Magazine Le Mensuel

Nº 2906 du vendredi 19 juillet 2013

general

Studio Haroun. L’heure de gloire du cinéma libanais

Acteur incontournable et historique du cinéma libanais de 1950 à 1990, le Studio Haroun est aujourd’hui méconnu du grand public et, trop souvent, de la nouvelle génération de cinéastes. Niché au fond d’une ruelle à Fanar, des plus discrets dans son habit blanc qui ne dévoile pas son nom, il renferme les souvenirs des heures de gloire des pionniers du cinéma libanais.

Pour écrire de belles histoires, il faut de grands hommes, ceux-là mêmes qui ont su laisser une trace indélébile dans la mémoire de leurs contemporains et leur empreinte dans l’Histoire. De ces perles incontestées, Michel Haroun en fait partie, artiste reconnu, grand humaniste et inventeur de génie. «Il aimait l’écriture, la peinture et le théâtre. Il en a d’ailleurs joué quelques pièces, notamment au Grand Théâtre de Beyrouth dans Jazar en 1944, raconte Mike Haroun, son petit-fils. Alors que l’armée française évacue le Liban dans les années 40, un de ses lieutenants, qui possédait une caméra 35 mm, cherche à s’en débarrasser. Mon grand-père l’achète et commence à s’en servir, explique-t-il. Souhaitant poursuivre son expérience dans le cinéma, il crée une développeuse pour pellicules noir et blanc, une tireuse pour pouvoir sortir un positif puis un dispositif sonore en bande optique. C’est comme ça que tout a commencé, de façon artisanale. Petit à petit, il a mis en œuvre tout l’équipement nécessaire à un laboratoire et il a décidé de faire un film». Zouhour hamra (Fleurs rouges), son unique long métrage, produit en 1957. Une histoire d’amour entre Haïfa, la fille unique d’une riche famille, et Ghassan, un paysan. Tragédie oblige, ce dernier sera assassiné par un concurrent voulant épouser sa bien-aimée pour profiter de sa fortune. Pour l’anecdote, les deux acteurs principaux, Hélène Freiha et Georges Dfouny, s’uniront dans la vraie vie après le tournage.

Modernisation
Dans Le cinéma libanais, itinéraire d’un cinéma vers l’inconnu, un ouvrage du réalisateur Hady Zaccak, on apprend que le tournage de Zouhour hamra «connut des difficultés financières, surtout dans sa deuxième moitié. Mais la production artisanale réussit à surmonter les obstacles. Michel Haroun réalisa des effets ingénieux dont une certaine «symphonie de gouttelettes d’eau», dont le poète Saïd Akl fera l’éloge dans l’éditorial du journal an-Nahar. Michel Haroun, acteur, metteur en scène et inventeur sera considéré par ceux qui l’ont connu et qui ont travaillé avec lui comme un génie». Quelques lignes plus loin, on découvre le témoignage de Philippe Akiki, directeur de la photographie du film. «Les moyens étaient primitifs: le négatif, une fois développé, était suspendu sur les orangers; pour le montage, nous avons utilisé une simple loupe. Bref, le travail était artisanal et gratuit: j’étais à la fois technicien, chauffeur… Je portais les projecteurs, je développais la pellicule et je filmais. Mais nous avons pu quand même réaliser un excellent film: de très bons cadrages et un son très intelligible».
De ces jours glorieux, il ne reste aujourd’hui que peu de chose. Les machines inventées par Michel Haroun ont désormais disparu à l’exception de sa tireuse, une pièce tout simplement historique. Après avoir réalisé son film, il concentre tout son temps au studio qui porte son nom, aidé par ses deux fils, Ghassan, directeur de la photographie et Raymond, ingénieur du son. «Nous avons modernisé, mon frère Raymond et moi, le studio au début des années 60. En 1963, nous avons acquis le matériel nécessaire pour développer les films en couleur. Nous avons également renouvelé le matériel d’enregistrement du son et nous avons commencé à travailler. Tout était disponible: du matériel pour le tournage, le développement, le tirage et le montage», témoigne Ghassan Haroun dans l’ouvrage de Hady Zaccak. Un équipement dont se serviront maints talents du cinéma libanais, à l’instar de Sobhi Seifeddine.
«J’étais très jeune quand j’ai rencontré Michel Haroun, se souvient-il, dans son bureau du syndicat des professionnels du cinéma situé à Hamra dans le centre Pavillon. C’était le meilleur, il avait une réputation unique, s’exclame-t-il. Son studio était autrefois situé au sous-sol de sa maison, sur la route principale de Zalka. Quand il a commencé, il n’avait rien. L’histoire a débuté avec une bande de copains de théâtre qui ont voulu faire du cinéma dans les années 50. Pour nous, ce studio était comme notre maison, nous y étions à l’aise, décrit-il. Contrairement au Studio Baalbeck, où il fallait payer tout de suite en cash, le Studio Haroun était plus flexible, nous n’avions pas de pression. Au lieu de payer 60 000 L.L. pour le matériel, le plateau, le tournage, le développement, le montage, le doublage et le mixage, nous payions 5 000 L.L., assure-t-il. Ce studio a beaucoup aidé les cinéastes libanais. La disparition de Michel Haroun a été une très grande perte et la fermeture de son studio, quelques années plus tard, une conspiration», lance-t-il. A 26 ans, Sobhi Seifeddine termine son premier film sur la Première Guerre mondiale, entièrement réalisé grâce au Studio Haroun, comme le seront ses quatre autres longs métrages.
Alors que le laboratoire du Studio Haroun se situe à Zalka, à côté de la Cigale jusqu’aux débuts des années 80, les plateaux, les salles de doublage et de mixage sont, eux, depuis 1960 à Fanar, loin de tout bruit extérieur. «Même durant la guerre, j’allais travailler au studio, en empruntant des routes plus tranquilles, se rappelle Seifeddine. Alors que les bombardements faisaient rage, nous étions là-bas en sécurité, travaillant sur nos doublages. Nous étions loin de la guerre et de son racisme. Nous étions chez nous et on nous préparait même à manger». Un souvenir partagé par Grace, petite-fille de Michel Haroun et fille de Raymond. «Je me rappelle des acteurs qui étaient installés partout dans la maison et ma mère qui s’énervait», raconte-t-elle amusée. Aujourd’hui, elle a repris avec son frère Mike l’industrie familiale. Mais plus question de développer des pellicules de 35 ou 16 mm ou de produire des films. La famille se développe avec son temps et a décidé de se spécialiser dans le doublage et le sous-titre de films. Et, surprise, même si en 2013 la majorité de leur travail se concentre sur le numérique, ils s’occupent parfois de sous-titrer quelques bobines de 35 mm, notamment pour des pays dont les bureaux de la «censure» ne sont pas encore équipés avec de nouvelles technologies.

