Dimanche 4 août, le président iranien, Hassan Rohani, a prêté serment devant le Parlement. Quel est le vrai visage de ce nouveau président qui définira le cours des événements en Iran et au Moyen-Orient durant les cinq prochaines années?
Le président Rohani a profité de la cérémonie d’investiture pour adresser un message aux pays occidentaux en soulignant que les sanctions visant son pays n’étaient pas viables et que seul un dialogue sur un pied d’égalité pouvait faire baisser les tensions. «Si vous voulez une réponse appropriée, n’utilisez pas le langage des sanctions mais plutôt celui du respect. La transparence est la clé de la confiance, mais elle ne peut être à sens unique et sans mécanisme pratique dans les relations bilatérales et multilatérales. La détente, la confiance mutuelle et constructive déterminent notre chemin. Je déclare clairement que nous n’avons jamais cherché la guerre avec le monde», a dit le nouveau président. Néanmoins, au mois d’août, la Chambre des représentants américaine a adopté de nouvelles sanctions contre Téhéran qui, dans le cas où elles seraient entérinées par le Sénat en septembre, toucheraient toutes les industries liées au secteur pétrolier, entre autres l’exploitation minière et l’automobile.
Hassan Rohani a mis en exergue le fait que son élection était un choix «pour la modération et contre l’extrémisme». «Je déclare que la République islamique d’Iran cherche la paix et la stabilité dans la région. L’Iran est un port de stabilité dans notre région troublée. Nous ne cherchons pas à changer les frontières et les gouvernements. Le régime politique de chaque pays dépend de la volonté de sa population», a-t-il ajouté.
De nombreux défis
Le nouveau président se trouve confronté à de nombreux défis, notamment l’opposition des ultraconservateurs. En effet, lors d’une entrevue télévisée durant l’élection, Rohani avait déclaré en brandissant une petite clé argentée que «tout peut se résoudre avec la clé de la bonne gestion et de l’espoir. Sachez-le. Le problème nucléaire aussi va se résoudre. Les sanctions seront levées. La prospérité reviendra». Le président Rohani avait également promis la libération des prisonniers politiques, arrêtés en 2009, lors de la contestation contre la réélection du président sortant Mahmoud Ahmadinejad. Il avait également critiqué l’état des connexions Internet en Iran ralenties par le régime pour un meilleur contrôle, réclamé l’égalité des droits pour les femmes et dénoncé le climat sécuritaire imposé par son prédécesseur.
Selon un article paru dans le quotidien Le Monde, citant François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran en 2001, Rohani jouirait de la confiance du guide de la révolution, Ali Khamenei, qui l’avait nommé négociateur en chef dans le dossier nucléaire, en 2003, après les révélations touchant au programme clandestin iranien. Selon Stanislas Lefebvre de Laboulaye, ancien directeur général des affaires politiques et de sécurité au Quai d’Orsay, cité par Le Monde, Rohani serait un homme d’appareil, très composé. «Il était courtois. Sur le nucléaire, il s’était comme nous formé sur le tas. Mais il savait de quoi il parlait». Rohani s’est également distingué en 2003 par l’obtention d’une suspension provisoire de l’enrichissement nucléaire iranien à l’issue d’une rencontre au palais de Saadabad en Iran avec les ministres européens des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, Jack Straw (Royaume-Uni) et Joshka Fischer (Allemagne).
Le talon d’Achille de Rohani reste, cependant, également lié au dossier nucléaire, plus particulièrement aux événements de l’été 2005, époque durant laquelle la conclusion d’un accord sur le nucléaire semblait imminente à l’aube de la nouvelle élection présidentielle qui accordera la victoire à Mahmoud Ahmadinejad. L’équipe de Rohani supplie alors les Européens de conclure un accord avant l’entrée en fonction du président conservateur, une offre qui sera rejetée, côté européen, en l’absence de contreparties. L’arrivée au pouvoir du président Ahmadinejad va entraîner le renvoi de Rohani et la reprise de la conversion d’uranium à Ispahan.
Signe de changement
Selon France Info, citant Thierry Coville, chercheur à l’Iris: l’élection de Rohani à la présidence de la République islamique serait un signe de changement. Le nouveau président serait ainsi une figure modérée, située à mi-chemin entre les deux courants principaux iraniens, celui qualifié de réformateur du président Mohammad Khatami (1997-2005), et l’autre plus radical de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). «Son grand mot d’ordre, c’est d’être contre tous les extrêmes et pour la modération», explique Thierry Coville.
