Vivant au Liban depuis 2006, Caroline Bourgeret a vécu son baptême du feu durant la guerre de juillet 2006. Journaliste indépendante de télévision, correspondante pour la TV5,
la TSR et la RTBF, elle vient de publier Il pleut aussi sur Beyrouth.
«Souviens-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là… Parfois on comprend des choses qu’on pensait avoir déjà comprises. Il pleut aussi sur Beyrouth».
Juillet 2006. Caroline Bourgeret se retrouve coincée sous la pluie de feu qui commence à s’abattre sur Beyrouth, à peine 24 heures après un certain inoubliable 12 juillet. «Cette nuit (où) on a changé de planète», dit-elle, dans l’une des lettres qui composent son livre, Il pleut aussi sur Beyrouth, récemment publié aux éditions Nova. Des lettres qu’elle a majoritairement écrites durant les 33 jours qu’aura duré la guerre de juillet. La guerre. Un mot qui prend tout son sens. Un baptême de feu, de violence et de douleur pour cette jeune Française, âgée alors de 23 ans, qui venait de s’installer il y a trois mois à peine à Beyrouth.
Une guerre, sa première guerre. La découverte de quelque chose auquel elle n’était absolument pas préparée et qui restera pour elle «très traumatique». Elle vivra, comme journaliste, d’autres guerres par la suite, tout aussi violentes et difficiles à couvrir. Mais aucune n’aura le même impact. «Le mois de juillet 2006 continue à générer beaucoup d’émotion et de douleur», face à cette extrême solitude, sans repère ou référent, dans laquelle elle se retrouve plongée d’un coup, comme elle l’évoque dans l’une des lettres: «Plus rien n’aura d’importance. Tu ne pourras parler à personne. Pour les uns, ton expérience sera trop abstraite pour être imaginée, pour les autres, trop banale. Tu seras condamnée à un entre-deux où personne ne viendra te chercher». Les uns, ce sont ses proches dans les pays occidentaux, les autres, ce sont les Libanais. Cette lettre a été écrite plus tard, au cours des années qui ont suivi cette fatidique date. Des années durant lesquelles elle ne pouvait s’empêcher de relire ses lettres.
«L’après est tellement dur. En relisant les lettres, parfois je me sentais triste, d’autres moments mélancolique de cette époque où j’étais plus innocente. Des fois encore, je ressentais de la colère et ce ton naïf et enfantin m’énervait. Comme tous, je suis passée après cette guerre par des douleurs tellement intenses que je ne pensais pas avoir exprimées dans ces lettres. J’avais l’impression que tout n’était pas dit, que c’était quelqu’un d’autre qui avait écrit ces lettres où j’avais du mal à me retrouver. Je me suis donc mise à y répondre». Les lettres post-2006 diffèrent par le ton qui y est mis. Plus sage, plus mature, plus contenu, plus douloureux.
«Personne n’est à l’abri de la haine»
Pourtant, les lettres de 2006, elles aussi, contiennent une grande part de douleur. Une autre forme de douleur. Saisie sur le vif, vécue sur le vif, exprimée sur le vif. Vécue de manière humaine, simplement, tellement humaine. Et c’est peut-être pour cette raison que le lecteur libanais arrive à s’y identifier, à y adhérer, mu par le sentiment d’être face à une Française qui a pu le comprendre. Pourtant, affirme-t-elle, elle était légèrement anxieuse de l’accueil que le livre allait avoir au Liban. «Parce que je connais la réaction des Libanais par rapport aux Occidentaux qui écrivent sur la guerre au Liban, comme s’ils venaient vivre ici leur petite session Indiana Jones. Si les gens n’aiment pas, je n’y peux rien». Mais il semble que jusqu’à maintenant les échos sont plutôt positifs, même venant de France, de la part de personnes qui ont vécu d’autres guerres. D’ailleurs, la grand-mère de Caroline, à qui le livre est dédié, le lui a rendu, les larmes aux yeux, en lui disant qu’elle n’aurait jamais pensé que ce serait sa petite-fille qui décrirait si bien ce qu’elle a vécu. «Du coup, je me suis dit qu’il y a peut-être une utilité à ce livre: de décrire les questions qu’on se pose dans les moments de guerre où on pense être non violent et pacifiste. Et qu’on découvre que personne n’est à l’abri de la haine, de la violence, de sentir l’envie de tuer. Je suis arrivée au Liban arborant un pin’s avec deux mains qui brisent une kalachnikov et le mot paix écrit dans toutes les langues. Quand j’y repense, je rigole gentiment. Je suis contente d’avoir pu grandir dans une telle candeur, une telle bulle rose, les enfants devraient y avoir droit. Mais je ne suis pas forcément mécontente que cette bulle ait éclaté».
