Le système scolaire communautaire libanais ne finit pas de susciter questionnements et inquiétudes en raison de son caractère pluriel. Il arrive même qu’on le rende responsable de tous les maux dont pâtit le Liban. Le recteur de l’Université Saint-Joseph, Salim Daccache s.j., consacre à cette question un ouvrage volumineux préfacé par Jean-Paul Resweber, intitulé Pluralisme, vivre-ensemble et citoyenneté au Liban: le salut vient-il de l’école? Extraits de l’avant-propos.
La recherche a voulu – en se basant sur une analyse des récents textes de mission rédigés et publiés par les écoles (chartes, projets éducatifs, déclarations de mission, etc…) et complétés par des entretiens de responsables et de chercheurs dans le domaine de l’Education – interroger les finalités (pourquoi fonder une école), les objectifs (quoi faire dans cette école) et les valeurs (quelles attitudes de base y transmettre). Les écoles ont ainsi pour mission de mettre en œuvre ces textes dans le processus de formation de l’individu-sujet et d’éducation du citoyen.
L’étude s’est servie des outils de la méthodologie de l’éducation comparée comme discipline des sciences de l’éducation; nous en retenons ce qui suit:
1- Des mutations profondes ont eu lieu ces trente dernières années dans le monde scolaire libanais avec l’émergence de nouveaux réseaux d’établissements, la création d’un écosystème occupé par plusieurs réseaux et la rédaction et la publication de textes de mission.
2- L’ampleur des mutations qui ont eu lieu dans le monde scolaire libanais a laissé ses traces sur le rôle éducatif de l’institution scolaire.
3- Le texte de la réforme de l’Education nationale de 1994, se présente comme une référence en matière de finalités et d’objectifs, dans la mesure où il propose des valeurs éducatives communes en intégrant l’élément religieux et communautaire.
4- Les divers textes des écoles communautaires – bien que divergents sur certains points – convergent sur des principes et des valeurs transcommunautaires; néanmoins, le poids de la référence religieuse dans ces textes reste dominant en tant que facteur intégrateur et identitaire de l’ensemble de la vie scolaire.
5- Des initiatives d’éducation à la découverte et à la reconnaissance de l’autre différent, au rapprochement entre les réseaux scolaires, ainsi que des initiatives de contribution à la construction d’une société pacifiée, sont prises par les différents groupes communautaires.
6- Un souci et une tension permanents habitent l’école dans toutes ses tendances: ceux de former une personnalité de l’élève liée à sa propre communauté et dotée d’une éthique et d’un comportement citoyens.
Une vraie citoyenneté
Ce travail de recherche en éducation comparée sur les projets éducatifs d’établissements scolaires libanais, se propose d’apporter une contribution aux initiatives des nombreux établissements scolaires du Liban qui se veulent être les agents de la construction d’une vraie citoyenneté en vue de contribuer à la mise en place d’un solide vivre-ensemble. De ce fait, les chartes et les projets éducatifs analysés contiennent, tout au moins dans leur forme, les prémices de cette détermination, ce qui met les écoles au défi de mettre en pratique ce qui est énoncé. L’éducation de l’élève sur le plan académique et intellectuel ne peut être dissociée de son éducation morale, sociale et citoyenne. En tant qu’école communautaire, cette dernière n’a pas pour tâche de dépasser les particularités et de les renier, mais de trouver au cœur même du particulier, les germes de l’universel et les valeurs transcommunautaires. Un seul réseau scolaire ne peut, à lui seul, relever ce défi, d’où la nécessité que tous les réseaux se liguent pour inventer les instruments éducatifs et les modèles pédagogiques nécessaires à la réalisation de ce qu’ils revendiquent comme projet.
Le témoignage de Resweber
Jean-Paul Resweber est un philosophe français, auteur de plusieurs livres sur l’interdisciplinarité, sur l’éducation et sur les pédagogies nouvelles. Il écrit dans sa préface: «En mettant en perspective les points communs et les différences existant notamment entre l’enseignement “chrétien” et l’enseignement “musulman”, (le travail de Salim Daccache) débouche sur des propositions explicitant les convergences qui sous-tendent les discours (textes officiels, chartes, textes de référence religieux, projets éducatifs) et les pratiques diversifiées de l’enseignement officiel et surtout de l’enseignement privé religieux et privé non religieux. Les enjeux sont de taille et prennent la forme d’un défi, puisqu’ils visent à édifier l’“identité” libanaise sur les bases d’un pluralisme religieux, linguistique, culturel et communautaire».