Le «mariage» civil de Khouloud et Nidal remonte au 10 novembre passé. Il a été authentifié auprès d’un notaire, et depuis, les deux amoureux roucoulent et prétendent que leur mariage est tout ce qu’il y a de plus légal. Acte fantaisiste ou militant? Magazine fait le point.
Khouloud Souccaryé et Nidal Darwiche n’ont pas eu besoin de faire une descente héliportée, en pleine mer, sous les feux de mille projecteurs, en tenues de mariés, pour faire parler d’eux. Ils ont fait bien plus simple, et bien plus efficace aussi, pour faire savoir qu’ils sont désormais mari et femme. Enfin, comme ils disent. Car leur demande d’inscrire leur union au registre d’état civil a buté sur un avis défavorable de la commission consultative du ministère de la Justice. C’est-à-dire que les deux jeunes gens restent aujourd’hui célibataires aux yeux de la loi libanaise.
Pourtant, l’argument avancé par le conseiller juridique de Khouloud et Nidal aurait pu porter ses fruits. Le simple fait de faire appel à cette logique juridique est déjà courageux en soi et il a permis en tout cas de rouvrir le débat relatif au mariage civil au Liban. L’argument est le suivant: le système confessionnel libanais, qui remonte au temps du Mandat français, a bel et bien prévu la possibilité, pour les Libanais qui le désirent, de relever d’une communauté civile. Il y a bien une obligation, pour tout citoyen libanais, d’être inscrit auprès de l’une des communautés reconnues, au nombre desquelles donc, cette communauté non religieuse. Or, cette possibilité, ouverte par une loi toujours en vigueur au Liban, n’a jamais pu se concrétiser. En effet, cette même législation indique que chaque communauté doit organiser, dans le respect de l’ordre public, son propre statut personnel. Ce qui a été fait par tous les groupes religieux. Mais il n’y a toujours pas de législation spéciale pour la communauté «civile». C’est comme si l’on nous donnait d’une main ce que l’on retient de l’autre. En clair, nous avons la possibilité légale de ne pas être étiquetés au nom d’une communauté religieuse, mais, si nous décidons de le faire, cela ne pourra avoir aucun effet juridique.
C’est là la motivation dont a fait part la commission consultative du ministère de la Justice pour refuser de reconnaître le mariage de Khouloud et Nidal.
Pour admettre le mariage civil contracté par les deux jeunes amoureux auprès du notaire, il faut encore une loi qui encadre un tel acte, ses effets, et le cas échéant, les démarches à suivre pour une séparation. Si des enfants naissent de cette union, ils seront considérés illégitimes au regard de la loi libanaise! Les jeunes époux ont d’ailleurs pris en compte cette éventualité, puisque, tout en clamant haut et fort leur attachement à leur union civile, ils ont tout de même pris soin de signer un acte de mariage religieux, qu’ils n’ont cependant pas encore inscrit auprès des autorités libanaises.
Sujet supra-constitutionnel
En tout état de cause et nonobstant le cas particulier du mariage de Khouloud et Nidal, la bonne nouvelle reste que le débat a été relancé. Il dormait dans les tiroirs du gouvernement depuis le tollé qu’il avait provoqué, en 1998, lorsque l’ancien président Elias Hraoui avait proposé un projet de loi instituant le mariage civil facultatif (Voir encadré).
Le chef de l’Etat, Michel Sleiman, n’a pas hésité à sonder les internautes via Facebook, tout en manifestant son support sans faille à la promulgation d’une loi régissant le mariage civil. Les ministres de la Justice et de l’Intérieur ont aussitôt renchéri, se disant résolument pour le mariage civil et pour l’instauration d’une législation en ce sens. Les espoirs de la société civile ont donc eu toutes les raisons de croire un moment pouvoir assister à un grand tournant dans l’histoire libanaise… jusqu’à ce que le Premier ministre, Najib Mikati, sonne la fin de la récré. Le chef du gouvernement a en effet sèchement opposé une fin de non- recevoir au débat, d’autres sujets, autrement plus délicats, étant pour le moment en attente de réponses.
