Pour la Journée internationale de l’Environnement, célébrée le 5 juin, le Cénacle libanais pour la protection de l’environnement a choisi de rassembler étudiants, spécialistes et citoyens à l’Université du Saint-Esprit de Kaslik pour mettre quelques points sur les «i». Le thème choisi… l’environnement. Antoine Békhazi et Adel Cortas, tous deux intervenants du séminaire, reviennent pour Magazine sur ce sujet important.
«Pourquoi donc s’acharner vainement à chercher midi à 14h, puisque fixe, stable et inchangeable pour rester, éternellement, au juste milieu de chaque jour. Finissons-en et acceptons de respecter, à tous égards, l’environnement en l’épargnant et en le mettant à l’abri de toute agressivité et de toute brutalité, sous toutes leurs hideuses formes les plus diverses», écrit Antoine Békhazi, président du Cénacle libanais pour la protection de l’environnement.
Dans son bureau de Dora, l’homme aux mille et une décorations, impliqué dans les thématiques de l’environnement depuis 50 ans, n’hésite pas à répéter inlassablement le même discours dans l’espoir d’être entendu. «L’environnement, symbole de vie, appartient à tous les citoyens. C’est une culture, une éducation, une fin en soi. Respecter l’environnement, c’est se respecter, car si la santé n’est pas bonne, c’est la vie qui en souffre. Alors sans aucun doute, l’environnement est la priorité des priorités».
Depuis trente-quatre ans, le Cénacle poursuit sans répit son combat de sensibilisation et de responsabilisation des dirigeants et des citoyens libanais aux problématiques de l’environnement. Leurs armes, des publications et des conférences à l’image de celle organisée pour la célébration de la Journée internationale de l’Environnement, le 7 juin dernier à l’Usek, sous le haut patronage du patriarche maronite, le cardinal Béchara Boutros Raï.
«Peu importe le nombre de participants, ce qui compte c’est qu’ils viennent de toutes les régions du Liban et appartiennent à différentes communautés, affirme Békhazi. L’environnement appartient à tout le monde, il n’a pas de parti et n’est pas politisé».
A la tribune en ce 7 juin, se sont succédé Antoine Békhazi, l’écrivain et chercheur sayyed Hani Fahs, Elie Choueiri pour la FAO, Fadi Comair, directeur général des Ressources hydrauliques et électriques, et l’ancien ministre de l’Agriculture, Adel Cortas.
Cortas a concentré son intervention sur le traitement des eaux usées au Liban. Un sujet qu’il évoque de nouveau pour Magazine en aparté. Et c’est Zahlé, sa ville natale, qu’il prend en exemple pour démontrer une situation généralisée préoccupante. «A Zahlé, les eaux usées sont déversées dans le Berdaouni qui sert à l’irrigation des terrains agricoles de la région. Imaginez-vous toutes les bactéries, tous les virus, les métaux lourds parfois cancérigènes présents dans ces eaux usées? A un moment donné, à Zahlé, tout le monde a eu la typhoïde», raconte l’ancien ministre.
Proposée pourtant dès 1990, ce n’est que dernièrement que la municipalité de Zahlé, grâce à un don du gouvernement italien, voit se construire sa station d’épuration. «Le tout est de savoir si la municipalité a les ressources pour la faire fonctionner, car aujourd’hui encore, nous polluons le Litani, poursuit Cortas. Or, certaines études sont en cours pour amener de l’eau du Litani à Beyrouth».
Alors que la communauté internationale se montre très généreuse sur l’octroi de financements pour édifier ces stations d’épuration, pour Adel Cortas, le problème ne s’arrête pas aux constructions physiques. «C’est simple; aujourd’hui au Liban, aucune station d’épuration ne marche. A Baalbeck par exemple, la Banque mondiale a mis sur la table 22 millions de dollars pour faire une station d’épuration, une très belle installation. Mais la municipalité ne sait pas comment la faire fonctionner, ni en assurer la maintenance. Alors, ils continuent à déverser leurs eaux usées comme avant». En tout, 600 000 dollars auraient été dépensés pour traiter les eaux usées de 80% du territoire. A qui incombe la responsabilité de cet immobilisme? Selon l’ancien ministre de l’Agriculture, la faute reviendrait à une mauvaise coordination entre tous les acteurs impartis et ils sont nombreux: le Conseil de développement et de reconstruction (CDR), les ministères de l’Eau et de l’Energie, de l’Agriculture, de l’Environnement et de l’Intérieur et les municipalités. «Je propose de mettre en place un conseil national autonome constitué des représentants de toutes les administrations et présidé par le directeur général des Ressources hydrauliques du ministère de l’Eau et de l’Energie. Si on réunit toutes les bonnes volontés, avec une décentralisation des pouvoirs, je suis certain que l’on peut aboutir à un bon travail».
D’autre part, le président des Amis de l’Eau au Liban note qu’il serait bon d’exiger des bailleurs de fonds de passer trois ans minimum à former les ouvriers, les directeurs et les chefs de service qui seront en charge du bon fonctionnement des stations. La mise en route de ces usines de traitement des eaux usées, un impératif mais pas une fin en soi. Car les différents responsables devront alors discuter des différentes alternatives possibles quant à la destination finale de la boue d’épuration, ces déchets filtrés lors du traitement de l’eau.
«A vous dire la vérité, le gouvernement libanais a fait, en 1994, un bon travail en créant un ministère de l’Environnement. Mais est-ce suffisant pour résoudre les problèmes? Je veux que chaque ministère soit responsable vis-à-vis de l’environnement, à commencer par celui de l’Agriculture à travers la sylviculture, la foresterie. Aujourd’hui, seuls 65 000 hectares de terrains sont boisés, détaille-t-il. Il faut augmenter ce chiffre au moins de 50% sur dix ans et c’est au ministère de l’Agriculture d’agir. Le ministère de l’Intérieur a la responsabilité, entre autres, de bien former les municipalités pour la collecte des égouts. Le ministère de la Santé doit s’occuper de savoir comment traiter les déchets hospitaliers, etc. Le ministère de l’Environnement, quant à lui, a un rôle de suivi. Il doit pousser les autres ministères à devenir environnementalement responsables», souligne-t-il.
Et si, d’après Antoine Békhazi, la route est longue avant d’obtenir des résultats satisfaisants en termes d’environnement, il propose, dans la Revue du Cénacle, 29 recommandations, parmi lesquelles le reboisement intensif, la nécessité de créer des jardins suspendus surtout dans les villes, de réimposer l’usage des pots catalytiques, rétablir la Police Verte qu’ils réclament depuis plus de dix ans ou encore encourager et étendre l’usage de l’énergie solaire. Autant dire que le futur gouvernement libanais aura du pain sur la planche pour rendre le Liban un peu plus vert.
Delphine Darmency