La bataille de Qoussair a mis le feu aux poudres entre alaouites et sunnites dans le chef-lieu du Liban-Nord, alors que plus au sud, l’insécurité s’invitait une fois de plus dans le camp palestinien de Aïn el-Heloué.
Tripoli est à feu et à sang. Les violents affrontements y ont fait, à l’heure d’aller sous presse, près d’une quinzaine de morts et des dizaines de blessés, parmi lesquels se trouvent de nombreux soldats de l’Armée libanaise. «La situation est extrêmement mauvaise, les multiples cessez-le-feu n’ont pas été respectés et je crains le pire d’autant plus que les combattants n’appartiennent à aucune faction connue du côté sunnite et semblent bénéficier du soutien de certains services de renseignements», signale Nabil Rahim, un cheikh salafiste de la ville.
Dimanche après-midi, des accrochages ont éclaté entre les quartiers rivaux de Bab el-Tebbané, à majorité sunnite soutenant les rebelles syriens, et Jabal Mohsen, une colline habitée par les alaouites partisans du régime du président syrien Bachar el-Assad. Les combats ont commencé après que la rumeur s’est répandue concernant la mort d’une douzaine de jeunes Libanais combattant auprès de la rébellion à Qoussair. Ils s’y étaient rendus suite aux appels au jihad lancés par un autre cheikh salafiste de la ville, Salem Raféi. «Cette information est fausse, un seul Palestinien, Maher Sukar, est décédé dans les combats de Qoussair, alors que le fils du cheikh Daï Islam el-Chahal (la plus haute instance salafiste au Liban) a été légèrement blessé. Mais nous sommes en contact continu avec eux», ajoute le cheikh Rahim. Néanmoins mardi soir, la page Facebook de la «Résistance syrienne», une mouvance loyale au régime Assad, indiquait le nom de 18 Libanais qui seraient morts à Qoussair, dont plusieurs membres de la famille Baba, Hallak et Jomaa.
Les quartiers d’al-Mouhajirine et Talaat al-Omari, ainsi que les sites des projets Hariri, ont fait l’objet de tirs de mitraillettes, alors que des armes de moyen calibre et des roquettes B7 et des grenades Energa étaient utilisées dans les clashs. Des francs-tireurs se sont activés dans les combats, notamment au niveau de la mosquée Nasser et de l’autoroute reliant Akkar à Tripoli. D’après le cheikh Rahim, le théâtre des affrontements aurait largement dépassé cette semaine les lignes de démarcation traditionnelles.
Après une matinée de calme précaire, lundi, imposé par l’Armée libanaise dont les troupes s’étaient déployées dans la ville avec ordre de riposter aux sources de tirs, les combats ont repris de plus belle après la prière de midi, alors que résonnait dans les ruelles de la ville le bruit des obus et des tirs dans la rue de Syrie et autres artères principales comme l’axe Saydé, Souk al-Kameh et le quartier de Malloulé. «Les grandes factions sunnites combattantes de la ville comme celle de Amid Hammoud (une figure milicienne locale proche du Courant du futur), les partisans du Premier ministre démissionnaire Najib Mikati et les Fronts islamiques n’ont toutefois pas rejoint pour le moment les rangs des militants de ce nouveau conflit», assure le cheikh Rahim.
Des centaines de familles ont fui lundi matin pour la région de Denniyé. Le calme régnait en fin de soirée au niveau des axes séparant Bab el-Tebbané de Jabal Mohsen avant d’être rompu dans la matinée du mardi. Les obus sont tombés sur le centre-ville, notamment la Rue des banques et la route al-Mina
Un dangereux développement se serait toutefois manifesté sur la scène tripolitaine prenant la forme d’attaques visant l’Armée libanaise. Un communiqué de l’armée a, en effet, déclaré que des groupes armés avaient tiré intensivement sur les postes de l’armée à Bab el-Tebbané et à Malloulé.
