Samedi 23 et dimanche 24 février, quelques centaines de courageux avaient rendez-vous avec l’Armée libanaise pour une aventure d’exception. Sous le patronage du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, le régiment Commandos organise désormais, chaque année, une course de raquettes et de ski de randonnée entre la réserve de Tannourine et la forêt des Cèdres de Bécharré. Top départ.
Dimanche matin. 6h. Le compte à rebours est lancé. 3, 2, 1, le starter lance la course. Mais ce n’est pas là que le raid commence. Car le raid c’est aussi un bivouac. Surtout un bivouac. Samedi après-midi, 14h, le bal des bus débute. Par Belzébuth, nos montagnards débarquent. Apprentis ou aguerris, débutants ou initiés, tous s’attendent à quelque chose de grand. En quelques heures, le site de Tannourine a pris les apparences d’une véritable fourmilière.
En grande pompe, l’armée reçoit dans une imposante bâtisse, un baraquement pas tout à fait cinq étoiles. Trois étages, des murs de parpaings. Et puis c’est tout. On se demande si c’est une construction inachevée ou un début de destruction. Ni portes, ni fenêtres, ni sols. Pour dormir, c’est lit de ferraille et fin matelas. Pour les douillets circulez, y a rien à voir. En revanche, en termes de logistique tout est prévu: tables et chaises, sonorisation, fours à gaz et même les toilettes Algeco! A 18h, le briefing est là pour nous rappeler qu’il y a quand même «une petite promenade» le lendemain. Règlement, check-point, sécurité… Tout est mis au clair.
Avec la nuit qui tombe, la température dégringole et les estomacs crient famine. Le dîner vient à point. Merci l’armée, le dîner est succulent! Une équipe de commandos, sûrement plus habituée à manier la mitrailleuse que le Jebné (fromage), réalise des merveilles au stand mankouché. Quel succès! L’ambiance est à la fête. Hormis les derniers concurrents qui récupèrent leurs dossards, il est permis de douter que tous les esprits soient tournés vers la course dominicale. Au premier étage, dans le hall, quelques personnes font connaissance autour d’une guitare et d’un narguilé. Olivier est en pleine séance photos avec Grace. Il vient d’arriver de France. Le narguilé au bout du bras et le sourire jusqu’aux oreilles. Il profite des moments «les plus mémorables» du week-end. La nuit est longue ou très courte, c’est selon.
Le grand départ
A 4h du matin, c’est le grand réveil. Il a dû en surprendre plus d’un celui-là. Au saut du lit pourtant, chacun a hâte de tutoyer les sommets. Il fait encore nuit, quand s’orchestre le grand rangement. L’armée s’occupe de classer les sacs de chacun par numéro pour les retrouver au retour plus facilement. Le petit-déj’ est distribué, tout le monde est prêt. Sur la ligne de départ, il y a de tout. Des skis, des raquettes ou même juste de bonnes chaussures pour les moins prévoyants. Rien qu’en regardant les équipements, on peut déjà miser sur les potentiels vainqueurs. Il y a ceux qui n’ont pas de sacs, ceux qui en ont, ceux qui ont d’innombrables couches de vêtements, ceux qui sont en t-shirt (presque), bref ceux qui vont regarder le paysage et ceux qui n’en auront pas le temps. C’est la beauté du sport nature: chacun à son niveau apprécie l’aventure. Le soleil se cache encore derrière les crêtes. Le silence matinal d’un paysage enneigé n’est dérangé que par les pas des raideurs. Et par la musique d’un concurrent américain qui a trouvé la bonne idée de porter sur le dos des enceintes. Les premières montées s’effectuent sur des chemins escarpés où la dameuse est bien incapable de passer. Pour ceux qui n’ont ni skis ni raquettes, c’est le début de la galère. Un pas sur trois, la jambe s’enfonce d’un mètre. Fort heureusement pour eux, plus haut la piste est damée, la suite peut s’envisager sans encombre. On arrive rapidement à un col sur la ligne de crête qui surplombe la vallée de Qannoubine. Le temps n’est pas tout à fait assez clair pour distinguer la mer, mais le ciel est parfaitement bleu. Les moins ambitieux au classement s’autorisent un petit crochet pour passer par la chapelle qui domine le col et la course reprend ses droits. Par quelques mètres de ramasse (glisse sur les fesses), on plonge dans un décor tout à fait différent. A perte de vue, du blanc, du blanc et encore du blanc. Seul le long chapelet des raideurs trouble ce face-à-face du blanc et du bleu. Un sommet plus loin, au kilomètre 11 sur 18, on atteint le plus haut point de la randonnée (2900). Mais là, l’histoire n’est plus la même. Le brouillard et le vent s’en sont mêlés; on ne distingue pas son coéquipier à quelques mètres. Le manteau, retiré sous le soleil, s’impose à nouveau. En cas de pépin, aucune inquiétude. L’Armée libanaise est présente tout au long du parcours. Des postes de secours et des endroits de repos sont disponibles dans des tentes ou des igloos. Des ravitaillements réguliers en eau, en fruits et en biscuits sont proposés. On vous le disait: un service 5 étoiles!
Déjà fini?
La dernière descente s’effectue aisément sous le soleil qui réapparaît. Parfois sur les fesses plutôt que debout. Mais c’est encore plus amusant comme cela. Georges, 19 ans, meilleur temps du parcours 18 km, a sélectionné la ramasse comme le «meilleur moment de sa formidable expérience». La vue de la forêt des cèdres au loin, en bas, est clairement motivante. L’arrivée est toute proche. Sauf pour les plus costauds, les skieurs des circuits de 30 et de 45 kilomètres, partis pour un tour supplémentaire du côté de Qornet el-Sawda. A l’arrivée, une fois la ligne franchie après quatre, cinq ou parfois six heures de marche, c’est presque le regret: «C’était si beau là-haut», confie Mazen. On profite encore quelques instants du panorama en grignotant une mankouché. De charmantes demoiselles distribuent des boissons énergétiques. Au milieu des cèdres, le podium avec une petite fanfare militaire conclut ce week-end fantastique et salue les champions. Derrière une telle aventure, le général Chamel Roukoz, initiateur du projet, voyait une vraie politique de rapprochement des civils et de l’armée. Et bien mon général, bravo, c’est réussi. Des paysages grandioses, un effort vivifiant, une ambiance bon enfant et beaucoup d’histoires à raconter: on en redemande. L’année prochaine, soyez-y.
Antoine Wénisch