Magazine Le Mensuel

Nº 2898 du vendredi 24 mai 2013

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Les quatre scénarios. Du mauvais au pire

En l’absence d’accord entre les partis, les élections devront avoir lieu à la date prévue sous l’égide de la loi de 1960. Un scénario par défaut qui ferait les affaires d’un seul parti, face auquel s’élèvent les partisans du statu quo et de la prorogation dont la durée éventuelle oscille entre six mois à deux ans, selon l’appréciation de chacun. A six jours de la fin du mandat du Parlement, une façon d’éviter le spectre du vide institutionnel.

Aucune date de scrutin n’a encore été fixée. Pourtant, l’atmosphère dans le pays fleure bon la confrontation politique et la campagne électorale. Ses thèmes sont déjà tout trouvés. L’engagement du Hezbollah en Syrie mobilise la communauté sunnite et le changement des Forces libanaises sur le dossier de la loi électorale a raffermi le sentiment chrétien. Voilà les deux seuls sujets qui sont à l’esprit des leaders au moment de définir leur position sur la prorogation du mandat du Parlement. Ce n’est pas tant l’impératif institutionnel que les bénéfices électoraux qui motivent leur réflexion. A quelques heures de l’instant fatidique, celui au cours duquel il faudra faire un choix, chaque parti voit midi à sa porte, obnubilé par les sondages et l’humeur de l’opinion. D’autant que le calendrier s’accélère.

1960, le fait accompli
Dimanche minuit a pris fin le délai de suspension de la loi électorale en vigueur lors des dernières élections. Lundi, le ministère de l’Intérieur pouvait à nouveau recevoir les déclarations de candidature. Conformément aux attendus de la loi de suspension, votée le 18 avril dernier, la date limite du dépôt des candidatures a été fixée au lundi 27 mai. L’alinéa 3 de cette loi prévoit la clôture du dépôt des candidatures, trois semaines avant la date prévue du déroulement des élections. Si elles devaient avoir lieu sous l’égide de cette loi, elles se tiendraient le 16 juin prochain. Un scénario sérieusement envisagé par le CPL dont il serait, de très loin, le grand bénéficiaire.
Michel Aoun a beau exprimer ses réserves sur cette loi; il refuse le principe même d’une prorogation et les résultats des enquêtes d’opinions commandées par Rabié sont dithyrambiques pour le parti. La communauté chrétienne n’a que peu goûté le choix de Samir Geagea sur la proposition orthodoxe. Dans les cercles dirigeants du parti, on estime que, si les élections ont lieu rapidement, les listes qu’il présentera dans les régions à majorité chrétienne ont toutes, à l’exception de Bécharré, des chances de gagner.
Dans leurs rêves les plus fous, ils voudraient aller jusqu’à isoler les FL et les chrétiens indépendants qui, à leurs yeux, évoluent dans la sphère du Courant du futur, et nouer des liens avec les Kataëb, dont le président Amine Gemayel était à Doha cette semaine. Bickfaya est aujourd’hui au centre du jeu chrétien. Les Phalangistes sont sans doute encore échaudés par la façon dont le Courant du futur, à travers la proposition mixte, les a relativement ignorés, préférant se concentrer sur les Forces libanaises. Une alliance entre les deux partis fait saliver la base orange. Les forteresses d’Achrafié, de Beyrouth II, du Koura et de Batroun pourraient alors tomber. Des discussions ont eu lieu en ce sens. Mais la position du parti exprimée par le député Sami Gemayel, en marge de la dernière réunion de la sous-Commission, est claire depuis le départ. «Revenir à la loi de 1960 serait une catastrophe», a-t-il expliqué, toujours attaché à la proposition orthodoxe.   

