Pour clôturer le mois de la Francophonie, l’Institut français du Liban a organisé, les 22 et 23 mars, au Théâtre Montaigne de l’IFL, un festival mené par Blaise Merlin, directeur artistique de La voix est libre. Ce dernier répond aux questions de Magazine.
L’imprévisible et la différence sont deux notions qui caractérisent votre art. Comment?
Nous sortons de toutes les formes habituelles de concerts et de spectacles. Il s’agit d’un festival qui parle de l’art de la rencontre avec le public. Nous essayons de faire ressortir l’aspect positif du choc des cultures, voire des civilisations, parce que la vie a besoin de diversité et d’imprévu pour s’épanouir. Nous tentons aussi de montrer les plus beaux exemples de dialogues fertiles entre des gens de partout et d’inventer des langages qui parlent du monde multiculturel d’aujourd’hui. Concrètement, des soirées hors de tout cadre de style et de durée avec des artistes venant de tout horizon sont régulièrement organisées. Ce festival est un voyage vers l’Autre dans le souffle organique de l’improvisation.
Comment participez-vous à la lutte contre le clivage des genres et des identités humaines?
Ce festival est une contribution qui ouvre la voie à de nouveaux chemins pour toutes ces formes de dialogue et chaque année à Paris, c’est la joie du public de découvrir de nouvelles formes d’expression et de pouvoir se sentir éclairé et stimulé par des échanges humains. La création naît de la diversité, du hasard et de la rencontre, alors que l’uniformisation politique ou culturelle mène à la destruction totale.
Avez-vous réussi à créer un mouvement unique propre ayant une cause bien définie?
En France, le festival est très connu et il s’exporte hors de Paris. Nous disposons d’artistes qui ne se connaissaient pas et pour qui le fait de dépasser les clivages esthétiques leur permet de décupler leurs forces et leurs pratiques. Cela fait reconnaître l’improvisation comme art et comme une urgence dans un monde où tout va très vite. Le «libre-étrange» se base davantage sur le partage des imaginaires et sur le dépassement de soi à travers l’Autre que sur un rapport de concurrence et de compétition qui l’écrase. Il est important de sortir des clivages entre musique populaire et musique savante, d’où l’importance des échanges. Le public est plus attentif à une programmation référencée. Dans mon quartier, j’ai appris que pour comprendre l’Autre, il faut entendre son chant intérieur. Les artistes sont là pour nous faire sentir cette diversité.
Dans l’art et la culture, le consommateur a remplacé l’amateur. Nous vivons, depuis cette vague de mondialisation, dans une société grégaire baignant dans une économie de dépendance. Cherchez-vous à battre le consumérisme intellectuel en engendrant un nouveau courant de pensée à travers votre art?
Je ne parlerai pas de nouveau courant de pensée, mais plutôt de désir de vérité et de vie face aux mensonges publicitaires, à la récupération commerciale des cultures et des modes fabriquées de toutes pièces par les systèmes de production et de diffusion «officiels». Il s’agit de se réapproprier la liberté d’expression sous ses formes les plus vivantes, les plus vibrantes et les plus «respirantes». Aujourd’hui, il y a une urgence, celle de défendre la liberté d’expression libre et expressive. Nos artistes sont donc capables de se mettre à nu, de lâcher prise en restant eux-mêmes, de nous offrir les plus belles recettes pour nous ouvrir aux autres… L’Uni-formé-ment: l’humanité sera poly-gammes ou ne sera pas!
Ce consumérisme de masse qui n’épargne pas la culture crée-t-il une société en souffrance?
Oui, parce que c’est une société basée plus sur la peur, la peur d’exprimer ses souffrances et ses désirs, alors que dans l’expression, on a besoin d’éprouver nos propres limites et de les dépasser sans avoir peur de l’autre ou d’un quelconque système oppressant ou uniformisateur. La force de ce festival réside dans le fait de nous libérer parce que chez nous la loi est «vibre»!
Pouvez-vous nous parler davantage du festival La voix est libre, au sein duquel se sont déchaînées les passions dionysiaques et les libertés apolliniennes?
C’est un immense honneur que d’être invité par l’IFL à Beyrouth où la liberté d’expression et les désirs d’ouverture ont su résister à toutes les formes de violence et de confrontation. Je me sens porteur d’une véritable responsabilité avec la chance qui m’est offerte d’organiser ce festival ici. Pour cela, j’ai réuni les artistes les plus emblématiques pour construire deux soirées d’une très grande intensité et d’une très grande richesse dont le dénominateur commun n’est autre que la générosité et le partage.
Propos recueillis par Natasha Metni