Après avoir donné carte blanche au commandement de l’armée à Saïda pour démanteler la milice d’Ahmad el-Assir, les autorités politiques du pays ont été interpellées par certaines voix, mettant en garde contre le deux poids deux mesures de l’option choisie, qui cloue la communauté sunnite au pilori et protégerait le Hezbollah.
Quelques heures après l’attaque du barrage militaire de Abra, l’Armée libanaise a donné le ton. «Ce qui s’est passé à Saïda aujourd’hui dépasse toutes les prévisions. L’armée a été visée avec un sang-froid et d’une façon préméditée dans le but d’enflammer la situation à Saïda à l’instar de ce qui s’est passé en 1975 […] Les autorités politiques et religieuses de la ville, ainsi que ses députés et ses dignitaires doivent déclarer publiquement et en toute franchise leur position par rapport à l’armée: soit ils se positionnent aux côtés d’elle pour la protection de la ville, soit ils appuient les promoteurs de la discorde et les tueurs des militaires». Constatant l’inefficacité de la stratégie de médiation politique locale pour faire régner l’ordre, sans doute échaudée par les critiques contre elle l’accusant de prendre parti pour un camp contre l’autre et appuyée par les grandes puissances étrangères traditionnelles qui craignent la contagion explosive du Liban par le conflit syrien, l’armée a profité de la fenêtre politique du moment pour balayer d’un revers de main les calculs politiques des uns et des autres et frapper d’une main de fer.
La fitna repoussée
Comment expliquer ce changement de pied spectaculaire? «A partir d’aujourd’hui, plus aucune présence armée ne sera tolérée», a déclaré tout de go le ministre de l’Intérieur, l’inénarrable Marwan Charbel, le même qui, il y a moins d’un an, négociait avec le cheikh salafiste la levée de son sit-in à Saïda. D’abord, le sentiment inquiétant de l’absence d’autorité. Le gouvernement absent, le Parlement prorogé, le Conseil constitutionnel sabordé. Depuis plusieurs semaines, l’Etat semble inexistant. C’est pour combler ce vide que le commandement de l’armée, seule institution capable aujourd’hui de matérialiser sa présence sur le terrain, s’est posé en référent du peuple. Ensuite, la nécessité d’enrayer le cercle vicieux de la violence. De véritables zones de non-droit se sont enracinées sur le territoire, du Nord au Sud, en passant par la Békaa. Il fallait y mettre un terme. L’armée a fait montre de sa capacité d’intervention, en éradiquant en moins de 48 heures l’un des personnages, les plus dangereux qui soient, apparu sur la scène publique du pays.
Elle ne s’est pas fait berner par les épisodes burlesques d’Assir en vélo ou à la montagne. On a vite compris à Yarzé que le cheikh n’était pas qu’un bouffon original ou qu’un bon communicant. Lorsque son discours politique a commencé à prendre des allures communautaires et jihadistes, Assir a dépassé la côte d’alerte. Il n’était plus le catalyseur du ressentiment à l’égard du Hezbollah qui bénéficie d’une audience nationale. Il est devenu un chef de gang qui s’est donné pour objectif de déclencher le jihad contre le parti et la communauté chiite. Ce n’est plus de politique dont il s’agissait, mais d’appels au meurtre et à la guerre sainte. Au deuxième jour des combats de Saïda, l’Armée libanaise avait déclaré vouloir «en finir» avec les partisans armés du cheikh Assir. C’est l’armée, garante de l’unité et de la souveraineté du pays, qui est entrée en action. Du côté du mouvement du 14 mars, l’initiative est saluée, son unilatéralisme moins.
Ambivalence et malaise
Saïda compte deux élus, Fouad Siniora et Bahia Hariri. Leurs premières réactions se sont révélées pour le moins ambiguës. Dans un entretien télévisé, le leader du Bloc parlementaire du Courant du futur a expliqué qu’avec «ses agissements irréalistes et fanfarons, le cheikh Assir est tombé dans le piège que lui ont dressé les Syriens et le Hezbollah». Faut-il comprendre que l’imam de la mosquée Bilal Ben Rabah est une victime, que ses intentions étaient louables mais qu’il ne s’est pas pris de la bonne manière?
