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Nº 2890 du vendredi 29 mars 2013

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ACTUALITIÉS

Blocage politique, dégradation militaire. La Syrie touche le fond… et creuse encore

Vendredi 22 mars, symbole d’une violence qui n’épargne plus personne, un nouvel attentat a fait 49 victimes dans le centre de Damas à la mosquée al-Imane. Dimanche 24 mars, le président de la Coalition nationale syrienne (CNS), Ahmad Moaz el-Khatib, a démissionné. Le lendemain, la coalition a obtenu de représenter la Syrie à la Ligue arabe. Pendant ce temps-là, le soutien étranger aux rebelles s’accélère. Les pressions américaines s’accentuent. Bachar el-Assad est toujours déterminé.

Réuni en session à Genève vendredi 22 mars, le Conseil des droits de l’homme de l’Onu prolonge d’un an le mandat de la commission d’enquête sur les violations des droits de l’homme en Syrie. Déposée par la Jordanie, le Koweït, le Maroc, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Tunisie et les Emirats arabes unis, la résolution sur la Syrie a recueilli 41 voix pour, une contre (Venezuela) et cinq abstentions (Equateur, Inde, Philippines, Ouganda et Kazakhstan). Le texte invite Damas à coopérer pleinement avec la commission et à fournir d’urgence à ses membres un accès illimité au territoire syrien. Depuis 2011 en effet, cette commission n’a jamais pu s’y rendre. Son enquête est donc exclusivement basée sur le témoignage des réfugiés. La Syrie s’est empressée de rejeter cette demande au motif que la résolution onusienne ignore et a toujours ignoré «le rôle immoral joué par des Etats qui sponsorisent le terrorisme en Syrie, qui financent, entraînent, arment et envoient des terroristes».
Lundi 25 mars, l’Onu décide de rapatrier la moitié de la centaine de personnes qu’elle emploie encore en Syrie en raison de l’augmentation des risques. Signe de la multiplication des attaques sur Damas, le bureau de l’émissaire des Nations unies et de la Ligue arabe en Syrie a fermé; il devra être déplacé au Caire ou à Beyrouth.

Recrudescence des combats
Le même jour, la chute d’un obus sur la place des Omeyades causait la mort d’un civil et les blessures de plusieurs autres. La veille, des tirs avaient fait plusieurs blessés dans le quartier résidentiel de Zouqaq. L’avant-veille de la veille, un attentat de gigantesque ampleur tuait 49 personnes à la mosquée al-Imane, dont un important dignitaire sunnite, le docteur Mohammed Saïd el-Bouti. L’imam de la mosquée al-Haram à La Mecque, un dignitaire wahhabite, Abdel-Rahmane as-Sudeiss appelait à se réjouir de la mort d’«un activiste de la voie de Satan». Et la liste continue: Damas n’est plus épargnée.
A Homs, les combats se poursuivent dans le quartier de Baba Amr où l’armée reprend du terrain, deux semaines après l’offensive rebelle. Dans le sud, les combattants anti-régime auraient pris le contrôle d’une bande de 25 kilomètres entre la Jordanie et le plateau du Golan. Dans cette zone, la Syrie accuse la Jordanie d’avoir laissé pénétrer 2500 combattants lourdement armés. Alors que plusieurs salves de tirs ont été échangées ces derniers jours de part et d’autre du plateau du Golan, le ministre israélien de la Défense a promis une réaction immédiate à d’éventuels tirs syriens. Moshé Yaalon a prévenu qu’il tiendrait pour responsable le régime de Bachar el-Assad de «toute violation de la souveraineté israélienne».
Un commandant de l’Armée syrienne libre (ASL), la principale composante de la rébellion, le colonel Riad el-Assaad, a été blessé dans l’explosion d’un engin piégé dans la région orientale de Deir Azzor. Il semble que le colonel dissident ait «perdu une jambe». Riad el-Assaad, un des premiers officiers supérieurs de l’armée à faire défection en juillet 2011, a été transporté en Turquie. S’il avait été nommé chef de l’ASL, son rôle avait été marginalisé après la nomination du général Salim Idriss comme chef d’état-major.
Dans la campagne d’Alep, autorités syriennes et rebelles s’accusent à nouveau d’avoir recours aux armes chimiques. A ce sujet, une enquête des Nations unies devrait être ouverte, une enquête à laquelle exigent de faire partie les Russes. Il n’est pas étonnant que malgré les rumeurs persistantes et les confirmations des deux parties, les chancelleries occidentales restent muettes. En effet, l’utilisation d’armes chimiques avait été à maintes reprises définie comme «la ligne rouge à ne pas franchir» et comme une «cause légitime d’intervention». Dans ce contexte, officialiser l’utilisation de ces armes entraînerait soit une intervention militaire soit un reniement. Deux options politiquement inenvisageables.
Deir Azzor, Alep et Idlib sont toujours le théâtre de combats acharnés. Dans le pays, l’OSDH dénombre parfois plus de 150 morts par jour.
Comme on ne peut regretter les conséquences dont on chérit les causes, la surenchère dans la violence n’est pas une surprise.

