Depuis sa publication outre-Atlantique, le livre de la journaliste Shereen El Feki, Sex and the citadel, provoque plusieurs questions et débats au sein du monde journalistique. Les médias américains s’interrogent si les soulèvements politiques qui ont touché des pays arabes seront suivis par des évolutions sociales. La réponse est apportée dans ce nouveau livre.
Elle ne veut pas traiter d’idéologie. Shereen El Feki tient plutôt à ce qu’on prenne conscience des grands enjeux sociaux qui touchent certains pays arabes. Et c’est au sein d’un Moyen-Orient de plus en plus contrôlé par les partis islamistes qu’elle aborde le «sexe» comme un sujet politique. Une révolution sexuelle ne suivra pas les soulèvements politiques qui ont secoué le monde arabe. De même, l’autonomie des femmes arabes reste limitée en dépit du rôle essentiel qu’elles jouent au sein du nouveau paysage politique. Aussi, le patriarcat est bel et bien vivant en Egypte et dans le monde arabe, et les femmes sont les plus ardentes protectrices des attitudes patriarcales. Ces conclusions ont été tirées après que Shereen El Feki eut mené l’enquête durant plus de cinq ans dans l’Afrique du Nord et au Levant. Du Maroc, à l’Egypte, en passant par le Liban. L’auteur a interviewé des fondamentalistes, des sociologues, des chefs religieux et des jeunes principalement en Egypte, mais aussi ailleurs dans la région. Sa stratégie était simple: poser des questions liées à la sexualité. Elle est même entrée dans les détails: ce que font ces interviewés, ce qu’ils n’aiment pas, ce qu’ils en pensent et pourquoi. Grâce à son livre, Shereen El Feki dévoile ainsi la vie des jeunes célibataires arabes, des couples mariés, des homosexuels et même des travailleurs du sexe. On y apprend sur la maltraitance des femmes, quand elles sont battues, la violence du harcèlement sexuel, les crimes d’honneur et la surveillance des parents des jeunes femmes. Ce qu’on retient, ce sont les témoignages de plusieurs femmes égyptiennes mariées, qui souhaitent une vie sexuelle plus épanouie. Une femme, entre autres, rapporte que ce serait une honte pour elle de montrer à son mari ses désirs sexuels. Cela étant, «les femmes trouvent des moyens de contourner cette situation. Les ventes des lingeries, par exemple, sont en plein essor dans le monde arabe», explique l’auteure dans son livre. Dans un autre cadre, l’étude d’El Feki nous rappelle que les infections sexuellement transmissibles, dont le VIH, sont considérées comme la deuxième cause de décès par maladie infectieuse chez les personnes de 15 à 54 ans dans certains pays arabes. Heureusement que des activistes luttent pour combattre ces VIH. Comme le cheikh Amad, l’imam de l’une des plus grandes mosquées de Damas, un homme profondément religieux, mais aussi un sage pragmatique impliqué dans les programmes des Nations unies. Ou encore l’admirable Safa Tamish, une femme palestinienne qui a fondé le Forum arabe pour la sexualité, l’éducation et la santé. Des thèmes qui devraient être de plus en plus étudiés à la loupe.
Pauline Mouhanna (Etats-Unis)
Sex and the citadel: Intimate Life in a Changing Arab World, Shereen El Feki, aux éditions Panthéon, mars 2013
Bio en bref
Shereen El Feki est auteure, journaliste et chercheuse égypto-américaine. Installée actuellement au Caire, elle travaille sur les questions liées au bien-être sanitaire et social dans la région arabe. Shereen a débuté sa vie professionnelle dans le domaine médical. Elle est titulaire d’un doctorat en immunologie moléculaire de l’Université de Cambridge. Elle a ensuite travaillé en tant que correspondante de santé pour la revue The Economist. Elle a aussi servi comme vice-présidente de la Commission mondiale sur le VIH et le droit.