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Nº 2894 du vendredi 26 avril 2013

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Escalade militaire, blocage politique en Syrie. C’est parti pour des années

Les lignes de front ont changé en Syrie ces cinq dernières semaines. Une offensive générale lancée par l’armée syrienne à Damas, Homs et Idleb modifie les équilibres militaires et compromet les efforts des rebelles de lancer la «bataille finale» contre la capitale syrienne. Ces développements inattendus, couplés à un blocage politique entre la Russie et les Etats-Unis, risquent de prolonger pour des années le conflit syrien.

L’assassinat des quatre généraux syriens chargés de diriger la lutte contre les rebelles (dont le beau-frère du président Assad, Assef Chaoukat), le 18 juillet 2012, a donné le signal d’une vaste offensive de l’opposition armée sur l’ensemble du territoire syrien. Depuis ce jour, l’armée régulière est sur la défensive. Elle a reculé un peu partout; s’est retirée de régions entières, notamment des campagnes de Damas, Homs, Idleb, Raqqa, Deir Ezzor et Daraa; a perdu le contrôle d’une partie d’Alep, la deuxième ville du pays et de plusieurs aérodromes militaires. Les insurgés sont arrivés aux portes de Damas et se battent à moins d’un kilomètre de la place des Abbassides, dans le quartier de Jobar.
Les succès des rebelles sont dus à plusieurs facteurs. En prenant le contrôle d’une grande partie de la frontière avec la Turquie et l’Irak, ils ont pu acheminer, assez facilement, hommes, armes et matériels.
En plus des milliers de Syriens qui ont pris les armes contre le régime, de vastes réseaux internationaux ont fait passer, dans le pays, des jihadistes de 29 nationalités au moins, selon un rapport des Nations unies. L’envoyé spécial arabe et international, Lakhdar Brahimi, a avancé le chiffre de «quarante mille combattants arabes et étrangers en Syrie», lors d’une intervention devant le Conseil de sécurité, lundi dernier. Ils viennent surtout de Libye, de Tunisie, des pays du Golfe, du Pakistan, de Tchétchénie, mais aussi des pays européens, notamment la France, la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que des Etats-Unis (Voir encadré). Les jihadistes étrangers rejoignent principalement les rangs du Front qaïdiste al-Nosra et d’autres groupes extrémistes.

Armes et matériels affluent
Ces rebelles, regroupés dans plus d’une cinquantaine de brigades plus ou moins organisées et efficaces – y compris l’Armée syrienne libre (ASL) – ont reçu un financement, des armes, du matériel militaire et un entraînement, fournis par la coalition internationale mise en place pour combattre le régime syrien, sous la direction des Etats-Unis. Selon des sources occidentales, les achats d’armement sont financés par l’Arabie saoudite et le Qatar. Les armes proviennent essentiellement des arsenaux libyens et de Croatie. Le New York Times a rapporté que 3500 tonnes d’armes ont été achetées dans ce pays avant d’être transportées vers des aéroports turcs et jordaniens dans des avions affrétés par l’Arabie saoudite, le Qatar et le royaume hachémite.
Un rapport des Nations unies élaboré par un groupe d’experts du Conseil de sécurité indique, pour sa part, que «des combattants libyens ainsi que des armes et des munitions provenant de ce pays, sont arrivés en Syrie dans le cadre d’opérations organisées par des parties basées en Libye ou dans des pays voisins de la Syrie, parfois, avec leur consentement». Les experts, qui font partie de la commission des sanctions contre la Libye au Conseil de sécurité, indiquent que «les armes libyennes ont été envoyées en Syrie via la Turquie ou le Liban-Nord».
La France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et d’autres membres de l’Otan ont fourni aux rebelles du matériel de communication moderne, des équipements médicaux utilisés sur les champs de bataille et, dans certains cas, des munitions. Londres a annoncé son intention d’équiper les insurgés en véhicules blindés pour le transport de troupes.
Les médias américains et britanniques ont, par ailleurs, révélé que des instructeurs militaires américains ont formé et entraîné des centaines de rebelles syriens (1500 à 2500) dans des bases de l’armée jordanienne, dans le royaume.
Un diplomate européen en poste à Beyrouth affirme, dans ce contexte, que «le feu vert donné par la Ligue arabe à ses membres pour armer les rebelles vise, en fait, à légaliser, avec effet rétroactif, une décision qui était mise en œuvre depuis des mois. Les armes ont déjà été livrées et sont utilisées sur le champ de bataille», a-t-il affirmé à Magazine.
Ces efforts exceptionnels, couplés aux fissures apparues au sein du régime syrien, avec la multiplication des dissidences militaires et politiques, ont contribué aux succès enregistrés par les rebelles ces dix derniers mois. Il faut pourtant relativiser l’importance des défections au sein de l’armée. Un expert militaire libanais affirme que «sur les 42000 officiers de l’armée syrienne, seuls 1500 auraient rejoint les rangs des rebelles ou quitté le pays».

