Les montagnes de Ersal, passage obligé des réfugiés syriens vers le Liban, sont devenues un véritable no man’s land où pullulent les contrebandiers et les miliciens de l’Armée syrienne libre (ASL). Magazine est allé sur place afin de rencontrer les rebelles syriens.
Des centaines de nouveaux venus se pressent dans les ruelles bondées de Ersal. Hommes, femmes et enfants sont entassés dans des camions qui traversent le village à intervalles réguliers, alors que d’autres se regroupent en famille sur le pas des portes. A la sortie du village, en direction du jurd de Ersal, les montagnes pelées dominent le paysage escarpé, balayé par le vent. Là-bas, sur les hauteurs du village, seul un barrage de l’Armée libanaise, orphelin, fait le guet. Les soldats interpellent de temps à autre les motocyclistes s’aventurant sur ce semblant de route reliant le village aux collines environnantes. Plus loin, dans le secteur que les villageois ont baptisé Karazat, les cerisiers en arabe, la route dévastée se transforme en un chemin de terre. Tout autour, les collines semblent désertes et au détour d’un chemin, une voie en terre relie le jurd à la Syrie, devenue si proche.
Ce passage illégal s’est transformé en une porte d’accès permettant aux Syriens de rejoindre le Liban et aux combattants libanais d’être acheminés vers la Syrie, point névralgique pour tous ceux qui chercheraient une terre de refuge ou à se battre aux côtés de la rébellion. «Les frontières sont très étendues dans ce coin, il est donc quasi impossible à l’armée syrienne ou libanaise de contrôler tous les points de passage», confie une source locale.
Le va-et-vient incessant des voitures semble confirmer cette hypothèse. Des quatre-quatre et des camions non immatriculés traversent constamment la frontière, chargés d’hommes, de marchandises et de mystérieuses cargaisons recouvertes de bâches. Le trafic semble s’organiser en certains secteurs; en effet de gros camions transportant des boissons ou des produits de toutes sortes sont attendus par des motards qui se partagent la marchandise avant de filer en tous sens, sans doute pour éviter le point de contrôle libanais. Les passagers des véhicules, des hommes aux traits taillés à coups de serpe, nous jettent un regard curieux avant de poursuivre leur chemin.
Sur le chemin de terre battue, un énorme quatre-quatre américain s’avance, d’où s’extirpent deux hommes, l’un portant un treillis militaire, l’autre vêtu de la djellaba des islamistes. «Nous sommes les combattants de l’ASL», nous déclare l’un d’eux avant de monter dans notre véhicule. Le militaire se présente sous le nom du lieutenant Safwan et explique avoir été un des premiers officiers de l’armée syrienne à rejoindre la rébellion en 2011. Son compagnon est un cheikh se faisant appeler Abou Wali, officier de l’ASL.
Un devoir religieux
Les deux combattants amorcent l’entrevue en comparant la participation à la révolution syrienne à un devoir religieux. «Nous sommes loin des slogans démocratiques ayant animé les premières manifestations. Notre conflit avec le régime (du président Bachar) Assad est désormais de nature confessionnelle, c’est une guerre idéologique entre sunnites et nusairi (alaouites), ces derniers étant soutenus par le parti de Satan», assène Abou Wali, en référence au Hezbollah. Le cheikh souligne également le rôle grandissant des Iraniens et du Hezbollah en Syrie. «Ces derniers se contentaient initialement d’apporter au régime un soutien technique et un appui au niveau des corps de francs-tireurs. Les Iraniens et le Hezbollah dirigent désormais de nombreux théâtres d’opérations dans certaines régions allant de Qoussair à Barzé, près de Damas», ajoute le lieutenant Safwan.
