Tout ça pour ça. Face à la proposition de la Rencontre orthodoxe soutenue par le CPL et ses alliés s’est dressée, quelques heures avant la séance parlementaire fatidique, une proposition de loi mixte paraphée par le Courant du futur, le PSP et les Forces libanaises. La séance est reportée et les débats reprennent.
Samir Geagea a donc tranché. Entre l’amputation d’un bras ou celle d’une jambe, le leader des Forces libanaises a choisi de se mettre en retrait. Demander aux FL de choisir entre leur alliance avec le Courant du futur, aux bénéfices électoraux évidents, et le recouvrement des droits des chrétiens était un dilemme cornélien, un choix qui aurait impliqué trop de bouleversements. Mercredi matin, au cours de la conférence de presse au Parlement qui a officialisé l’accord trouvé entre Geagea, Saad Hariri, Walid Joumblatt et Boutros Harb, c’est le vice-président des FL Georges Adwan qui a pris la parole. L’occasion pour ce dernier d’expliquer cette volte-face, de faire montre de pédagogie. «Cette proposition de loi ne vise à braquer aucun parti, y compris le CPL. Nous avons accepté ce projet pour le bien du Liban. Nous avons recherché une bonne représentation des chrétiens tout en renforçant la coexistence», remerciant le Futur et le PSP d’avoir concédé sur la proportionnelle.
Mardi, nuit de folie
Au sortir de leur entretien avec Samir Geagea, Elie Ferzli et Gebran Bassil ont senti, malgré les assurances de leur interlocuteur, qu’il pourrait ne pas aller jusqu’au bout de son engagement de voter le projet orthodoxe. Avec le recul, il semble que les Forces libanaises ont tenté jusqu’au bout de ne pas se laisser enfermer par les conclusions de cette fameuse rencontre des leaders à Bkerké qui avait sacralisé la proposition orthodoxe. On s’est efforcé, à Maarab, de jouer sur les deux tableaux. Tout au long de ce débat, le CPL et les contempteurs sunnites et druzes de la proposition Ferzli se sont disputés la place convoitée du maître du temps. Aux initiatives aounistes envers Geagea ont répondu les manœuvres du Courant du futur.
Avec le PSP de Joumblatt, le parti de Saad Hariri est le bénéficiaire de ce bras de fer. Sans doute parce qu’ils ont choisi la meilleure arme pour contrer et enterrer la proposition orthodoxe. Acceptée sur le principe par Bkerké et présentée telle quelle, à quelques détails près, par le président du Parlement Nabih Berry, la loi mixte était la seule susceptible d’obtenir les faveurs des Forces libanaises. La seule concession des partis sunnites et druzes aura été d’avoir entériné pendant quelques semaines le principe de la proportionnelle; autant dire, une contrepartie peu cher payée.
Mardi, c’était le branle-bas de combat. D’un côté, le leader du bloc parlementaire du Futur Fouad Siniora, le député Ahmad Fatfat et le secrétaire général du 14 mars Farès Souhaid qui ont contacté Maarab, Saïfi et l’Arabie saoudite; de l’autre les Kataëb avec Amine Gemayel, Sejaan Azzi et Sami Gemayel et les Forces libanaises, le tout en présence de Philip Gordon, conseiller spécial du président américain Barack Obama et nouveau coordinateur pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et la région du Golfe.
Sous l’influence de Boutros Harb, les négociations nocturnes ont rapidement porté sur le projet présenté, il y a plusieurs mois, par les Forces libanaises, mais rejeté en son temps par le Futur et le PSP. La nuit a été consacrée à l’étude des amendements à apporter à cette proposition pour qu’elle soit acceptée par tous les membres de la coalition du 14 mars (voir encadré).
Faire tomber le projet orthodoxe
«Cet accord est une victoire pour le 14 mars et pour le Liban car il a démontré que les Libanais pouvaient s’unir pour faire face aux velléités de porter atteinte au modèle libanais et à la coexistence», a déclaré Farès Souhaid à l’issue d’une réunion extraordinaire du secrétariat général du 14 mars. «Il ne s’agit nullement d’une renonciation à la souveraineté du Liban et à la coexistence, au contraire. Chaque fois que l’on tend la main aux musulmans, nous sortons victorieux».
