L’Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français (Ahjucaf) a organisé à Beyrouth son quatrième congrès à l’Institut d’études judiciaires et à l’Ordre des avocats de Beyrouth du 13 au 15 mars sous le thème Une déontologie pour les juges.
C’est en collaboration avec la Cour de cassation libanaise et l’Organisation internationale de la francophonie, ainsi que le soutien de l’Agence universitaire de la francophonie – bureau du Moyen-Orient, que s’est effectuée l’organisation de ce congrès. Plus de 70 magistrats et juristes venant d’environ trente pays francophones ont participé à cet événement. La séance d’ouverture a eu lieu en présence de représentants des trois présidents, de l’ambassadeur de France, Patrice Paoli, ainsi que d’un parterre impressionnant de juristes, magistrats et avocats.
Premier à prendre la parole, le juge Ghaleb Ghanem, président de l’Ahjucaf et ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, a mis l’accent sur l’importance de ce congrès qui s’adresse en premier lieu aux magistrats stagiaires, du fait même de la tenue des travaux dans le cadre de l’Institut des études judiciaires. «Il est normal que les premiers concernés soient les jeunes du Palais parce qu’ils représentent l’avenir et l’espoir», a-t-il dit. De même, a-t-il souligné qu’il est naturel que les soins du congrès s’adressent à l’autre, en l’occurrence les membres de la communauté juridique: avocats, juristes, universitaires, auxiliaires de justice, experts… tant il est vrai qu’à l’instar des magistrats, toutes ces catégories sont responsables de la bonne marche de la justice et contribuent à affirmer la confiance des gens à l’égard de la magistrature.
Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth, Nouhad Jabre, s’est déclaré réjoui et flatté par le thème de ce congrès car «un tel thème intéresse au plus haut point, tant le magistrat en toge, que l’avocat en robe, adeptes de deux disciplines qui imposent semblablement d’immenses et honorables servitudes». Selon lui, l’honnêteté, le savoir, l’indépendance et la modération du juge doivent rester au-dessus de tout soupçon. «Et c’est grâce à une moralité intraitable que se justifie son autorité. La Cour ne rend pas des services, elle rend des jugements. Réplique devenue célèbre, lancée d’une voix tonnante par un président à quelqu’un qui venait quémander une faveur». Quant au magistrat Sami Mansour, président de l’Institut des études judiciaires, il a mis l’accent sur le courage et la modestie qui devraient être les deux éléments ajoutés à la déontologie des juges. «La déontologie renvoie à l’éthique de la responsabilité». Il a également précisé, qu’à côté de l’aspect déontologique, certains critères sont retenus par le Conseil supérieur de la magistrature pour l’entrée à l’Institut des études judiciaires afin d’assurer le niveau nécessaire. Des tests psychologiques sont effectués par les candidats et une étude sérieuse de chaque dossier est faite.
Le premier président de la Cour de cassation du Liban, le magistrat Jean Fahed, a exprimé sa fierté de Libanais de voir Beyrouth réunir plus de 70 représentants des Cours judiciaires suprêmes francophones venant de trente pays environ et la modestie d’un magistrat qui est dans un état d’examen de conscience avec ses pairs pour traiter d’une déontologie pour les juges. «Il s’agit de faire connaître aux juges leurs devoirs, afin d’exhorter tout magistrat à les pratiquer dans la magistrature». Il a également mis l’accent sur le fait que le juge doit être profondément convaincu de sa mission dans la magistrature, pour bien vivre les valeurs de cette mission, dans et en dehors de cette magistrature. «Au cours de son parcours, le magistrat se transforme, selon l’expression d’un illustre magistrat libanais, d’un magistrat exemplaire en un exemple judiciaire. Moi, j’ajouterai, d’un magistrat exemplaire en un exemple humain». Il s’est également interrogé pourquoi la déontologie des juges fait l’objet d’une interrogation croissante au niveau international depuis une dizaine d’années. Sans vouloir entrer dans les détails de la réponse, laissant le soin aux congressistes de le faire, il a estimé pour sa part que le cœur de la réponse serait dans les propos de Jean Guitton: «Toutes les époques ont leurs lacunes et leurs erreurs. Si l’on me demandait quel est le défaut majeur de la nôtre, je répondrais que c’est la confusion et le renversement des valeurs».
Avocat de profession, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth, le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui, a précisé que la déontologie a un but et non des moindres: donner les garanties nécessaires aux magistrats d’une part, mais exiger aussi de leur part un comportement qui inspire confiance. «Si je dois citer les grandes valeurs de la déontologie comme je les conçois, ces grandes valeurs seraient: l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, le devoir de réserve et de transparence. Mais le juge doit aussi jouir en sa personne des qualités de sagesse, de bon sens, d’humanité mais surtout de courage et de modestie». Selon le ministre, il n’y a pas d’Etat de droit en l’absence d’un pouvoir judiciaire indépendant. Et s’il n’y a pas de pouvoir judiciaire indépendant malgré l’existence de toutes les lois possibles, s’il n’y a pas des juges courageux pour vivre cette indépendance. Enfin pour être courageux, a-t-il souligné, indépendant et donc jouir de la confiance des justiciables, le magistrat doit oublier ses intérêts personnels. «C’est ainsi qu’on est courageux, vis-à-vis des hommes politiques et des gens au pouvoir, également courageux à l’égard des justiciables et des collègues, surtout les plus haut placés». En conclusion, il a précisé qu’il aurait pu tenir un autre discours, se contenter d’accueillir les participants mais il a voulu partager à haute voix ses soucis et ceux d’une grande majorité des magistrats libanais. «Malgré cela, je reste optimiste quant à l’avenir. Les valeurs de courage, de modestie et de transparence ne manqueront jamais à la majorité de nos magistrats».
Durant deux jours, des ateliers de travail ont porté sur différents thèmes tels que la place et le contenu d’une déontologie dans les dispositifs normatifs s’imposant au juge, déontologie du juge et celle des autres. Les participants se sont également interrogés s’il fallait codifier la déontologie. Ils se sont aussi penchés sur la vigilance en matière déontologique: prévention et sanction ainsi que sur le recrutement, avancement et carrière des juges.
Joëlle Seif
Serment prêté par les magistrats
L’article 46 de la loi sur la magistrature judiciaire dispose que «les magistrats, une fois nommés et avant la prise de fonction, prêtent le serment dont la teneur suit: «Je jure par Dieu de remplir ma fonction judiciaire entièrement avec probité et impartialité, et d’être juste entre les hommes, de sauvegarder fidèlement leurs droits, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat».
Indépendance
Selon le bâtonnier Nouhad Jabre, l’avocature complètement indépendante, aspire à une magistrature également indépendante envers toutes les autres autorités. Il est donc du devoir de l’avocature, comme des Ordres des avocats dans tous les Etats de droit, d’œuvrer en faveur d’une magistrature indépendante pour le bien de ces Etats.
Les valeurs dans l’habit
Dans son allocution, le président Fahed a expliqué que le magistrat revêt l’ensemble des valeurs qu’il devrait posséder. «Ainsi, la toge du magistrat symbolise par sa couleur noire l’austérité et le renoncement au monde. Le tissu argenté pendant des épaules évoque la noblesse, l’honneur et le courage dans la proclamation du droit. Le tissu rouge -quand on le reçoit – exprime la ténacité jusqu’au martyre. Quant au rabat blanc, il représente la transparence, la conscience et la parole calme et réfléchie. Enfin l’épitoge symbolise l’éminence et la sublimité».