Magazine Le Mensuel

Nº 2894 du vendredi 26 avril 2013

POLITIQUE

Gouvernement, loi électorale. La fin des illusions

Alors que les délais constitutionnels approchent à grands pas, le retour en force de l’antagonisme entre les deux camps, à la faveur des implications libanaises sur le front syrien, rend improbable une entente sur une nouvelle loi électorale et la formation d’un nouveau gouvernement.

Mardi, au sortir de la dernière réunion de la sous-Commission électorale, les déclarations de ses membres, mises bout à bout, ont parfaitement décrit la situation du moment. Tour à tour, sans se regarder, ils se sont succédé au pupitre du Parlement pour exprimer leur position, comme s’ils se réunissaient pour la première fois. Solennels et le visage grave, Robert Ghanem, Ahmad Fatfat, Ali Fayyad, Serge Toursarkissian, Akram Chéhayeb, Ali Bazzi, Georges Adwan, Alain Aoun, Hagop Pakradounian et Sami Gemayel ont pris acte de l’inutilité de ces réunions. L’échec est patent. L’unanimité des chrétiens sous le parapluie de Bkerké, les espoirs d’un consensus sur une loi mixte entre le Futur, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste (PSP), tous balayés par l’escalade des tensions à la frontière syrienne. Chaque parti dans son bercail. Voilà le pays revenu au sommet de l’antagonisme entre les deux camps. Les solutions prônées au moment de la nomination de Tammam Salam et de la suspension des délais afférents à la loi de 1960 semblent déjà inatteignables.     

A Berry de décider
L’implosion de la sous-Commission était devenue inexorable. L’entrée en scène du Hezbollah en Syrie a offert au 14 mars, et sur un plateau d’argent, l’opportunité de dynamiter les maigres acquis de mois de débats stériles et fouillis. Aux dires du parti de Dieu et de ses alliés, le lien entre la situation en Syrie et la loi électorale est hors de propos. L’occasion encore pour les deux camps de rejeter sur l’autre la responsabilité de cet échec. Jusqu’à la dernière seconde, Nabih Berry, en recevant l’ensemble des membres de la sous-Commission, a tenté de les convaincre de poursuivre leurs travaux. Peine perdue. C’est Georges Adwan, pour les Forces libanaises, qui s’est chargé d’asséner le coup fatal. Le président de la Commission Robert Ghanem en a pris acte.
La situation s’est paradoxalement éclaircie grâce à la suspension des travaux de la sous-Commission. Les partis politiques ont jusqu’au 15 mai pour s’entendre sur une loi électorale. Le président du Parlement et le député Ghanem ont été très clairs sur le sujet: rien n’empêche les membres de la Commission de rendre compte de la position des uns et des autres à leurs leaders politiques, ni les partis de poursuivre leurs discussions. L’escalade du moment sur le terrain syrien semble exclure l’hypothèse d’un consensus politique sur une loi.
Arrivera donc dans une vingtaine de jours la date de la séance plénière du Parlement. Mardi, Alain Aoun et Sami Gemayel ont clairement appelé le président Berry à organiser un vote sur la question. La seule loi, qui semble prête et mûre à être soumise au vote, est celle de la Rencontre orthodoxe. La question est à nouveau posée au chef du Parlement: l’inscrira-t-il à l’ordre du jour, compte tenu de l’opposition des sunnites et des druzes? Si aucune nouvelle loi n’était votée le 15, la loi de 1960 reviendrait en vigueur dès le 19 mai prochain.

L’utopie de Salam
Dans ce magma politique, le dossier gouvernemental ne fait aucun bruit. Les optimistes prônent les vertus du travail en discrétion, les réalistes parlent de discussions au point mort. La seule avancée notable est à mettre à l’actif de Tammam Salam et du président Michel Sleiman, seuls habilités à entériner la formation du gouvernement. Les différents bruits de couloir qui circulent à Baabda et à Mousaytbé révèlent que le Premier ministre désigné et le chef de l’Etat ont été convaincus par la troïka, CPL-Amal-Hezbollah et Walid Joumblatt, de l’importance d’une équipe politique. Les canaux de communication entre les deux présidents et la majorité qui gère les affaires courantes sont, à nouveau, ouverts. Le dispositif qui circule se base sur un gouvernement de 24 ministres. Le nombre des portefeuilles à attribuer aux trois camps reste encore flou.
La situation confère au pôle centriste, qui a su soigner ses relations avec les belligérants qui s’affrontent autour de la Syrie, la possibilité de prendre le contrôle des ministères convoités, en vrac, ceux des Finances, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Energie et des Télécoms. A partir du moment où l’Arabie saoudite semble avoir exclu la formation d’un gouvernement du fait accompli, le processus de formation devient tributaire de l’évolution de la situation en Syrie qui détermine aujourd’hui les rapports de force internes. Et, à ce titre, la formation du gouvernement est en stand-by.

La menace du vide
Pas de loi électorale, pas de gouvernement à l’horizon. Les oiseaux de mauvais augure, qui voient le pays plonger dans le vide politique et institutionnel la tête la première, ont du grain à moudre. Les assurances des politiques à ce sujet sont-elles toutes à prendre au sérieux? Sur le dossier de la loi électorale, Alain Aoun s’est montré précis. En l’absence de consensus sur une nouvelle loi, la proposition orthodoxe doit passer au vote. Si elle passe, elle devient loi. Sinon, le CPL serait prêt à disputer les élections sous l’égide de la loi de 1960 pour barrer la route à une éventuelle prorogation du mandat du Parlement qui expire le 19 juin.
Le député CPL de Baabda a intégré le fait que seule une loi mixte pourrait faire consensus avant le 15 mai. Georges Adwan a, lui, des propos un peu différents. «Il nous reste près de trois semaines pour trouver un compromis. Nous n’allons pas proroger le mandat du Parlement, nous n’allons pas organiser les élections conformément à la loi de 1960». Les partis chrétiens dans l’orbite du 14 mars n’ont pas clairement défini leurs positions si consensus il n’y avait pas.
Le dossier gouvernemental est totalement passé au second plan. Non seulement Salam dispose, jusqu’à ce qu’il rende son tablier, d’un temps infini pour former son gouvernement mais en plus, il y a toujours un gouvernement qui gère les affaires courantes (voir encadré). A la faveur de l’escalade en Syrie, pèsent sur les institutions du pays de sérieuses menaces que l’accélération du calendrier rend de plus en plus visibles. Le Liban est dangereusement contaminé.

Julien Abi-Ramia
 

Mikati pas tout à fait hors jeu   
Sur la question gouvernementale, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a expliqué «qu’un gouvernement chargé des affaires courantes peut, s’il le faut, organiser quand même des élections législatives, y compris avec la présence d’un Premier ministre désigné, car il s’agit d’un acte exécutif essentiel, selon la Constitution». En théorie donc, il pourrait bien y avoir deux Premiers ministres, l’un démissionnaire mais qui pourrait bien finir par organiser les législatives, l’autre désigné pour organiser les élections mais qui ne peut former de gouvernement pour le faire.

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