L’échappatoire de la prorogation
Malgré le fait que tous les partis se soient prononcés contre cette loi, tous participeront à des élections sous son égide. Mais il y a peut-être un hic, voire deux. Le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel a indiqué à plusieurs reprises qu’avec les moyens dont il dispose aujourd’hui, ses services étaient dans l’incapacité d’organiser des élections. Pour boucler légalement la mise en place de la loi 1960, le gouvernement doit se réunir pour entériner le déblocage des 20 millions de dollars nécessaires pour l’organisation d’élections, ainsi que la nomination des membres du comité de supervision des élections. Des raisons qui rendraient obligatoires une prorogation «technique» du mandat du Parlement pour organiser les élections sous l’égide de la loi de 1960.
C’est en tout cas l’opinion affirmée de Nabih Berry. Sa crainte première: le vide institutionnel. Après avoir acté l’échec de la sous-Commission, incapable de se mettre d’accord sur une nouvelle loi électorale, le président du Parlement et son représentant, le ministre Ali Hassan Khalil, ont passé le week-end et la semaine à discuter avec les leaders des blocs parlementaires de l’Assemblée. Comme depuis le début du débat, Berry a toutes les cartes en main, les mêmes questions se posent alors. Si une séance plénière était convoquée, il a le choix de soumettre trois propositions au vote: la proposition mixte comme l’a exigé le Courant du futur, la proposition orthodoxe comme l’a demandé Aoun ou la prorogation du mandat que préfère le président du Parlement.
Mardi, le bloc présidé par Fouad Siniora a expliqué que les élections parlementaires devaient avoir lieu «le plus vite possible». Les négociations entre l’ancien chef du gouvernement et le ministre Khalil auraient porté sur un package deal, la prorogation du mandat du Parlement contre une part belle dans le futur gouvernement. Pour rester conforme aux exigences constitutionnelles, le 14 mars pencherait plutôt vers une courte prorogation de six mois.

Le saut dans le vide
Lundi, le président Michel Sleiman a reçu un appel de son homologue américain Barack Obama qui a réaffirmé la nécessité de former un nouveau gouvernement et d’organiser des élections à la date prévue. Le chef de l’Etat dit refuser une prorogation mais un autre camp se forme, celui du leader du PSP Walid Joumblatt et sans doute du Hezbollah, favorable à une prorogation de deux ans qui, automatiquement, prolongerait le mandat du président de la République. Pour le leader du PSP, la priorité est de sauvegarder les équilibres politiques, comprendre sauvegarder la position de son parti, faiseur de majorité. A ce titre, et d’autant que la situation en Syrie n’a pas encore trouvé d’issue, le PSP n’aurait rien contre une prorogation qui aurait l’avantage de protéger un certain statu quo. Du côté du Hezbollah, la priorité est très clairement donnée à son action en Syrie, laissant à Michel Aoun et Nabih Berry le soin de le représenter dans les dossiers internes.
Aujourd’hui, au vu de la préoccupation de l’ensemble des parties, et plus particulièrement de Nabih Berry, sur la question des élections, l’éventualité d’un vide institutionnel semble peu probable. Mais les divergences sont tellement fortes qu’elles pourraient paralyser toutes les initiatives et faire que le sablier s’écoule sans que personne ne s’y oppose. Sauf que des candidatures ont déjà été déposées au ministère de l’Intérieur. Les politiques font comme s’ils connaissaient la date des élections, comme si elles allaient avoir lieu. Les négociations entre toutes les parties risquent de durer jusqu’à la dernière minute. Le 30 mai, date du dernier jour du mandat du Parlement, se rapproche à grands pas et tous les partis ont décidé de jouer leur intérêt propre en priorité. Un accord entre les parties n’est même plus nécessaire.

Julien Abi Ramia
 

Les phrases de la semaine
-Michel Aoun (CPL): «Je réclame la tenue d’une séance plénière pour que les projets orthodoxe et mixte soient soumis au vote. S’ils tombent tous les deux et s’il n’y a pas d’entente pour la prorogation du mandat du Parlement, les élections devront avoir lieu à la date prévue sur la base de la loi de 1960».
 -Samir Geagea (FL): «Aoun veut des élections sous l’égide de la loi de 1960».
 -Ahmad Fatfat (Futur): «Nous sommes contre la prorogation du Parlement et contre la loi diviseuse de 1960».
 – Akram Chéhayeb (PSP): «Nous sommes en faveur d’une prorogation de deux ans du mandat du Parlement».

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