Magazine Le Mensuel

Nº 2882 du vendredi 1er février 2013

Affaire Déclassée

Trafic de drogue dans les années 70. Politique et gros sous

L’affaire de Chawkat Masri, fils du député du Hermel Nayef Masri, a défrayé la chronique dans les années soixante-dix. Son règlement a laissé un goût amer. L’accusé a réussi à s’échapper de la prison où il purgeait sa peine et il a été impossible de l’y ramener.

Le 29 août 1970, un bimoteur Convair atterrit dans la Békaa. Des hommes l’y attendent. En quelques minutes, ils le déchargent des cigarettes qu’il transportait et les remplacent par plus de 660 kilos de haschich. Ils travaillent rapidement. Mais ils sont surpris par les forces de l’ordre avant d’avoir achevé leur travail. Très vite, les trafiquants de l’air reprennent leur vol sans avoir réglé la facture de leurs fournisseurs. Le ministre de l’Intérieur, Kamal Joumblatt, se saisit de l’affaire et fait assumer la responsabilité aux deux députés du Hermel: Sabri Hamadé et Nayef Masri. Une polémique oppose les deux parties. Masri lance des contre-accusations et Hamadé demande à Joumblatt de ne pas s’avancer dans des accusations sans preuves. Le ministre décide d’envoyer l’armée dans la région avec pour mission de détruire les cultures de haschich. L’affaire prend de l’ampleur, le président de la République, Charles Hélou, et le Premier ministre Rachid Karamé décident d’intervenir et de mettre un terme à cette polémique en empêchant, d’une part, Joumblatt de mettre ses menaces à exécution, et en faisant taire, d’autre part, les deux députés.
Cependant, l’affaire ne s’arrête pas là. Les deux pilotes du bimoteur Convair et trois occupants de l’appareil sont arrêtés en Crète où ils faisaient escale. Une enquête est ouverte avec les cinq hommes, tous américains. Quelques jours plus tard, un mandat d’amener est lancé à l’encontre du député Nayef Masri. L’affaire traîne des mois. Entre-temps, la situation politique du pays change. Sleiman Frangié est élu président de la République, le gouvernement change et il faudra attendre quelque temps avant de la relancer.
Les investigations durent des mois. En définitive, c’est Chawkat Masri, le fils du député Nayef Masri qui est inculpé. Le 8 septembre 1972, il est condamné à quatre ans de travaux forcés pour complicité dans l’affaire des trafiquants de haschich.
Deux mois plus tard, Chawkat Masri réussit à s’évader de l’aile pénitentiaire de l’hôpital de Maalakat-Zahlé où il était interné avec Rabih, le fils d’un autre ancien député Rifaat Kazoun, condamné pour assassinat de son cousin à l’occasion des législatives en avril 1972. Les deux fils des anciens députés avaient saoulé leurs gardiens et réussi à se faire la belle.
Le 3 juillet 1973, Chawkat Masri est condamné par défaut à trois ans de prison, ses biens sont saisis et il est déchu de ses droits civiques. Une décision judiciaire restée lettre morte, les forces de l’ordre étant dans l’impossibilité de rechercher l’accusé dans la région de la Békaa, tout comme elles étaient dans l’impossibilité de saisir ses biens dans la même région.
La Békaa a longtemps été considérée comme une région qui allie la pauvreté à la culture du cannabis et aux traditions tribales. Les plantations de haschich remontent dans cette région aux années 30 et ont duré des décennies. A la fin de la guerre en 1990, les autorités bougent et tentent de mettre un terme à cette culture illégale. Des programmes de substitution sont mis en place par l’Onu. Ils se révèlent insuffisants et disparaissent fin 1999. En 2000, la culture du haschich reprend de plus belle dans les coins reculés de la région, mais à une échelle moindre. Selon certaines informations, plus de 33000 personnes sont recherchées par la justice dans la Békaa.

Arlette Kassas

 

Les informations de cet article sont tirées du Mémorial du Liban: le mandat Charles Hélou et du Mémorial du Liban: le mandat Sleiman Frangié de Joseph Chami, ainsi que d’articles pris sur l’Internet.

Le Liban, producteur de drogue
Selon l’Onu, le Liban était, durant les années 70 et 80, le principal producteur de drogue du Moyen-Orient et l’industrie du haschich rapportait, pendant la guerre de 1975, quelque 500 millions de dollars par an. Grâce à ces revenus, la région s’est rapidement développée.

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