Pour le cheikh Mohammad Nokari, juge chérié et professeur de droit, le sujet du mariage civil au Liban ne doit en effet pas être traité à la légère. Ce n’est pas d’un trait de crayon qu’il sera instauré au Liban, encore moins par le fait accompli, comme c’est le cas pour le mariage contracté par Khouloud et Nidal: «Il s’agit d’un sujet supra-constitutionnel qui est rattaché à tout le système politique. Une loi ordinaire, issue du Parlement, ne peut être à même d’opérer un tel changement. Il faudrait un consensus très large, un changement drastique, à la base même de la Constitution, pour introduire le mariage civil au Liban».
Cependant, Nokari précise que ce n’est pas pour autant que nous devons rester les bras croisés. En effet, nos propres lois actuelles, relatives au statut personnel de chacune des communautés religieuses, doivent être modernisées. Il propose, par exemple, comme alternative à l’absence de mariage civil au Liban, un système de choix laissé aux époux, quant à la loi à appliquer à leur union. Ainsi, deux maronites pourraient, sans avoir à changer de communauté, décider de soumettre leur mariage à la loi orthodoxe (pas électorale!). A condition de rester dans le cadre des communautés chrétiennes pour les époux chrétiens, et musulmanes pour les autres. Une façon déjà de permettre aux Libanais de ne pas se sentir obligés par une loi qui ne leur conviendrait pas…
Mais cette option, pour libérale qu’elle puisse paraître de prime abord, n’en reste pas moins muette à la question suivante: et si aucune des lois communautaires ne nous convient?
La réponse, les Libanais la connaissent par cœur: ils n’ont qu’à chercher sous d’autres cieux la loi civile qui va de pair avec leurs croyances et leurs convictions…
Joumana Nahas
Le projet Hraoui, mort-né
Nous sommes le 18 mars 1998. Le Conseil des ministres adopte à la majorité de 21 ministres un projet de loi légalisant le mariage civil facultatif au Liban, sur proposition du président de la République de l’époque, Elias Hraoui. Enfin une bonne nouvelle? Pas si vite! Le Premier ministre Rafic Hariri ne signe pas le projet et ne l’envoie pas au Parlement pour y être débattu. Raison invoquée: l’inopportunité de la question. Résultat: même facultatif, le mariage civil contracté au Liban ne passe pas. Les communautés religieuses libanaises, jalouses de leurs prérogatives et de droits qu’elles considèrent acquis, soulèvent un tollé.
La déception est de taille et elle est compréhensible. Ce n’est pas la première fois que le sujet est renvoyé aux calendes grecques. Il avait en effet été proposé au Parlement dès 1951, date à laquelle le mariage civil est refusé officiellement. En 1960, des manifestations réclamant une législation instaurant le mariage civil restent lettre morte; et en 1975, un projet est de nouveau porté devant l’Assemblée, avant d’être à nouveau oublié.
Prendre l’avion pour se marier
Une exception existe bien à l’obligation de contracter un mariage religieux au Liban: la possibilité, pour qui le désire, de se marier à l’étranger. Chypre reste bien entendu la solution la plus facile et la moins onéreuse pour un très grand nombre de couples libanais mixtes, ou tout simplement désireux d’opter pour la modernité en ce qui concerne leur mariage. Le Liban reconnaît ces unions civiles contractées à l’étranger et leur donne plein effet. Et, en cas de litige, ce sont les tribunaux de droit commun, et non plus les tribunaux religieux, qui en sont saisis et ils appliquent la loi étrangère!
Autant dire que nous sommes devant une situation pour le moins saugrenue: pourquoi en effet accepter que nos magistrats se familiarisent avec la loi civile chypriote, française ou autre, plutôt que de leur donner des outils bien libanais pour trancher les litiges qui leur sont soumis?
Il y va de la souveraineté de l’Etat libanais et de nos tribunaux, mais aussi de la dignité des Libanais qui choisissent le mariage civil plutôt que religieux. Ce dernier devrait pouvoir rester un sacrement, comme c’est le cas pour les communautés chrétiennes, ou en tout cas un acte de croyance, et non pas une condition sine qua non…