Magazine Le Mensuel

Nº 2907 du vendredi 26 juillet 2013

Festival

Dee Dee Bridgewater. Une voix qui embrase Beiteddine

Le mercredi 17 juillet, le palais de Beiteddine a tressailli sous des airs de jazz et la voix ensorcelante de Dee Dee Bridgewater, accompagnée du pianiste de légende Ramsey Lewis. Une soirée placée sous le signe de l’enchantement.
 

Dès son entrée sur scène, au bras du pianiste Ramsey Lewis, Dee Dee Bridgewater instaure un contact direct avec l’audience. Un contact enrobé de chaleur, de plaisir, de partage, de communion. «Quel honneur de me retrouver encore une fois ici, dans ce palais magique avec toute son histoire et surtout avec vous». Le charme opère instantanément. Dee Dee Bridgewater a conquis son public, par son charisme, sa présence, sa fraîcheur, sa spontanéité, étudiés, perceptibles d’un coup, du premier coup. Et la voilà qui nous installe dans une ambiance d’intimité, gracieuse, lumineuse. A plusieurs reprises, elle s’adressera à son public. Pour introduire le répertoire de la soirée, pour présenter les musiciens qui l’accompagnent sur scène, pour plaisanter, pour mettre en scène les chansons qu’elle interprète, pour évoquer les souvenirs de son précédent concert au palais de Beiteddine en 1997, pour rendre hommage à Ella Fitzgerald, à Billie Holiday, pour remercier les Libanais. Dee Dee Bridgewater, une véritable bête de scène, une «one woman show» comme on en a rarement vu. C’est qu’elle semble avoir un immense plaisir à être sur scène, à sentir le public vibrer avec elle, rire avec elle, s’émouvoir avec elle. Partager un moment d’euphorie, tous ensembles, la scène et la salle, les musiciens et l’audience.
Que la musique commence. Un premier standard de jazz, ambiance très Broadway. De par la musique, l’interprétation, la gestuelle. La voix légendaire de Dee Dee Bridgewater s’élève dans les airs, puissante, passionnelle, empreinte de toute une palette de nuances, d’émotions, oscillant entre le grave et l’aigu. Entre la chanteuse et Ramsey Lewis, une complicité qui semble tissée d’amitié et de partage d’éternité. Cette éternité qu’est la musique, tout simplement. Elle s’accoude au piano, installée sur un tabouret, et dialogue en vocalise avec l’instrument.

D’enchantement et de rythme
Une première chanson qui donne le ton, aiguise l’impatience, en attendant le reste de la soirée. Et notre impatience sera encore plus affûtée puisque voilà que Dee Dee Bridgewater nous abandonne. Elle nous laisse entre les mains des musiciens, l’espace de quelques morceaux instrumentaux.
Léger changement d’ambiance. Virement d’un jazz plutôt classique à une ambiance plus moderne, plus ancrée sur le son. Dee Dee Bridgewater nous avait prévenus dès le début, en annonçant un répertoire alternant entre des morceaux plus classiques et autres plus modernes. The way she smiles, Brazilica… Ramsey Lewis et ses musiciens font preuve de dextérité, en solo, en duos, ou en mouvements d’ensemble. La basse tient impeccablement le groove, sonnant parfois comme des airs profonds de contrebasse, à mesure que la batterie maintient le rythme, pour céder la place aux accords de guitare, avant l’entrée en jeu des sons, par moments expérimentaux, du synthé, tous retenus par les doigts de Ramsey Lewis qui parcourent la gamme du clavier. Mais, parfois, il semble manquer quelque chose à l’ensemble. Un certain «feeling», une certaine synergie. Un brin d’audace, d’exploration, de défrichement instantané, d’improvisation. Peut-être. En fonction des sensations de chacun.
Et Dee Dee Bridgewater retourne sur scène. Un hommage à la chanteuse américaine Nancy Wilson avec Save your love for me. La soirée prend une tournure encore plus embrasée quand Dee Dee Bridgewater accueille Edsel Gomez, son pianiste qui l’accompagne depuis plus de 10 ans. I can’t help it de Michael Jackson et Stevie Wonder, Night moves de Michael Franks, One fine thing de Harry Connick Jr. Dee Dee Bridgewater ne cesse de se déplacer sur scène, d’agiter son éventail, de mettre en scène les chansons, emmêlant humour et sensualité. Le public s’embrase, les yeux remplis de bonheur de prendre part à ce moment d’enchantement sous la majesté du palais de Beiteddine. Un enchantement que Dee Dee Bridgewater décuple quand elle interprète un morceau d’Ella Fitzgerald, un clin d’œil à son précédent passage au Liban, à Beiteddine même, où elle lui avait rendu hommage.
Entre une phrase chantée et une autre, les notes des musiciens instaurent au fur et à mesure l’écrin parfait où le timbre de la diva ne cessera de se poser, engendrant à chaque fois une jouissance sans pareille dans l’audience. Le souffle se suspend quelques instants qui s’étirent en extase: Dee Dee Bridgewater se lance en vocalise, à sa manière particulière. Vocalises ou «squatting», elle en a fait son cachet, son «trademark». Sa voix devient un instrument en soi, qui dialogue tour à tour avec le piano, le synthé, la batterie, la basse, la guitare. Elle valse avec les instruments, physiquement, scéniquement. Elle met en scène cette danse musicale, une expérience visuelle et sonore, que les mots peuvent difficilement décrire. C’est Dee Dee Bridgewater qui se dévoile et nous ensorcelle. Et ce frisson qui vous étreint quand elle impose à sa voix mille et une bifurcations simultanées.
Ramsey Lewis retourne à son piano pour un dernier morceau. Et Dee Dee Bridgewater entonne le mythique tube de Stevie Wonder, Living for the city, sous les applaudissements d’un public de plus en plus charmé. Et la diva ne saurait quitter son public avant de le remercier chaleureusement. Et elle nous offre en «encore», un «message d’amour» de la part de Billie Holiday: God bless the child. L’espoir avait, ce soir-là, les teintes d’une voix chaleureuse, celle de Dee Dee Bridgewater.

Nayla Rached

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