Ce n’est que mercredi matin que les Kataëb ont donné leur réponse négative, et ce pour plusieurs raisons. Fondamentalement, parce que cette proposition mixte donnerait les mêmes résultats que sous l’égide de la loi de 1960 à laquelle la proposition ressemble furieusement. Ensuite, parce que le découpage du Mont-Liban, qui prévoit que le Metn soit dilué, leur est défavorable et enfin parce que leurs demandes concernant les candidatures leur ont été refusées. Donc, sur le plan concret, c’est non. Sami Gemayel, qui se comporte déjà comme un vieux routier de la vie politique, a vite fait ses calculs. Sans son bloc parlementaire, ni la loi orthodoxe, ni la proposition mixte ne peuvent passer. Le parti se cherchait une façon de se faire une place dans la coalition des centristes – comprendre des partis qui gardent leur indépendance – voilà qui est fait.
Pour les fervents supporters de la loi Ferzli, c’est la douche froide. A leurs yeux, les FL avaient là l’opportunité de faire l’Histoire, de redonner voix aux chrétiens marginalisés depuis plus de vingt ans. La déception est énorme, et c’est sans doute pour éviter cela que les Kataëb, avec Sami Gemayel en figure de proue, ont adopté une position plus nuancée, plus claire en ne signant pas la proposition de loi hybride. Les aounistes sont sans doute aujourd’hui le plus en colère. «Cette journée devait être historique. Nous avons raté cette chance de redonner aux chrétiens leurs droits, ce qui s’est passé à Taëf vient de se reproduire. Notre objectif reste de garantir l’égalité, et la proposition mixte ne le fait pas». En quelques phrases, le leader du CPL Michel Aoun a fait appel à l’Histoire, la grande. Taëf, 13 octobre, des dates qui parlent plus que jamais au peuple orange. Les mêmes causes, les mêmes effets; les mêmes acteurs, les mêmes conséquences. Pour le CPL, les seules victimes de l’implosion de la proposition orthodoxe, ce sont les chrétiens.
La victoire du sur-place
C’est sur ce plan que se déploie désormais le débat. Georges Adwan l’a distinctement expliqué, les FL ont décidé de «sacrifier» quelques sièges chrétiens pour assurer la coexistence et l’union nationale. Sur le plan théorique, une explication qui compte au moins une brèche exploitée à foison par le CPL. Aux yeux de ses cadres, l’explication ne tient pas, comment parler d’union nationale sans l’accord d’une grande partie des chrétiens et de la communauté chiite? C’est peut-être parler un peu vite.
Serait-il erroné de penser que l’échec d’un vote en faveur de la loi orthodoxe rassure Nabih Berry? Si tout s’était passé comme il l’avait souhaité, le président du Parlement aurait eu un choix à faire. Mercredi, ce sont les députés qui ont choisi pour lui, à sa place et finalement, il a été contraint de faire ce qu’il a fait le plus ces derniers mois, appeler à davantage de concertations. Mais objectivement, le constat est amer, l’échec cuisant: les mois de débat n’ont pas accouché d’une nouvelle loi électorale. Il est évidemment question de quelque chose de beaucoup plus important pour les partis libanais, que la Syrie, leur nombre de sièges.
C’est à la fin du bal que l’on paie les musiciens. Une dizaine de propositions, une polémique à n’en plus finir pour aboutir au final à un retour à la loi de 1960 et à une prorogation technique? Les alliances sont plus fortes que les causes. Les quatre partis qui se partagent le gâteau électoral étaient les seuls à avoir les coudées assez franches pour mener le combat sur la loi électorale. Avec l’accord tacite du Hezbollah, le CPL au rayonnement national, présent dans toutes les circonscriptions, a beaucoup donné dans cette bataille et en face, le Courant du futur et le PSP, dont l’influence sur la vie publique du pays est disproportionnée, ont répondu avec malice. Ce que la politique a été incapable de faire depuis Taëf, la démographie et le taux de natalité le peuvent. Mais là, les chrétiens seront définitivement désavantagés.
Julien Abi Ramia
Le projet mixte du 14 mars
Le projet de loi électorale mixte sur lequel se sont accordés le 14 mars et le PSP attribue 46% des sièges parlementaires au scrutin à la proportionnelle et 54% sur la base du scrutin majoritaire. Le scrutin majoritaire sera organisé au niveau de 26 cazas actuels. Le scrutin proportionnel sera organisé au niveau de six grandes circonscriptions, en l’occurrence les cinq mohafazats tels que dessinés aujourd’hui. Point important, dans cette mouture, le mohafazat du Mont-Liban a été divisé en deux circonscriptions: l’une formée des cazas de Jbeil, du Kesrouan, du Metn et Baabda; et la seconde regroupant ceux du Chouf et de Aley. Principal changement, le transfert du caza de Baabda et ses voix chiites qui passent du caza d’Aley de Walid Joumblatt aux circonscriptions chrétiennes. Ainsi, le Futur accepte que la circonscription de la Békaa reste inchangée et les Forces libanaises obtiendraient la primauté des candidatures chrétiennes dans les régions du Nord.