Selon les deux officiers, un nouveau paysage militaire se dessine en Syrie aujourd’hui. Tout en reconnaissant la perte par l’ASL de certaines zones stratégiques, nos deux interlocuteurs soulignent toutefois l’incapacité de l’armée syrienne de contrôler les territoires libérés à long terme. «Il est impossible aux milices d’Assad de se maintenir dans une région où la plus grande partie de la population leur est opposée. Ces prétendues victoires comme celle de Qoussair sont provisoires et de plus les brigades déployées sont en grande partie composées d’alaouites qui combattent depuis plus d’un an sans avoir été remplacés. Cette situation ne peut durer indéfiniment», ajoute le lieutenant Safwan.
Les deux combattants font valoir l’importance de Qoussair dans l’éventualité de la mise en place d’un Etat alaouite par le régime Assad. «Le régime procède à un nettoyage de la région entre la frontière libanaise et Homs, fondé sur des bases confessionnelles, ce qui explique les massacres commis dans de nombreux secteurs comme dernièrement ceux de Banyas. Cette région servirait de zone de repli pour le régime dans le cas d’une défaite dans la capitale», raconte Abou Wali.
L’enjeu des axes routiers
Autre point important, la concentration des efforts tant de la part de l’ASL que de l’armée syrienne, pour reprendre les grands axes routiers reliant la capitale Damas aux grandes villes et aux zones côtières ainsi que frontalières. «Toutes les régions dans lesquelles les combats se sont intensifiés dernièrement servent de porte d’entrée aux différentes régions stratégiques syriennes comme la route Damas -Beyrouth, Damas -Alep, Damas-Homs ou Tartous et celle reliant la capitale à la frontière jordanienne en passant par Daraa. Des combats se déroulent également autour des dépôts d’armes sur lesquels l’ASL tente de faire main basse afin de pouvoir se ravitailler. Près de 70% de notre armement provient des arsenaux du régime», explique le lieutenant Safwan. Seules les munitions proviendraient de donateurs étrangers.
Dans une telle situation, comment les rebelles peuvent-ils espérer remporter la guerre contre un régime dont la supériorité militaire n’est plus à établir? Les deux combattants invoquent un discours religieux afin de justifier leur éventuelle victoire. «Nous sortirons de cette guerre victorieux car nous bénéficions du soutien de Dieu, les justes prévalent toujours sur cette terre et nous nous battrons jusqu’à ce que mort s’ensuive», assure Abou Wali.
Autre aspect important de ce conflit sanglant qui se déroule à proximité du Liban, le rôle grandissant des mouvances islamiques dans la guerre en Syrie. Les deux combattants soulignent leur admiration pour le Front al-Nosra qui, ajoutent-ils, jouit du soutien d’une grande partie de la population syrienne en raison de ses nombreuses victoires. «Les Américains nous ont demandé de combattre le Front al-Nosra, mais pourquoi devrions-nous renoncer à un allié précieux qui nous assure le succès? D’autant plus que contrairement aux rapports véhiculés par les médias, le Front al-Nosra tente d’éviter autant que possible de tuer des civils lors des opérations militaires menées dans les villes», explique le lieutenant Safwan. Entre 5000 et 7000 jihadistes étrangers se trouveraient actuellement en Syrie, selon leur témoignage. Ils formeraient les corps d’élite des brigades rebelles, les combattants jordaniens et maghrébins étant les plus féroces adversaires lors des luttes armées, les Saoudiens seraient les moins disposés à participer aux attentats suicide, assurent nos deux interlocuteurs.
Alors que le soleil se couche sur les sommets torturés de Ersal, on entend au loin le grondement des bombardements provenant de la frontière syrienne. Les deux combattants nous lancent un dernier au-revoir avant de repartir vers le front.
Mona Alami
Recrudescence des attentats
Dans le rapport actuel des forces, les attentats à la bombe contre des cibles appartenant aux forces loyales au régime s’imposent comme une arme de choix aux yeux des deux combattants. «L’assassinat d’Assef Chawkat a démontré la validité de cette approche d’un point de vue stratégique, une méthode qui pourrait s’intensifier à l’avenir. «Nul n’est à l’abri, car au sein des troupes loyales à Assad, l’ASL possède de nombreux fidèles susceptibles de passer à l’action à n’importe quel moment», signale le lieutenant Safwan.