Le nouveau président de la République islamique est également décrit comme un homme de réseaux grâce à ses responsabilités dans toutes les grandes institutions iraniennes et notamment celles portant sur les questions sécuritaires.
Thierry Coville attribue l’élection de Rohani au désir de la société iranienne d’une plus grande modération notamment en termes d’économie et de droits individuels.
Pour réussir sa mission, Rohani s’est entouré de technocrates ayant participé pour la plupart dans les gouvernements des anciens présidents Hachémi Rafsandjani (1989-1997) et Mohammad Khatami (1997-2005). Parmi les hommes choisis par Hassan Rohani figurent ainsi l’ex-ambassadeur d’Iran à l’Onu, Mohammad Javad Zarif, qui devient chef de la diplomatie, et Bijan Zanganeh, qui revient au poste de ministre du Pétrole qu’il occupait sous la présidence de Khatami. La nomination de Mohammad Javad Zarif à la tête de la diplomatie souligne sans doute le désir du nouveau président iranien de sortir de l’impasse opposant la République islamique et les Etats-Unis, depuis plus de trente ans. Zarif, 53 ans, parlant couramment l’anglais, a obtenu son doctorat à l’Université de Denver et aurait été impliqué dans plusieurs négociations secrètes entre les Etats-Unis et l’Iran au cours des vingt dernières années. Sa capacité à orienter la politique iranienne dépendra sans doute de la latitude qui lui sera accordée par le guide suprême.
En tant que ministre du Pétrole sous le gouvernement réformiste de 1997 à 2005, Zanganeh a, lui, contribué à lever des milliards de dollars d’investissements étrangers pour l’industrie des hydrocarbures. Il jouirait du soutien du guide suprême l’ayatollah Khamenei. Un autre parmi les proches de Rohani, Hossein Moussavian, actuellement à Princeton, serait pressenti au poste de négociateur nucléaire.
Rohani se trouve, dès son investiture, dans une position délicate, celle de la troisième voie, cherchant à corriger les excès du conservateur Ahmadinejad sans pour autant trop se démarquer de la ligne du guide suprême, qui voit d’un mauvais œil les réformateurs. Il doit faire face à une situation économique catastrophique et une baisse des exportations de plus de 50% en raison des sanctions imposées par l’Occident, le tout exacerbé par le soutien financier de la République au régime syrien.
Mona Alami
Un tisserand de tapis
Le président Rohani, né Hassan Feridon en 1948, est originaire de Sorkheh, à l’est de Téhéran. Adolescent, il travaillait dans un atelier de tissage de tapis avant d’entrer au séminaire à Qom. Le jeune homme est très influencé par les idées révolutionnaires. A 18 ans, une dizaine d’années avant la révolution, Rohani se rend clandestinement en Irak pour y rencontrer l’ayatollah Khomeini. Il fait des études de droit à Téhéran, suivies d’un master puis d’un doctorat en 1972 à Glasgow. Il termine dans les années 1990. En 1978, il rejoint Khomeini, en France, où il rencontre d’autres révolutionnaires dont Ali Akbar Hachémi Rafsandjani. A la révolution en 1979, il est promu à de hauts postes comme responsable de l’islamisation des programmes de télévision. Il devient plus tard membre du Parlement et du Conseil suprême de défense. Lors de la guerre d’Irak contre Saddam Hussein, Rohani occupera un poste de commandement notamment dans les forces aériennes. A la mort de l’ayatollah en 1989, il devient représentant personnel de Ali Khamenei au Conseil suprême de la sécurité nationale.
Ce qu’ils ont dit
En réaction aux propos de Hassan Rohani, l’Union européenne a appelé le lundi 5 août l’Iran à faire de rapides progrès sur le dossier nucléaire. Pour leur part, les Etats-Unis ont assuré qu’ils seraient un partenaire de bonne volonté si le nouveau gouvernement iranien choisissait de s’engager de manière substantielle et sérieuse afin de respecter ses obligations internationales. Javier Solana, qui connaît Rohani en sa qualité de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, a, lui, déclaré: «Nous n’avons signé qu’un seul accord avec l’Iran, et c’était grâce à Rohani. Son élection est un événement majeur. J’ai suivi tous ses débats télévisés, il a été très courageux».