Contre-offensive générale
Mais la situation a changé d’une manière inattendue, il y cinq semaines. Alors que tout le monde attendait la «bataille finale de Damas» lancée par les rebelles, c’est l’armée syrienne qui est passée à l’offensive sur tous les fronts.
Tout a commencé dans la seconde moitié de mars. Une attaque menée par une colonne motorisée de 200 véhicules à partir de Salamiya, à Hama, a permis à l’armée régulière d’ouvrir une route de ravitaillement vers le sud d’Alep. Cette offensive éclair a atteint son objectif qui était de désenclaver l’aéroport international d’Alep, sur le point d’être encerclé par les rebelles, ainsi que le vaste complexe militaro-industriel situé au sud de la métropole. Sans doute trop confiants dans leur supériorité et dans l’inévitabilité de leur victoire, les rebelles ne s’attendaient pas à cette attaque. L’armée a sécurisé en un temps record les villages situés sur cette route de plus de 120 kilomètres et a éloigné les insurgés des environs de l’aéroport, avant de pousser son avantage dans le but d’opérer une jonction avec les troupes situées au sud d’Alep. Depuis, d’importants renforts arrivent dans la région.
Les équilibres militaires établis depuis des mois autour de Damas ont aussi été bousculés. Utilisant encore une fois la tactique de l’attaque éclair, menée par des colonnes motorisées mobiles et rapides, l’armée a réussi à contourner puis à encercler le fief des rebelles appelé la Ghouta orientale (est de Damas). Cette offensive a été lancée vers la localité de Oteiba (à 30 kilomètres de la capitale) à partir de deux axes: le premier part de l’aéroport de Damas et de la localité de Awamid et le second de la localité de Doumeir et de son aérodrome militaire. Les troupes ont d’abord brisé le blocus imposé à un bataillon dans le village de Adra, avant de poursuivre leur progression. Cette attaque a permis à l’armée régulière d’encercler la Ghouta orientale, où sont retranchés des milliers de rebelles, et d’où les renforts et le ravitaillement étaient envoyés aux insurgés à Jobar.
Dans le même temps, les troupes régulières ont repris le contrôle de Daraya (malgré la subsistance de quelques poches isolées), où était installé le QG rebelle pour la Ghouta occidentale (sud-ouest de Damas). La route de l’aéroport, qui sépare les Ghouta orientale et occidentale, est pratiquement sécurisée et le trafic aérien a repris.
Les offensives, lancées par l’armée régulière autour de Damas, visent à empêcher les forces rebelles d’opérer la jonction entre les Ghouta orientale et occidentale, condition sine qua non pour assurer les conditions nécessaires au succès de toute offensive contre Damas. Une telle jonction assurerait aux rebelles une continuité géographique allant du nord-est de la capitale à leurs fiefs dans la province de Daraa, au Sud, en passant par la Ghouta occidentale.