«Les diverses menaces faites par des représentants du Parti arabe démocratique (principale faction alaouite), faisant allusion à une escalade des opérations militaires, nous font craindre le pire. Je ne crois pas qu’il nous sera possible longtemps de tenir à l’écart les factions sunnites principales qui voudront répondre à ces déclarations agressives», estime le cheikh.
Contacté par téléphone, Abdel-Latif Saleh, porte-parole du Parti arabe démocratique, a répondu qu’il doutait de la possibilité d’une trêve alors que «l’autre partie» s’en prend même à l’armée. Rifaat Eid, le chef du parti, a promis de se venger en appliquant la loi du talion.
Les principales figures politiques du Nord se sont réunies au domicile du député Mohammad Kabbara. A l’issue de cette réunion ayant regroupé Ahmad Karamé, représentant le Premier ministre sortant Najib Mikati, Ahmad Safadi, représentant le ministre Mohammad Safadi, ainsi que le député Khaled Daher, Mohammad Kabbara a tenu une conférence de presse dénonçant «les manifestations de violence aux quatre coins de la ville» et appelant avec insistance «les habitants à coopérer avec l’armée afin de contrer le complot ourdi contre Tripoli. «L’armée accomplit son devoir afin d’imposer l’ordre de manière ferme et juste», a-t-il ajouté. Le Premier ministre Najib Mikati a, quant à lui, incité les Tripolitains à «ne pas se laisser entraîner à nouveau dans le feu de la discorde», se désolant que la capitale du Nord «serve à chaque fois de boîte aux lettres politique et sécuritaire utilisée dans un sens ou dans l’autre».
Mona Alami
Coordination entre radicaux
La situation au camp des réfugiés palestiniens de Aïn el-Heloué, situé dans la banlieue de Saïda, la capitale du Sud, s’est sérieusement dégradée cette semaine. L’enclave a connu un nouveau cycle de violence le week-end dernier suscité par deux incidents séparés. «Des miliciens du mouvement Fateh et du groupe Bilal Badr, qui serait lié au Front al-nosra en Syrie, se sont affrontés dans l’enceinte du camp», signale une source du Fateh. Une bombe aurait été également déposée sur la motocyclette d’un officier du Fateh surnommé Magnum. La source atteste également d’une plus grande coordination entre les factions radicales de Badr et Oussama Chéhabi comprenant des militants de Jound al-Cham et de Fateh al-islam, ainsi que Osbat al-ansar dans le camp, ainsi qu’avec les militants de cheikh Ahmad Assir et les salafistes des camps de Beyrouth dont celui de Chatila. Les opérations seraient désormais dirigées par un Yéménite. Des armes automatiques individuelles et d’autres de moyen calibre ont été utilisées au cours des accrochages d’hier, faisant un tué, Mouawiya Mazloum, et plusieurs blessés, ainsi que d’importants dégâts matériels. Une altercation ayant fait quatre blessés a également opposé les gardes du corps de Mounir Maqdah et de Lino, deux commandants du Fateh. Ces affrontements ont suscité la colère des habitants du camp qui ont tenu une importante manifestation pour dénoncer les incidents et obtenu un cessez-le-feu et le retrait des éléments armés des rues. «L’absence du Fateh sur la scène militaire du camp laisse ce dernier ouvert à tous les vents. Cela est d’autant plus dangereux depuis que l’on remarque un accroissement du financement étranger des factions les plus radicales», ajoute la source.
Un marathon avant l’embrasement
L’association «Ensemble pour le Liban (Maan Loubnan)», a organisé, lundi, le semi-marathon international de Tripoli. Ce semi-marathon comportait trois parcours 21 k, 5 k et le 2 k pour les plus jeunes. Y ont participé près de 20000 athlètes libanais, asiatiques et européens, ainsi que des élèves d’écoles, des figures politiques et militaires et des membres de la société civile. Près de 40000 personnes acclamaient les coureurs tout le long du circuit. Quelques heures après la fin de la course, les combats reprenaient à Tripoli…