Magazine Le Mensuel

Nº 2892 du vendredi 12 avril 2013

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La cathédrale Saint-Marc attaquée. Les Coptes ont peur

Pour la première fois en Egypte, des accrochages sanglants ont lieu sur les marches de la cathédrale Saint-Marc, «al-Morcossia», siège du patriarcat copte orthodoxe. Cet acte, sans précédent, donne un relief encore plus grave à l’affrontement qui a fait 2 morts et environ 89 blessés dimanche 7 avril.

Au sein de la cathédrale Saint-Marc, une messe avait servi d’épilogue religieux au drame qui a secoué le village d’al-Khoussous le 6 avril. Dans ce village déshérité de Qalioubiah, au nord du Caire, musulmans et chrétiens entretiennent des relations cordiales depuis des décennies. Mais le samedi 6 avril après-midi, des enfants mal inspirés tracent une grande croix gammée sur un institut religieux. Un musulman d’une cinquantaine d’années les réprimande d’un ton sévère, puis insulte les chrétiens et leur croix. Un jeune chrétien l’entend et s’insurge. Soudain, l’échange d’injures provoque des coups de feu. La querelle s’achève par la mort de cinq hommes (quatre chrétiens et un musulman), et plusieurs blessés. Les services de sécurité interviennent et parviennent à rétablir le calme. Selon la presse gouvernementale, le même soir, les religieux musulmans et chrétiens du village se rassemblent pour appeler leurs ouailles à la réconciliation.
Dimanche matin, des centaines de villageois accompagnent les cercueils des quatre martyrs à la cathédrale Saint-Marc, où ils recevront un dernier hommage. Des milliers de fidèles affluent. L’assistance est survoltée, des slogans antigouvernementaux sont lancés à pleine voix: «Morsi dégage», «A bas le régime du Guide suprême».
L’évêque Roufaïl, qui officie, tente d’apaiser les fidèles; «Le calme et la prière sont les seuls moyens d’honorer nos martyrs», dit-il. En vain. Les femmes vêtues de noir continuent de sangloter et de pousser des cris stridents, tandis que les hommes troublent la prière par leurs slogans: «A bas le régime du Guide suprême».
L’évêque Roufaïl, qui a pourtant recommandé le calme, dit dans son prêche: «Cette blessure profonde, qui n’est pas la première, laisse trois messages dans mon cœur. On peut ainsi les résumer: le premier message rappelle la foi des Coptes dans la justice divine, le second est un appel au nationalisme: «Nous ne partirons pas, un gouvernement ne peut pas diriger un pays en versant du sang; le troisième message encourage les chrétiens à ne pas abandonner leur foi… à ne pas compromettre les valeurs religieuses qui appellent à l’amour de tous». L’émotion est à son comble. La messe s’achève dans un silence tragique.  

Les agresseurs en embuscade
La grande porte s’ouvre pour laisser passer les hommes portant les cercueils, puis les fidèles commencent à déferler. Soudain, on entend des cris, des injures. Certains jeunes gens reviennent en hâte à l’église: «On nous lance des pierres, on essaye de nous blesser». Les slogans antigouvernementaux reprennent alors avec force. Des jeunes Coptes en colère s’élancent vers le bâtiment voisin dont le toit est occupé par les lanceurs de pierres. Il ne leur faudra pas beaucoup de temps pour trouver à leur tour des pierres, des bâtons… Des coups de feu éclatent, des cocktails Molotov sont lancés, tandis que la majorité des fidèles quittent la cathédrale par des portes latérales.
Il serait impossible de décrire cet affrontement, filmé par les caméras de chaînes privées (ONTV, CBC…), ce qui permet aux téléspectateurs de suivre en direct toutes les péripéties. Les policiers antiémeute, dans un premier temps, semblent observer une troublante neutralité, puis ils lancent des gaz lacrymogènes sur les assaillants et les victimes. Des policiers forment un cordon devant la porte principale de la cathédrale, lancent aussi des gaz devant l’entrée, ce qui contraint des personnes à se réfugier dans l’église.
La rue semble illuminée grâce aux cocktails Molotov, aux jets de gaz, aux lampes municipales. La bataille s’achève à l’aube du 8 avril.
Un communiqué du ministère de l’Intérieur simplifie les faits. Pour ce ministère, les participants aux funérailles «avaient endommagé des voitures à leur sortie de la cathédrale, ce qui a provoqué des heurts avec les habitants du quartier».
Ce communiqué, pour le moins enfantin, est aussitôt dénoncé. Le ministre de l’Intérieur vient ensuite inspecter la cathédrale, s’informer…
Cette première dramatique restera dans les annales de l’Eglise copte orthodoxe qui, avec ses huit à dix millions de fidèles, est la plus importante du Proche-Orient. La bataille s’est déroulée devant la cathédrale Saint-Marc, le Vatican égyptien, le lieu où résident le pape et les évêques généraux.
Conscient de la gravité de la situation, le président Mohammad Morsi téléphone au pape Tawadros II pendant les affrontements.  On ignore le détail de leur conversation, mais il n’est pas interdit de penser que le chef de l’Etat a présenté des excuses au primat orthodoxe.
Parallèlement, le président Morsi déclare dans un communiqué: «Je considère toute attaque contre la cathédrale comme une agression contre moi-même». Il ordonne aussi une enquête urgente pour déterminer les diverses responsabilités.
Le pape Tawadros II, à la tête de l’Eglise copte-orthodoxe depuis le 4 novembre 2012, refuse de commenter les événements. Il affirme cependant devant la chaîne Nahar «le rejet par les Coptes de l’Etat confessionnel».