Retour des Etats-Unis
Au Studio Haroun aujourd’hui, quelques trésors cinématographiques parsèment toujours ici et là ses allées et même ses bureaux administratifs, des projecteurs à combustion aux anciennes moviolas. Le laboratoire, toujours équipé de ses machines de développement, sert aujourd’hui à nettoyer d’anciennes pellicules de film. Et si les plateaux de tournage, les bureaux administratifs et
parfois même le laboratoire sont en activité, il reste un étage que Mike et Grace ont du mal à faire visiter, le cœur lourd. Dans des murs affublés de boîtes d’œufs pour isoler le son, le studio de doublage et d’effets sonores est toujours dans son état d’origine, et devrait le rester après quelques ajustements. Magnifique! Une chaise rouge déco des années 60 sur roulette devant une table de mixage empoussiérée, on y devine encore l’ingénieur du son regardant les comédiens s’affairant de l’autre côté de la vitre à doubler les paroles d’un film. «Nous nous amusions ici beaucoup quand nous étions petits, se souvient Mike. Surtout avec les acteurs égyptiens qui ne se prenaient pas au sérieux. Et puis, j’y ai fait quelques doublages enfant. En tout, plus de 250 films sont passés entre les mains du Studio Haroun, explique-t-il, tenant des vieux registres. Les années 60-70 ont été ses années d’or. Puis en 80-81, l’action du studio a commencé à ralentir. En 1990, avec la guerre entre le général Michel Aoun et les Forces libanaises, il a fermé, il n’y avait plus rien à faire. La seule chose qui marchait encore était les plateaux en haut, utilisés par des chaînes de télévision». C’est en 1998 que Mike Haroun décide de rentrer des Etats-Unis pour reprendre l’affaire familiale et redonner vie au studio le 11 mai 2000. Mais sa fermeture d’après-guerre symbolisant la fin d’une époque, Sobhi a encore du mal à la digérer. «Nous sommes encore attristés de sa fermeture, reprend-il. Personne n’a aidé, même pas le gouvernement qui n’a jamais protégé le cinéma libanais. Autrefois, il y avait les studios Haroun, Baalbeck, el-Arez, Awad, et nous pensions qu’après la guerre, les studios allaient rependre de plus belle leurs activités. Mais ils ont tous fait faillite et ont fermé leurs portes, notamment à cause du retour de l’activité du cinéma égyptien et des téléfilms dramatiques syriens qui ont pris leur envol, le Liban étant relégué comme producteur de vidéoclips malgré son rang de 2e nation arabe dans la production cinématographique».
Et si le Studio Haroun est trop souvent absent des hommages décernés au cinéma libanais, il devrait pourtant en être l’invité d’honneur. Chapeau bas Monsieur Michel Haroun! 


Delphine Darmency

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