«Il est préférable à cette étape de former un gouvernement d’indépendants auquel seraient greffés des technocrates compétents dans les secteurs à moderniser, un gouvernement qui puisse bénéficier de la confiance de toutes les parties». Tour d’horizon avec Adnan Kassar.
Quelles sont les principales résolutions du Sommet arabe pour le développement économique et social concernant le Liban?
L’économie libanaise est organiquement liée à l’économie arabe. Ainsi, tout pas vers une complémentarité économique arabe est fort bénéfique pour le Liban. Le Liban pourra bénéficier des nouvelles possibilités d’investissement découlant de la décision du sommet d’augmenter les fonds en faveur des Caisses de développement et des entreprises arabes mixtes dans une proportion d’au moins 50%, cela en octroyant des prêts avantageux aux projets de réhabilitation et de modernisation des infrastructures. Pareil pour la décision concernant le délai fixé à la fin de l’année pour la finalisation des préparatifs de la zone arabe de libre-échange, ainsi que pour d’autres résolutions qui contribuent à la consolidation du rôle du secteur privé arabe au sein de l’économie libanaise.
Le Printemps arabe a-t-il eu une quelconque influence sur une réforme éventuelle des projets économiques communs?
Les conséquences du Printemps arabe se sont imposées au sommet de Riyad. Le communiqué a abordé plusieurs sujets liés à l’amélioration des conditions de vie. Mais nous sommes encore loin d’une vision de réforme arabe globale, surtout avec le brouillard qui règne dans certains pays qui ont connu des changements récents, et les événements sanglants en Syrie. Sans oublier que l’exécution des promesses est jalonnée d’embûches liées à la bureaucratie, d’autant plus qu’une bonne partie des résolutions publiées ne sont pas assorties de mécanismes d’exécution sur le terrain. A mon avis, les réformes doivent toucher d’abord la structure de l’action économique arabe commune elle-même, en commençant par la Ligue arabe qui doit reconnaître le rôle du secteur privé et de la société civile loin de toute marginalisation.
Vous avez appelé à la dynamisation de l’action économique commune, quels seront les bénéfices que cette complémentarité pourra apporter au Liban?
Comme je l’ai déjà dit, le Liban tirera un grand profit de l’ouverture réciproque des marchés arabes, que ce soit au niveau de l’exportation ou des investissements, sans oublier la libération du secteur des services où nous avons des compétences concurrentielles.
On a beaucoup parlé du marché arabe de libre-échange, ce projet va-t-il se matérialiser?
Il n’y a pas de place dans le monde moderne aux économies renfermées sur elles-mêmes. La révolution technologique et numérique a modifié les concepts de développement et d’évolution. Si les pays développés se sont retrouvés contraints à se fédérer en blocs économiques, que dire alors des petits pays en voie de développement? Nous n’avons le choix, si nous voulons prendre le train en marche, que de réorganiser la maison arabe à travers la réactivation de la grande zone franche arabe à laquelle le commerce des services sera rattaché, en prélude à la création de l’Union des Douanes arabes en 2015 et du Marché arabe commun en 2020.
Dans quelle mesure sommes-nous dépassés par les pays arabes en termes de développement et d’urbanisme, alors que par le passé certains pays étaient des déserts pendant que le Liban était prospère?
Nous avons perdu plusieurs occasions. Mais le Liban peut toujours se rattraper si les camps politiques en réalisent l’importance, si le gouvernement, en partenariat avec le secteur privé, œuvre à l’établissement d’une vision claire de développement consolidée par des politiques, des programmes et des mécanismes d’exécution.
Au chapitre gazier, êtes-vous optimiste? Pensez-vous que le Liban pourra bientôt profiter des recettes du gaz pour réduire sa dette?
Les indices et les pas franchis jusque-là portent à l’optimisme. Vu le temps requis pour l’exploration et le forage, il est essentiel d’accélérer les démarches administratives et logistiques nécessaires de façon à générer un supplément de revenus à injecter dans l’économie libanaise. Nous souhaitons une gestion rationnelle de ces ressources pour que nous puissions en tirer profit en respectant des critères élevés de transparence, loin des tiraillements politiques.
