentaire ferait l’objet d’un projet de loi indépendant qui définirait clairement les sources de financement, c’est-à-dire les taxes et impôts à créer. Par conséquent, la grille des salaires devrait faire l’objet d’un projet de loi-programme indépendant du budget et dont les sources de financement seraient déterminées pour toute la période de son échelonnement. La compression budgétaire est telle que les montants versés par le Trésor au titre de vie chère aux fonctionnaires (qui ont représenté près de 750 milliards de livres) seront proportionnellement défalqués des budgets alloués à chaque ministère. Ceux-ci avaient demandé des rallonges de crédits qui leur étaient dédiés pour des causes d’ordre électoral. En revanche, il est à noter que la dernière mouture du projet de budget ne prévoit pas la probabilité d’un accroissement du déficit de l’EDL, qui pourrait dépasser 3000 milliards de livres.
Le ministre des Finances s’efforce donc de maintenir le niveau du déficit budgétaire autour de 26%, dans l’objectif d’envoyer des signaux positifs aux marchés interne et international sur la volonté du gouvernement libanais de déployer des efforts dans le sens de la réduction du déficit et de l’évolution à la hausse de la dette publique.
Visions opposées
Pour Karim Daher, avocat partenaire du cabinet HBDT- Law firm, il y aurait deux visions pour régler le problème chronique du déficit budgétaire. L’une optimiste, productive, citoyenne qui s’inscrit dans la durée, l’autre défaitiste, terne et sans ambitions. La question majeure que les décideurs devraient se poser aujourd’hui est celle de savoir comment améliorer les moyens et modalités de perception des impôts existants et de contrer la corruption qui gangrène l’administration et non pas comment trouver des moyens financiers additionnels pour combler le déficit et faire face aux charges publiques toujours croissantes.
Selon Me Karim Daher, qui est également chargé de cours de droit fiscal à l’USJ, l’Etat doit «légiférer utilement» ou utiliser le budget comme instrument pour agir sur la conjoncture. Le gouvernement agirait ainsi par le biais d’un réaménagement du système d’imposition actuel et l’introduction de réformes structurelles à l’instar de l’impôt général sur le revenu pour englober le plus grand nombre de contribuables et lutter contre l’économie souterraine en n’exemptant plus aucun revenu, notamment spéculatif. «Cet impôt est de nature à élargir l’assiette des contribuables et à rendre imposable, selon les mêmes barèmes progressifs, les revenus de toutes sortes perçus au cours d’une année civile après déduction de toutes charges acceptables», dit-il avant d’ajouter: «Il n’y aurait ainsi plus moyen de se dérober (à titre indicatif pour les commissionnaires et intermédiaires ou travailleurs au noir, ou les gratifications et autres «dessous de table») car la déclaration serait obligatoire aussi bien pour les produits que pour les charges avec un contrôle tatillon de l’administration fiscale. Par conséquent, le renforcement du sentiment d’équité et de justice fiscale et sociale se ferait ressentir en consolidant l’assentiment à l’impôt et éviterait les nombreux cas d’évasion ou de «résistance».
Le critère de territorialité
Le juriste Karim Daher évoque par ailleurs une mesure intéressante, celle du réaménagement du critère de territorialité, de manière à ne plus pratiquer l’exemption intégrale pour ce qui est des revenus de sources étrangères des résidents libanais mais de pratiquer l’exemption avec réserve de progressivité. Ceci signifie qu’il revient aux autorités à prendre le revenu exempté en considération pour déterminer le taux progressif d’impôt applicable aux revenus non exemptés ou aux revenus locaux non déclarés, voire appliquer le crédit d’impôt ou l’imputation de l’impôt acquitté à l’étranger.
Dans la conjoncture chaotique actuelle, Jacques A. Saadé, co-partenaire du cabinet d’audit international Mazars, considère que «l’élargissement de la base des contribuables est une tâche extrêmement difficile à mettre en œuvre». Pour justifier sa vision, il évoque notamment le manque de moyens requis de l’administration fiscale l’habilitant à appliquer les règlements et lois à toutes les régions du Liban; le principe du secret bancaire en vigueur depuis les années 50; la pratique du paiement en cash, l’opacité financière et le statut des experts-comptables. En réponse à une question, Jacques A. Saadé estime que pour le moment les outils fiscaux disponibles et efficaces demeurent la taxe sur les intérêts bancaires, la TVA et d’autres taxes indirectes. Quant à l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le relèvement de leur taux viserait notamment les entreprises qui jouissent d’une transparence financière.