Béchara Raï s’est rendu coup sur coup à Tripoli et à Damas, pour assister à l’intronisation du patriarche grec-orthodoxe d’Orient récemment élu Jean X Yazigi. Une visite qui ne manque pas de panache pour cet homme qui s’affirme comme le rempart protecteur des chrétiens d’Orient.
Les timides réserves exprimées par les détracteurs libanais du régime syrien n’ont pas atténué la portée éminemment symbolique de la visite d’un patriarche maronite sur les terres de Syrie. Mais en traversant la frontière, Mgr Béchara Raï a fait bien plus que lever un contentieux politique vieux de plusieurs décennies. Il a consacré l’union des chrétiens d’Orient. Ces derniers mois, ses discours ont épousé les craintes de la communauté dont il a la charge et cette visite – religieuse et pastorale, politique et populaire– vient couronner ce travail pédagogique. Mais un déplacement de cette importance ne s’improvise pas à la dernière minute et ne peut être organisé sans l’accord des autorités concernées. En fait, l’idée de la visite de Raï en Syrie trotte dans l’esprit du patriarche depuis l’élection du patriarche grec-orthodoxe Jean X Yazigi. Lorsque le vicaire patriarcal Samir Mazloum explique que Raï s’est rendu en Syrie pour «assister à l’intronisation de ce dernier, comme il avait participé en Egypte à l’intronisation du patriarche copte Tawadros», il sait la signification de cette visite.
Le chemin de Damas
Samedi, à son arrivée à la frontière syrienne, au niveau du poste-frontière de Masnaa, le cardinal Raï est accueilli par une foule en liesse et plusieurs figures religieuses. Aux reporters qui l’accompagnaient, il a dit souhaiter la fin de la crise en Syrie, exprimant sa solidarité avec le peuple syrien qui affronte «la mort et le déplacement forcé». Première étape de sa visite, la cathédrale maronite Saint-Antoine, dans le quartier chrétien de Bab Touma, dans la vieille ville de Damas.
Au cours de cette messe, célébrée à l’occasion de la Saint-Maron, Mgr Raï a affirmé qu’il attendait cette visite «depuis très longtemps». Dans son homélie, il a appelé «toutes les parties» à «mettre fin à la violence» en Syrie. «Nous sommes venus prier pour la paix en Syrie, au Liban et dans toute la région», a ajouté le patriarche maronite. Il a également souligné que «les réformes sont nécessaires mais elles ne doivent pas être imposées de l’extérieur, elles doivent venir de l’intérieur par le dialogue et l’accord».
Il a, par ailleurs, déclaré que sa venue était «l’occasion de prier tous ensemble pour la paix, la tranquillité, le retour des réfugiés et pour que soient trouvées des solutions pacifiques et diplomatiques aux problèmes en cours». En plus des autorités maronites du pays, était notamment présent dans l’assistance le ministre d’Etat du gouvernement syrien, chargé des Expatriés, le chrétien Joseph Soueid, qui représentait le président Bachar el-Assad. Sur son chemin, lorsqu’il se rend à l’archidiocèse de Damas, Béchara Raï est salué par les vivats d’une foule visiblement émue qui voit dans la visite du patriarche maronite la possibilité d’un avenir plus joyeux. Et pour célébrer la communion entre le berger et ses ouailles, le cardinal et les chrétiens du pays se sont donné rendez-vous le lendemain pour une messe populaire qui a tenu toutes ses promesses, aux dires de ses organisateurs.
Un message d’espoir
Damas s’est donc transformée, l’espace d’une intronisation, en capitale des chrétiens d’Orient. La cérémonie organisée à l’église de la Croix sacrée à Qassaa, au cœur de Damas, était entourée de mesures exceptionnelles. Tireurs d’élite sur les toits, stationnement interdit, fouilles minutieuses et portails magnétiques, la sécurité était confiée à la Garde républicaine. Les invités triés sur le volet qui ont passé la porte de l’église ont dû traverser plusieurs points de passage. Pour les milliers de fidèles qui se sont rassemblés pour l’événement, les organisateurs ont installé des écrans géants et une multitude de rangées de chaises en plastique. Bien qu’ils ne se soient pas sentis oppressés par ce déploiement sécuritaire, tous raconteront qu’ils n’avaient jamais vu cela auparavant. Le ministre des Affaires présidentielles, Mansour Azzam, représentant cette fois-ci le président syrien, les ministres Joseph Soueid, celui de l’Information Mahmoud el-Zohbi et celui des Wakfs Abdel Sattar el-Sayyed étaient présents. Des dignitaires religieux musulmans ont assisté à la cérémonie, aux côtés de nombreux diplomates, dont le nonce apostolique et l’ambassadeur d’Iran à Damas.