Progression à Idleb et Homs
Alors que les combats faisaient rage autour de Damas, une autre colonne de l’armée a réussi, à la mi-avril, à briser le blocus imposé depuis six mois à deux bases militaires stratégiques situées dans la province d’Idleb (nord), près de la ville de Maarat al-Nohman, tombée entre les mains des rebelles en novembre. Le désenclavement des bases de Wadi Deif et de Hamidiya a permis d’approvisionner les soldats qui y étaient encerclés et de reprendre le contrôle d’une portion de l’autoroute Damas-Alep au niveau de Maarat al-Nohman, qui reste cependant sous le contrôle des rebelles. Capitalisant sur ce succès qui a désorganisé les rebelles, l’armée a poursuivi sa progression dans la campagne de la province d’Idleb, renforçant son contrôle sur le chef-lieu, qui porte le même nom.
La semaine passée, l’offensive de l’armée syrienne s’est déplacée vers la campagne située au sud-ouest de la ville de Homs, dans la région de Qoussair. Entre le vendredi 19 et le mardi 23 avril, les troupes régulières, appuyées par les «comités populaires», ont occupé une vingtaine de villages et se trouvent désormais aux abords de cette ville, située à 12 kilomètres de la frontière libanaise, et considérée comme une des principales places fortes des insurgés.
«L’armée est en train de mener la bataille sur les fronts nord et est de la région de Qoussair et le Hezbollah est sur les fronts sud et ouest», plus proches de la frontière libanaise, a précisé à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH, basé à Londres.
«L’armée syrienne poursuit son avancée dans la région de Qoussair et la prise de la ville n’est plus qu’une question de quelques jours», a renchéri une source militaire syrienne citée par la chaîne de télévision Russia Today.
Dans cette région appelée le bassin de l’Oronte, les «comités populaires» sont essentiellement formés de Libanais, chiites en majorité, résidant dans une vingtaine de villages situés en territoire syrien. Ils sont formés, entraînés, encadrés et armés par le Hezbollah. Certains sont membres du parti ou d’autres formations libanaises, comme le Parti syrien national social (PSNS) ou le Baas. Les effectifs de cette force sont estimés à quelque 5000 hommes dans le bassin de l’Oronte.

Changement de tactique
Les développements survenus sur le terrain en faveur du régime sont dus à plusieurs facteurs. Après les importants revers infligés par les rebelles ces dix derniers mois, le commandement syrien a compris que son armée, structurée pour des guerres classiques contre Israël, n’est pas habilitée à mener une guerre de guérilla urbaine et rurale. Un vaste chantier de restructuration a été entamé avec le concours direct de conseillers et d’instructeurs iraniens et du Hezbollah. Des unités ont été regroupées, d’autres ont été dissoutes et la priorité a été donnée à la mobilité et aux actions rapides, menées par des unités motorisées de taille moyenne.
Dans le même temps, les «comités populaires», formés des habitants des localités pro-régime et les milices du parti Baas ont été regroupés au sein d’une armée parallèle, appelée l’Armée de défense nationale. Ce corps de 60000 à 80000 hommes a été doté d’un état-major et d’une chaîne de commandement. Ses membres, hommes et femmes, ont subi un entraînement de trois mois au maniement des armes et aux tactiques de guérilla, sous la supervision des conseillers iraniens et du Hezbollah.
Ensuite, les tâches ont été réparties entre les forces du régime et ses alliés. Les organisations palestiniennes sont chargées de défendre les camps, notamment celui de Yarmouk, à Damas. Le FPLP-CG d’Ahmed Gibril est chargé de surveiller la frontière face à la Békaa-Ouest, à Qossaya et aux alentours. Des combattants irakiens proches de Moqtada Sadr et des unités du Hezbollah défendent les lieux saints chiites, notamment le Mausolée de Saydé Zeinab, au sud de Damas.
La conséquence de ces développements militaires, plus particulièrement autour de la capitale, est que la grande bataille de Damas, dont les préparatifs se déroulaient d’arrache-pied depuis des mois, n’aura pas lieu dans les mois à venir. Dans un entretien au quotidien saoudien Ach Shark al-Awsat, le porte-parole du secteur sud de l’Armée syrienne libre, Matar Ismaïl, affirme que «la bataille de Damas n’aura pas lieu dans les prochaines semaines, comme l’affirment les médias. Après l’ouverture (par l’armée) des fronts de Oteiba et de la Ghouta orientale, à partir de Doumeir et de l’aéroport, le lancement de l’offensive contre la capitale a été reporté», a-t-il dit.
Si, à un certain moment du conflit, l’existence d’un plan B consistant à un repli du régime vers les régions alaouites a été évoquée par les médias, aujourd’hui, ce scénario semble s’éloigner. «Le régime n’a pas encore perdu le contrôle de la capitale ni des grandes villes du pays, ce qui retarde la perspective (d’un réduit alaouite)», écrit Patrice Balanche, un des plus éminents experts français sur la Syrie, dans un article paru dans la revue italienne de géopolitique Limes, en mars. «N’oublions pas que son objectif premier, à travers la stratégie de contre-insurrection mise en œuvre, vise avant tout à conserver le pouvoir sur l’ensemble du territoire. Vu d’Occident, cela semble utopique, mais concrètement, nous n’avons aucun signe tangible prouvant sa défaite à court terme».
Pour toutes ces raisons, la guerre en Syrie est partie pour durer encore des années, surtout que les conditions d’une solution politique entre Russes et Américains n’ont pas encore mûri.

