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Nº 2897 du vendredi 17 mai 2013

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Alain Marsaud, député des Français de l’étranger. Le conflit syrien se déplace vers le Liban

Inquiétude pour les chrétiens de Syrie et d’Egypte, crainte d’un déplacement du conflit syrien vers le Liban, développement d’un terrorisme islamique de style «loup solitaire», Alain Marsaud brosse un tableau pessimiste de la situation régionale. Pour le député des Français de l’étranger, il ne faut surtout pas armer les rebelles syriens.

Quel regard portez-vous sur l’initiative russo-américaine envisageant une réactivation des accords de Genève?
Lors de mon entretien avec l’ambassadeur de Russie en France dans le cadre de ma mission sur le Moyen-Orient, ce dernier m’a dit que la France avait eu tort de prendre le parti des rebelles, car elle avait ainsi perdu sa position d’arbitre. Ce qui est particulier à la situation en Syrie est l’évolution rapide des événements et la position des uns et des autres. Le président américain Barack Obama a récemment déclaré que l’utilisation des armes chimiques en Syrie serait une ligne rouge à ne pas dépasser mais, entre-temps, le rapport de Carla del Ponte à l’Onu a fait état de l’utilisation de ces armes par les rebelles. Cela rend les choses très compliquées. Entre ces deux positions, il existe des variations importantes. La France s’est engagée du côté de la résistance syrienne et cela représente un basculement important par rapport à la position de la France lorsqu’elle recevait le président (Bachar) el-Assad à l’occasion du défilé du 14 juillet, en 2008. La France devrait adopter une ligne diplomatique claire ne changeant pas au gré des événements. Aujourd’hui, rien ne se fera sans la Russie, notamment pour ce qui est de la création d’une zone d’exclusion aérienne, demandée par l’opposition, qui implique le feu vert du Conseil de sécurité, auquel la Russie va certainement opposer son veto. En Libye, nous avons profité de la résolution du Conseil de sécurité instituant une telle zone pour chasser (le président Moammar) Kadhafi, un détournement de procédure que les Russes ne sont pas près d’oublier.

Dans un article repris par Le Figaro, vous avez déclaré être opposé à l’armement des rebelles. Vous avez ajouté «qu’imaginer que ces armes resteront dans les mains de personnes bien intentionnées est totalement illusoire». Quelle solution préconisez-vous?
Nul ne souhaite le maintien du système criminel Assad en Syrie, système responsable, entre autres, de nombreux crimes contre des citoyens français. Mais lever l’embargo sur les armes pour la rébellion syrienne aurait pour conséquence d’armer «les cousins et les copains» de ceux que nous combattons à Tombouctou! Cet équipement militaire, qu’il s’agisse de missiles sol-air ou autres, se retrouvera à la disposition de groupes susceptibles de l’utiliser notamment contre des avions de ligne. Il est également très difficile de neutraliser ces armes à distance. La récente déclaration du Front al-Nosra, faisant état de son allégeance à al-Qaïda, a changé la donne pour de nombreux pays. Nous nous retrouvons devant un choix difficile entre l’épouvantable régime Assad d’une part et les jihadistes de l’autre. Le choix est d’autant plus difficile à assumer, compte tenu des divisions au sein de l’opposition. On dit que la guerre en Syrie aura lieu en deux phases: dans un premier temps entre le régime et l’opposition, dans un second, entre laïcs et jihadistes.

L’option politique est-elle toujours possible en Syrie? Pensez-vous que ce type de régime puisse se réformer?
Cela pourrait être effectivement difficile. Assad a le dos au mur et pourrait avoir des réflexes suicidaires. On parle d’une proposition russe de l’installer en Crimée, cela pourrait être une porte de sortie possible. Cependant, les luttes intestines au sein de l’opposition et le rapport des forces assez équilibré entre le régime et les rebelles, compliquent la situation.  