L’ancien Premier ministre attribue en tout cas une grande part de responsabilité au Parti de Dieu, dont il a noté la présence au cours de l’opération de Abra. «Il faut retirer les éléments armés, tous les éléments armés, de la ville notamment les îlots sécuritaires et les appartements relevant de ce qu’on appelle les Saraya de la Résistance».
Même discours pour l’ancienne ministre. Le soutien verbal à l’armée du parti est tributaire de la suite des opérations. L’armée va-t-elle s’attaquer à l’autre camp?
Le Courant du futur est-il mal à l’aise? Quelques heures avant l’épisode de Abra, au cours d’une réunion avec les cadres et les comités du Futur à Saïda et au Sud, le secrétaire général du parti Ahmad Hariri, qualifiant les brigades de la Résistance vivant à Saïda de «traîtres pour Saïda et ses habitants», a appelé ces derniers à «dénoncer, assiéger, rejeter et chasser les éléments faisant partie des brigades du Hezbollah dans la ville».
Dans la même veine, le groupe des anciens Premiers ministres a appelé l’armée à agir de façon «juste», affirmant clairement que si l’objectif était de désarmer les groupes armés, il fallait qu’ils le soient tous, y compris le Hezbollah. La loi «doit s’appliquer de la même façon pour tous les Libanais. Les institutions de l’Etat sont responsables de tous les Libanais (…) sans distinction», expliquent-ils dans un texte rendu public après une rencontre entre le chef du gouvernement Najib Mikati, le Premier ministre désigné Tammam Salam, et les anciens chefs de gouvernement Salim Hoss, Omar Karamé et Saad Hariri. Même son de cloche pour le leader des Forces libanaises Samir Geagea.
L’opération de l’armée a soulevé de nombreuses attentes pour les uns, et pas mal de questions pour les autres. Quid des îlots de Tripoli, de la Békaa et de Beyrouth? Frappera-t-elle partout de la même main de fer? La fenêtre politique va-t-elle rester ouverte?
J. A.R.
Gouvernement, le calme plat
Après son entretien samedi avec le chef de l’Etat, Michel Sleiman, Tammam Salam a
rencontré cette semaine le président de la Chambre, Nabih Berry, pour lui annoncer la relance de sa dynamique de formation du
cabinet. Toujours attaché à la répartition dite des « trois huit » − à savoir 8 ministres pour le 14 mars, 8 pour le 8 mars et 8 pour les
centristes − le Premier ministre est dans l’attente des résultats de la mission diplomatique initiée par le chef du Front de lutte nationale, Walid Joumblatt, avec l’Arabie saoudite.
Aoun contre Hariri
Cette semaine, une guerre de mots s’est mise en place entre le leader du Courant patriotique libre (CPL) et celui du Courant du futur sur deux sujets. A la proposition de Saad Hariri, appelant à la prorogation du mandat de Jean Kahwagi, commandant en chef de l’armée, Michel Aoun a répondu qu’il s’agissait d’un «prétexte». «Les sacrifices consentis par l’armée ne sauraient être monnayés par une prorogation […] C’est nous les premiers à donner notre opinion concernant le commandant de l’armée! C’est nous qui représentons les chrétiens au sein du cabinet, et nul autre que nous!», ajoutant
considérer que «le Courant du futur est le
premier responsable de ce qui s’est produit».
La réponse de Hariri ne s’est fait pas attendre. «Permettez-nous, cher général, (de vous répondre que) l’Armée libanaise appartient à tous les Libanais […] Aucune partie politique ou confessionnelle n’a le droit de prétendre la monopoliser. Quant au fait que vous prétendez connaître l’armée et son commandement mieux que quiconque, cela est fortement douteux, surtout s’il nous revient à la mémoire ce commandement qui avait trouvé dans la fuite du palais sous les bombes du régime syrien − l’allié actuel et l’ancien ennemi du général − le meilleur moyen d’exprimer son sens du
commandement modèle».