Non à l’Etat confessionnel
La crainte de voir l’Egypte se transformer en Etat confessionnel occupe les Coptes depuis bientôt deux ans.
Au départ, durant les journées de janvier-février 2011, de nombreux jeunes Coptes ont participé aux manifestations malgré l’interdit lancé par le pape Chenouda III. Ils sont demeurés des journées entières à la place Tahrir, épicentre de la révolution, ils ont lancé les slogans de l’époque: «Hosni dégage», ils ont jeté leurs chaussures contre les images du raïs, ils ont dansé de joie à l’annonce de son départ.
Bien des Coptes rappellent aujourd’hui avec amertume le temps où, place Tahrir, le croissant et la croix voisinaient, fraternisaient, comme à l’époque de la lutte contre l’impérialisme britannique. Mais la chute du régime Moubarak a laissé la place à de nouveaux occupants: les Frères musulmans et les salafistes.
Les Frères, politisés depuis des décennies, ont toujours pris soin d’affirmer que «les Coptes sont des citoyens à part entière. Les salafistes, en revanche, ont toujours prêché le retour du califat.
Très vite, les Coptes ont été le point de mire des salafistes. A leurs yeux, ce sont des «kouffars», des infidèles. Des citoyens de seconde zone qui n’ont pas voix au chapitre. Ils ont réclamé pour eux l’antique dénomination de «dhimmis», les personnes contraintes de payer un impôt pour avoir le droit de survivre.
La liste des malheurs est longue. Il y a eu en février la destruction de l’église de Sol (voisine du Mokattam), puis une sanglante attaque contre de jeunes Coptes au Mokattam. Le 7 mai, en plein cœur du Caire, les salafistes attaquent deux églises d’Imbaba sous prétexte de délivrer une jeune femme (chrétienne convertie à l’islam) emprisonnée par les moines. Le bilan de l’attaque s’élève à 14 morts et plus de 200 blessés.
«Près de 100000 Coptes ont quitté l’Egypte depuis le mois de juin 2011», affirme Naguib Gébraïl, président de l’Union égyptienne des droits de l’homme, une ONG spécialisée dans les problèmes de la communauté. Aux Coptes qui s’insurgent contre un tel chiffre, Gébraïl répond: «Si mes données étaient inexactes, je n’aurais pas envoyé un rapport au Conseil supérieur des forces armées, et au chef du gouvernement. Je tire la sonnette d’alarme».
Au fil des mois, les drames se succèdent. Elu président de la République, le Dr Mohammad Morsi affirme: «Je serai le président de tous les Egyptiens». Pour les Coptes, comme pour les Egyptiens laïques, libéraux ou de gauche, «Morsi n’a pas tenu parole, il est le 2e homme de la confrérie, le premier rôle étant dévolu au Guide suprême».
 

Denise Ammoun, Le Caire
 

Les dates-clés
– 25 janvier 2011: coup d’envoi de la révolution.
– 11 février 2011: chute de Hosni Moubarak.
– Février à mai: attaques des salafistes contre les Coptes.
– Juin 2012: les islamistes au pouvoir en Egypte.
– 4 novembre 2012: Tawadros II est le nouveau chef des Coptes orthodoxes.
– 25 décembre 2012: adoption d’une Constitution controversée.

 

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