Dans son discours lors de la cérémonie, le patriarche Jean X a déclaré que «la Syrie trouvera la voie du salut par le dialogue et retrouvera son visage d’antan». Et de poursuivre: «Dieu n’accepte pas que se brise la vie que nous partageons avec les non-chrétiens pour des causes politiques et parce que chez nous, comme chez eux, il y a des gens qui adhèrent à des tendances fondamentalistes n’ayant rien à voir avec la religion». Affirmant qu’il priera et œuvrera à l’unité en Syrie, le nouveau patriarche a prié Dieu pour qu’Il l’accompagne dans sa responsabilité. Jean X a enfin assuré qu’il n’oublie pas le Liban, saluant son peuple et son président, après avoir rendu hommage au président Bachar el-Assad.
Le chef de l’Eglise maronite a, de son côté, prononcé un discours dans lequel il s’est adressé au nouveau patriarche: «Vous prenez en charge vos fonctions dans un contexte difficile pour la Syrie blessée et souffrante. Nous avons vécu au Liban cette blessure béante causée par les guerres absurdes». «Nous sommes venus aujourd’hui en Syrie pour exprimer notre solidarité avec notre peuple souffrant et blessé, portant l’évangile de la paix, l’évangile de la fraternité, l’évangile de la dignité humaine». Pour le patriarche maronite, «tout sang innocent versé sur cette bonne terre est une larme de Jésus-Christ».
Réactions sans surprise
Au Liban, la visite de Mgr Raï a suscité un certain enthousiasme. Ainsi, le président Michel Sleiman a affirmé soutenir la visite de Mgr Raï. «Le patriarche maronite est le gardien des droits des chrétiens en Orient et je soutiens sa visite en Syrie, il sait ce qu’il fait», a déclaré le chef de l’Etat à l’issue de la messe à l’occasion de la Saint-Maron. Un soutien que lui accorde Walid Joumblatt. Dans les colonnes d’al-Anbaa, le leader druze s’interroge: «Pourquoi certains insistent-ils pour importer à tout prix la crise syrienne?». Commentant la visite de Mgr Raï, il a estimé qu’elle «reste au-delà de toutes surenchères». Pour lui, son timing «fait qu’elle a donné un message d’espoir aux chrétiens de Syrie et confirmé la nécessité de protéger la diversité orientale à un moment où ce sont les bruits des canons et des appareils militaires, ainsi que les fatwas takfiristes qui priment au détriment de la coexistence communautaire» dans la région.
Pourtant, certaines voix proches du 14 mars se sont élevées pour critiquer la décision du prélat, comme le secrétaire général du 14 mars Farès Souhaid. «Le patriarche n’était pas obligé de se rendre en Syrie pour saluer Mgr Yazigi», explique-t-il, arguant du fait qu’il est prévu que ce dernier soit le 13 février à Balamand puis le 17 à Beyrouth, où il présidera deux messes. «La visite de Raï oblige les maronites à soutenir le président syrien».
D’une manière générale, la majorité des cadres chrétiens de l’opposition s’est contentée de pointer la récupération politique que le régime syrien pourrait opérer de la visite du patriarche Raï. Le fils du député du Courant du futur, Nouhad Machnouk, Saleh Machnouk, s’est même autorisé à qualifier de «messe satanique» l’office religieux célébré par Mgr Raï à Damas. Des propos déplacés qui ont provoqué une vigoureuse campagne de protestation sur les réseaux sociaux. Dans une première réaction officielle syrienne à la visite du patriarche Raï à Damas, le vice-ministre des Affaires étrangères, Fayçal Mokdad, a déclaré que les peuples libanais et syrien sont un seul peuple, ajoutant que Mgr Raï est aujourd’hui «chez lui».
Julien Abi-Ramia
La Saint-Maron à Tripoli
Avant de se rendre en Syrie, le chef de l’Eglise maronite s’est rendu dans la capitale du Nord pour y célébrer la Saint-Maron. Samedi en milieu d’après-midi, Raï s’est rendu à l’église du même nom où il s’est entretenu avec les principaux responsables de l’évêché maronite dans la région.
Il y a ensuite présidé la messe, sur invitation de l’archevêque maronite de Tripoli, Mgr Georges Abou Jaoudé, et en présence de l’archimandrite Youhanna Batech, représentant le métropolite grec-orthodoxe de Tripoli et de Koura Mgr Ephrem Kyriakos.
Aux côtés des évêques et prêtres des paroisses des cazas du Nord, plusieurs notables de la région ont pris part à la cérémonie à l’occasion de la Saint-Maron, notamment le ministre de l’Economie et du Commerce, Nicolas Nahas, représentant le Premier ministre Najib Mikati, les ministres Mohammad Safadi et Fayçal Karamé, Tony Marouni, représentant le ministre de l’Energie Gebran Bassil, ainsi que les députés Samer Saadé, Samir el-Jisr, Khodr Habib, Ahmad Fatfat et Robert Fadel.
«Nous prions pour la paix et la sécurité à Tripoli, de sorte que la ville préserve sa qualité essentielle de noble ouverture à l’autre, loin des conflits et de la violence».