Paul Khalifeh

 

Jihadistes internationaux
La police belge a mené, la semaine dernière, des dizaines de perquisitions dans les milieux islamistes soupçonnés de recruter des combattants pour la Syrie. Elle a procédé à plusieurs interpellations, indiquent les médias belges. Cette vague de perquisitions fait partie de la réponse des autorités belges au départ de jeunes radicaux, qui suscite une forte émotion en Belgique depuis plusieurs semaines. Selon les autorités du royaume, quelque 80 ressortissants belges, dont une majorité est originaire des villes flamandes d’Anvers, Malines et Vilvorde, ont rejoint les rangs des combattants rebelles et une douzaine d’entre eux auraient été tués.
Les responsables belges, du gouvernement aux autorités des villes concernées, ont multiplié les réunions ces derniers jours pour tenter d’endiguer ces départs.
Par ailleurs, Raphaël Gendron, un Français de 38 ans proche des milieux islamistes belges, a été tué dimanche 14 avril alors qu’il combattait dans les rangs d’une brigade islamiste.
D’autre part, un Américain placé sous surveillance depuis des mois et soupçonné de vouloir s’engager dans des actions terroristes en Syrie, a été arrêté à l’aéroport de Chicago, a annoncé le FBI.
Le FBI avait tendu un piège à Abdella Ahmad Tounisi, 18 ans, en créant un faux site de recrutement pour Jabhat al-Nosra, un groupe lié à al-Qaïda, et Tounisi discutait depuis trois semaines de projets terroristes avec un agent infiltré.

Appels au jihad
Deux cheikhs salafistes libanais ont lancé un appel au jihad, invitant les sunnites à s’enrôler pour défendre «leurs frères syriens» face aux attaques du Hezbollah.
L’imam de la mosquée Bilal Ben Rabah, le cheikh Ahmad el-Assir, a annoncé la formation des «brigades de la résistance libre à Saïda». «Tous ceux qui se sentent menacés par le Hezbollah sont appelés à former des cellules de cinq personnes par unité pour se défendre», a indiqué le cheikh Assir, qui a également prononcé une fatwa permettant aux «jeunes Libanais résidants ou émigrés de se battre pour défendre le village de Qoussair en Syrie».
Le cheikh salafiste Salem Raféi a lui aussi annoncé, à l’issue d’une réunion de ses partisans à Tripoli, «une mobilisation générale pour venir en aide aux sunnites qui sont agressés dans la région de Qoussair».
L’ancien chef du gouvernement, Saad Hariri, a dénoncé les appels au «jihad de la discorde» émanant aussi bien des milieux sunnites que du Hezbollah.

Le flou entoure le sort des évêques
Le diocèse grec-orthodoxe d’Alep, dans le nord de la Syrie, était toujours sans nouvelles mercredi des deux évêques enlevés, a affirmé à l’AFP un prêtre du diocèse. «Nous n’avons pas de nouvelles informations. Nous ne pouvons pas dire qu’ils ont été libérés», a indiqué le prêtre Ghassan Ward. «Nous n’avons eu aucun contact avec Mgr Youhanna Ibrahim, évêque syriaque-orthodoxe d’Alep, et Mgr Boulos Yazigi, évêque grec-orthodoxe de la même ville», a-t-il poursuivi, indiquant que les efforts pour leur libération se poursuivaient. «Nous sommes très inquiets», a souligné le prêtre.
La Grèce doute également de la libération effective des deux évêques orthodoxes. «Plusieurs médias internationaux et grecs, citant diverses sources, font état de la libération des deux évêques. Jusqu’ici, ces informations n’ont pas été officiellement confirmées», indique un communiqué du ministère grec des Affaires étrangères publié dans la nuit de mardi à mercredi.
Des extrémistes tchétchènes, combattant en Syrie dans les rangs des rebelles, avaient kidnappé lundi les deux évêques et tué leur chauffeur, le diacre de Mgr Yazigi, d’une balle dans la tête.
Les deux prélats ont été enlevés alors qu’ils menaient un travail humanitaire dans un village d’Alep pour tenter d’obtenir la libération d’habitants et de religieux kidnappés depuis plusieurs mois par des extrémistes, selon plusieurs sources médiatiques. Ils venaient de franchir la frontière turco-syrienne au niveau de Bab el-Hawa lorsque leur véhicule a été intercepté par des miliciens armés qui se sont emparés de leur voiture.

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