En tant que procureur, chef du service central de lutte antiterroriste, quel danger pose, à votre avis, la filière radicale en Syrie et quel est le nombre des Français participant au jihad dans ce pays?
On ne connaît pas le nombre exact de jihadistes, ni celui des Français combattant en Syrie. On sait toutefois que les Français sont surtout attirés par le Mali, plus facile d’accès. Cependant, le nombre d’Européens originaires de l’immigration magrébine serait très important, nous aurons sans doute l’occasion de le découvrir, peut-être trop tard.

Quelles seraient les éventuelles conséquences d’un retour des jihadistes en France?  
Nous avons déjà eu une réponse par le biais de la déclaration d’Aqmi menaçant les intérêts français dans le monde. Les Français à l’instar des Américains sont forcément en danger tout simplement parce que nous avons une politique étrangère très active, particulièrement en Afrique et au Mali. On veut nous faire payer le prix de cette intervention, cela s’est traduit par un attentat contre l’ambassade française en Libye.

Pensez-vous que le terrorisme en Afrique soit de nature différente que dans les pays arabes?  
Ces deux genres de terrorisme sont très différents. En Afrique, on fait face à des gangs se spécialisant dans toutes sortes de trafics et disposant d’armes qui seraient en provenance de Libye ou achetées auprès des soldats maliens. Dans ces pays, nous luttons non pas contre des groupes terroristes, mais contre des groupes armés. Les groupes africains s’inspirent d’une idéologie islamique, mais cela reste très différent du jihadisme émergeant dans les pays arabes. Je crois toutefois que la guerre en Libye a ouvert la boîte de Pandore.

Vous avez établi une comparaison entre l’affaire Merah en France et l’attentat de Boston. Pensez-vous que ce type d’attentat du style loup solitaire, commis par des individus sans appartenance à un groupe terroriste particulier, soit devenu l’archétype des attentats en Occident?
L’attentat de Boston et l’affaire Merah sont similaires en divers points. Nous nous trouvons en présence de personnes très bien intégrées qui, du jour au lendemain, font un voyage initiatique, en Orient ou en Asie, les amenant à rejeter les sociétés dans lesquelles elles vivent et auxquelles elles doivent tout. On assiste à ce nouveau phénomène, qui est très loin des groupes terroristes bien structurés. Ce type d’attentat d’individus solitaires ou «lone wolf» représente l’avenir du terrorisme en Occident.

Vous avez cosigné l’appel parlementaire visant à interpeller le gouvernement français pour qu’il agisse avec fermeté auprès des instances internationales pour protéger les chrétiens d’Orient. Dans quelle situation se retrouvent les chrétiens en Syrie et en Egypte?
J’éprouve une vive inquiétude pour la situation des chrétiens. Dans ces deux pays, cette communauté se trouve en perdition.

Quel regard portez-vous sur la crise interlibanaise? Pensez-vous qu’elle ait atteint des proportions dangereuses?
Je crois qu’elle est circonscrite pour le moment à certaines zones comme Tripoli où les combats se déroulent principalement entre alaouites et sunnites. Mais la grande question tourne autour de l’implication du Hezbollah dans le conflit en Syrie qui semble être un secret de Polichinelle.

Le Liban semble entrer dans un scénario de «jihad contre jihad», quels dangers cette situation présente-t-elle?
Le Liban a adopté une politique de distanciation mais peut-il la maintenir? On assiste à un déplacement du conflit syrien vers le Liban. Il ne faudrait surtout pas que cela fasse tache d’huile. Il faut toutefois reconnaître que bien que l’on se batte à moins de 60 kilomètres, la vie semble continuer à Beyrouth.

Craignez-vous une détérioration de la situation régionale notamment en raison de la récente attaque israélienne?
Assad n’a pas aujourd’hui la capacité de répondre à cette attaque. Le danger ne provient donc pas de la Syrie, mais de la réaction qu’aura le Hezbollah. Ce dernier se trouve sans doute trop affaibli politiquement pour mener une opération militaire. Israël est donc dans une situation assez privilégiée.

Propos recueillis par Mona Alami
 

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