Magazine Le Mensuel

Nº 2908 du vendredi 2 août 2013

Affaire Déclassée

Massaad-Chemeyssani. Deux assassinats, un lien communautaire

En 1960, le Liban traversait une période d’instabilité due aux divers incidents qui ont suivi les événements de 1958 et le début du mandat du président Fouad Chéhab. Un double assassinat, connu sous l’affaire Massaad-Chemeyssani, a ravivé les tensions communautaires.

Après les événements de 1958, le président Fouad Chéhab tentait en vain de reconstruire l’Etat si bien qu’il menaça de renoncer à sa fonction. Soumis aux pressions parlementaires et populaires, il accepte de revenir sur sa décision et d’assumer son mandat. La sécurité a fini par s’installer grâce aux efforts déployés par la police pour pourchasser les criminels et les punir. C’est ainsi que l’ordre a été maintenu dans le pays.
Mais le 18 avril 1960, le père Boulos Massaad, curé de Achkout, est assassiné à Majdel-Baana près de Sofar. Il est retrouvé une balle dans le dos, une autre dans la tête. Grâce au témoignage d’un passant, la police reconstitue le crime. L’enquête, rapidement menée, permet de remonter jusqu’aux criminels. Un habitant du village, Salim Abdel-Khalek, est alors arrêté, ainsi qu’un changeur de Beyrouth, Georges Ghosn, dont la voiture a été aperçue, le jour du crime, dans la région où le meurtre a été perpétré.
Salim Abdel-Khalek avoue avoir blessé le curé et accuse Ghosn de l’avoir achevé en lui tirant la balle fatale. Ce dernier dément et dénonce Abdel-Khalek comme le véritable instigateur de l’assassinat. Les deux hommes sont arrêtés. Le changeur avoue avoir engagé Abdel-Khalek pour juste intimider le curé qui lui réclamait de l’argent et admet qu’il était son complice dans des opérations de trafic.
L’enquête révèle que Ghosn avait emmené le curé dans sa voiture, le soir du 17 avril à Majdel-Baana, où Abdel-Khalek les attendait menaçant la victime d’un revolver. Mais la situation échappe bientôt au contrôle des deux hommes. Le curé tente de fuir, Abdel-Khalek lui tire une balle dans le dos. Mais c’est Ghosn qui l’achève d’une balle dans la tête. Les deux complices creusent un fossé pour enterrer le corps. Ils n’ont pas le temps de le faire. Ils l’abandonnent sur la route et prennent la fuite. Ghosn est même allé jusqu’à terminer sa soirée au Casino du Liban, histoire d’écarter les doutes.
L’affaire soulève l’indignation. L’enquête révèle que le curé était l’associé de Ghosn dans son trafic de diamants et de devises étrangères et qu’il avait fait passer un kilo de diamants à Dakar pour le compte de ce dernier qui lui avait versé sa commission.
Le 13 juillet 1960, le juge d’instruction Raymond Braidi rédige son acte d’accusation et requiert la peine de mort pour Ghosn et Abdel-Khalek pour le meurtre prémédité du curé Massaad, lequel s’était montré gourmand et avait exigé de Ghosn une somme plus importante. Le changeur lui aurait fixé rendez-vous à Majdel-Baana pour lui remettre l’argent. C’est Abdel-Khalek qui l’a rencontré d’abord et l’a menacé de son arme. Quand le curé tenta de lui échapper, Abdel-Khalek lui tira une balle dans le dos avant que Ghosn ne le vise à la tête.
A la question de savoir laquelle des balles a provoqué la mort, le médecin légiste est formel: les deux sont aussi mortelles. L’affaire est portée devant la Cour criminelle du Mont-Liban.
Abdel-Khalek réussit à s’évader de prison le 3 août 1960 avec onze autres prisonniers, dont dix meurtriers de Baabda. Neuf prisonniers sont retrouvés et réincarcérés, mais Abdel-Khalek et un autre détenu restent en cavale.
Le verdict de la Cour criminelle est émis le 9 janvier 1961. Il retient que Ghosn a manigancé le crime et que Abdel-Khalek a tiré les deux balles sur le curé. Selon la loi Eddé du 16 février 1959, la peine de mort est appliquée à tout coupable d’homicide intentionnel. Les deux hommes sont donc condamnés à mort. De leur côté, les douanes imposent une lourde amende à Ghosn pour les opérations de trafic qui remontaient à des mois. Ce dernier se pourvoit en cassation.
Mais les émeutes qui avaient été provoquées par une autre affaire, dite de Chemeyssani, ont lié les deux dossiers au nom de l’équilibre confessionnel. La grâce de l’un appelait donc celle de l’autre, et l’exécution de l’un entraînait celle de l’autre.
Ghosn passe ses jours en prison. Le 20 décembre 1962, la Cour de cassation prononce son verdict: la peine est commuée en 15 ans de travaux forcés.

Arlette Kassas

Les informations sont tirées du Mémorial du Liban: le mandat Fouad Chéhab, de Joseph Chami.
 

Drame à Adliyé
Le 11 janvier 1960, l’agent Hassan Ibrahim Chemeyssani abat en public Mitri Okdé avec son arme de service à Adliyé (Palais de justice). Okdé avait été accusé et jugé pour l’assassinat de Toufic Ibrahim Chemeyssani, en 1948. Condamné à la prison, il est libéré trois ans plus tard. Hassan Ibrahim Chemeyssani, âgé de douze ans au moment du crime, décide de venger son frère. Il le fait en 1960 en tirant huit balles dont six atteignant Okdé le tuent net. Une balle perdue blesse un avocat et la dernière touche un huissier. Chemeyssani se livre à la police.

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