Soutien étranger
Selon le New York Times, le volume d’armes livrées par la Jordanie, le Qatar, l’Arabie saoudite ou la Turquie a considérablement augmenté depuis l’élection américaine de novembre 2012. 160 avions cargos auraient déjà déposé à l’aéroport d’Ankara, 3500 tonnes de matériel militaire. La CIA apporte quant à elle un soutien logistique. Les armes sont souvent achetées en Croatie par les Etats fournisseurs avant d’être distribuées. Depuis quelques jours, des responsables américains ont reconnu instruire des combattants syriens en Jordanie dans les colonnes de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Un premier contingent de 300 hommes originaires du sud de la Syrie aurait effectué son retour en Syrie après une période de formation intensive d’un mois. Plusieurs autres arriveraient pour être formés à leur tour.
Ces dernières semaines, la France et l’Angleterre, qui comptaient jusque-là obtenir un soutien européen, n’ont pas exclu de livrer des armes à l’opposition syrienne même en l’absence d’un accord continental. En langage diplomatique, on dit «prendre ses responsabilités». Du côté de l’union des 27, les désaccords sont clairs et on n’imagine pas qu’ils se résorbent sous peu.
Cependant, la question de la levée de l’embargo sur les armes, et celle tout entière du soutien aux rebelles se heurtent à la désorganisation de l’opposition, dont les différents courants parviennent de moins en moins à cacher leurs divergences. Comme dit Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, «simplement, les choses se compliquent».

Une opposition morcelée
«J’annonce ma démission de la Coalition nationale afin de pouvoir œuvrer avec une liberté que je ne peux pas avoir au sein d’une organisation officielle». C’est en ces termes dimanche matin qu’Ahmad Moaz el-Khatib mettait un terme à sa mission à peine quatre mois après avoir été choisi. Fermement opposé à la nomination du Frère musulman américain Ghassan Hitto au poste de Premier ministre «des territoires libérés», ce point d’achoppement aurait été la divergence de trop pour un homme qui avait pensé démissionner depuis un certain temps. Il reprocherait au Qatar d’avoir imposé Ghassan Hitto face à Imad Moustafa soutenu par Riyad. Les rivalités saoudo-qataries ne sont pas négligeables. Son principal bailleur de fonds, le Premier ministre du Qatar Hamad Ben Jassem Al Thani lui a publiquement demandé de revenir sur sa décision à la veille du sommet arabe de Doha. Suite à quoi le président démissionnaire s’est résolu à se rendre dans la capitale qatarie pour y prononcer un discours «au nom du peuple syrien».
En mal de légitimité, la Coalition nationale syrienne, obtenait pourtant quelques heures après, le siège de la Syrie à la Ligue arabe. Un siège inoccupé depuis un an et demi. Seuls l’Algérie et l’Irak ont manifesté leur réticence. Damas fustige.
Sur le terrain, la situation se bloque, en coulisse Russes et Américains œuvrent pour arriver en position de force à la table des négociations. A ce petit jeu-là, il y a déjà un perdant, la Syrie.

Antoine Wénisch
 

Vols Téhéran-Damas: Kerry veille…
En visite éclair et surprise à Bagdad, le secrétaire d’Etat américain a rencontré le Premier ministre irakien Nouri el-Maliki. John Kerry a ordonné au dirigeant chiite de s’assurer que les vols iraniens empruntant l’espace aérien de son pays ne transportent pas d’armes à destination de Damas. «Ce qui ne peut qu’aider le président Assad» doit être empêché. Selon un haut responsable de l’Administration américaine, l’Irak n’aurait inspecté que deux vols depuis juillet dernier. Bagdad a demandé à Washington de lui fournir davantage de renseignements à ce sujet.

Feu sur al-Nosra
Selon le Los Angeles Time, la CIA pourrait utiliser des drones contre des islamistes radicaux en Syrie. Alors que la présence de jihadistes plus ou moins directement liés à al-Qaïda suscite des inquiétudes croissantes au sein de la communauté internationale, le quotidien américain révèle que la CIA est en train de recueillir des informations sur quelques combattants afin de les liquider ultérieurement par des frappes de drone. Les agents en charge de cette mission seraient basés dans le quartier général de la CIA à Langley en Virginie. Ils auraient formé une unité commune avec leurs collègues ayant suivi les exploits d’al-Qaïda en Irak.

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