Est-ce que les responsables arabes ont l’intention de lever l’embargo touristique qui frappe le Liban?
Vous savez que je profite de chaque occasion pour défendre mon pays… A travers les réunions et rencontres que j’ai tenues avec les leaders du secteur privé arabe et avec les autorités officielles, j’ai perçu de bons échos. Tous ont exprimé leur attachement au Liban et leur engagement envers notre pays surtout que le partenariat du Liban avec les pays arabes est stratégique et existentiel. Ils ont insisté sur l’importance d’assurer un environnement favorable pour ramener les choses à la normale.
Pensez-vous que les consignes données aux ressortissants du Golfe d’éviter la destination Liban, soient à caractère politique, dirigées contre le gouvernement du président Mikati?
Il est clair que l’affaire est en connexion avec le blocage des routes, en été. Ces incidents ont été amplifiés par la couverture médiatique dont ils ont fait l’objet. Je ne crois pas que cela soit en relation avec le président Mikati. C’est une conséquence des agissements irresponsables et irréfléchis de certaines forces politiques. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre avec la présence des forces de sécurité sur le terrain, donc les motifs qui ont mené à la prise de la décision relative à l’embargo n’existent plus. Nous espérons la mise en œuvre de mesures supplémentaires qui rendront le climat encore plus rassurant.
Le secteur bancaire est le seul secteur actif au Liban, qu’est-ce qui fait sa force?
Ce secteur représente l’épine dorsale de l’économie libanaise, il a un rôle fondamental de catalyseur des divers autres secteurs. Nous avons au Liban, un gouverneur exceptionnel à la Banque centrale en la personne de Riad Salamé qui a démontré son excellente capacité à gérer la politique bancaire et financière, qui a mis le Liban et son économie à l’abri des plus fortes crises financières mondiales dont les retombées ont touché tous les pays à travers la planète. Aussi, l’organe bancaire libanais jouit d’une tradition et d’un professionnalisme de haut niveau, respectueux des standards bancaires internationaux tout en évoluant en permanence et en se modernisant. Sans oublier son immunité face aux changements grâce à la politique conservatrice et aux mesures préventives qu’il adopte, et qui font partie intégrante de sa stratégie. Tout cela a valu au secteur bancaire de bénéficier d’une grande confiance au triple plan local, arabe et international et de mériter l’admiration des hautes instances internationales. Le facteur confiance est ce qui fait la force du secteur.
Quelle influence la hausse des prix de l’immobilier a-t-elle sur le mouvement économique?
La demande sur les terrains et, surtout sur les appartements, est réelle et la marge concurrentielle fort limitée. Cela réduit les effets inflationnistes qui accompagnent généralement la hausse des prix de l’immobilier. Aujourd’hui, le niveau des prix est relativement stable avec une légère baisse, il en résulte de bonnes possibilités d’investissement. L’activité est étonnante dans ce domaine malgré la stagnation que connaît la situation économique. Nous prévoyons l’intensification du mouvement puisque la Banque centrale a récemment pris une nouvelle initiative pour stimuler les banques à accorder des crédits à un nombre de secteurs vitaux, dont le secteur immobilier qui en bénéficiera à 60%.
A chaque tournant, à chaque crise on cite votre nom pour la présidence du Conseil. En est-il question? Approuvez-vous la formation d’un gouvernement de technocrates au Liban?
En effet, je ressens de la fierté parce qu’une telle possibilité traduit la confiance et la crédibilité que je peux inspirer. Mais je crois qu’il est prématuré d’aborder cette éventualité qui n’a pas été officiellement envisagée, jusqu’à présent. Je pense, par ailleurs, qu’il est préférable à cette étape de former un gouvernement d’indépendants auquel seraient greffés des technocrates compétents dans les secteurs à moderniser, un gouvernement qui puisse bénéficier de la confiance de toutes les parties et œuvrer à l’élaboration d’un plan socioéconomique national, soutenu par des mécanismes d’application. Tout comme il est préférable d’adopter une loi électorale qui sauvegarde l’union nationale et ne favorise pas le confessionnalisme.
Propos recueillis par Saad Elias