Et Caroline Bourgeret est allée au-delà, dans l’expression de ce que le lecteur peut percevoir comme un sentiment d’humaine inhumanité ou d’inhumanité humaine qui la pousse à écrire des passages aussi poignants: «Je ressens un sentiment qui m’était encore inconnu. Je vais parler honnêtement: on me mettrait sur la ligne de front, là, tout de suite, maintenant, avec une kalachnikov dans les mains, je tirerais sans le moindre scrupule sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un soldat israélien. Je me fais peur. Des larmes coulent sur mes joues. (…) Tout le monde a un sniper caché quelque part dans le ventre». «Admettre cela n’est pas facile, explique-t-elle. Et peut-être moins difficile à exprimer dans une société comme le Liban qu’en France où c’est tabou. Je crois que d’autres peuvent aussi le ressentir. Et ça explique beaucoup de choses. En France, dans les discussions, j’ai tellement entendu cette phrase: tant qu’ils ne renonceront pas à la violence. Mais pour renoncer à la violence, il faut encore pouvoir le faire, avoir une autre option. Ce n’est pas toujours le cas. Je crois que les Français ne se rendent pas compte que le renoncement à la violence est un luxe que tout le monde n’a pas. Moi je l’ai découvert ici et je crois que ça a été une étape assez importante de mon cheminement intérieur».
Un cheminement intérieur qui retrouve son écho dans sa carrière journalistique. Si dans l’acception générale du métier, le journaliste se doit de maintenir une distance continuelle, un pouvoir d’analyse dépourvu de sentiments, Caroline Bourgeret, elle, est convaincue que le fait d’expliquer ce qui se passe à l’intérieur des personnes est tout aussi important pour comprendre un pays. «Il ne s’agit pas simplement d’expliquer l’histoire des partis politiques ou le déroulement des événements. Les partis politiques sont soutenus par des gens. Mais pourquoi? Le cœur, les tripes, l’expérience vécue… ne sont pas étrangers aux choix qu’on fait plus tard. Généralement, on ne peut pas s’impliquer de cette manière dans le domaine journalistique, ce n’est pas considéré comme de l’information. Mais pour moi ça l’est. D’ailleurs dans mes reportages, et je suis connue pour cela en France, j’essaie beaucoup d’expliquer les sentiments des gens, parce que je crois que la vérité toute simple est là aussi».
Nayla Rached
Un dessin comme sentiment
Il pleut aussi sur Beyrouth est illustré par Sophie Raynal, une amie de longue date de Caroline Bourgeret. Familière et fan de son blog www.aquoitupenses.fr, où elle poste tous les jours un dessin fait sur le monde de
l’écriture automatique, Caroline s’est laissé encourager pour publier ses textes par son amie qui était venue en visite au Liban. Au cours de leurs discussions, Caroline émet l’idée d’avoir des dessins qui illustreraient ce qu’elle n’a pas pu exprimer par des mots. Et c’est parti, un peu par hasard, comme la décision de publier le livre. Esquissés en noir et blanc, les dessins de Sophie Raynal donnent à Caroline Bourgeret l’impression d’être devant une «photo de ce qui s’est passé à l’intérieur (d’elle) à ce moment-là. Ils sont imbriqués dans la réalité, je ne peux plus les défaire».