Novembre 1948, deux meurtres secouent le Liban. Commis dans des circonstances différentes, ils marquent le pays qui traversait une situation délicate sur le double plan interne et régional. D’une part, la crise palestinienne et de l’autre les défis qu’il doit relever au cours de cette période.
Le 5 novembre 1948, une chanteuse bien connue, Afaf, trouvait la mort dans des circonstances particulières. La chanteuse jouissait d’une certaine notoriété et avait réussi en quelques années seulement à s’imposer dans les milieux artistiques. Son assassinat émeut la population.
Née à Zahlé, Afaf est la fille de Mikhaël Haouzé. A 17 ans, à peine, elle épouse Salim Khoury et en a deux filles. Quelques années plus tard, elle quitte le domicile conjugal et abandonne son mari et ses filles pour le monde de la chanson. Elle découvre en premier sa vocation en Egypte, où elle se produit pendant plusieurs mois, avant de passer en Palestine. Elle se fait suffisamment d’argent pour retourner au Liban où elle se stabilise et mène sa vie d’artiste.
La chanteuse se fait alors un nom et mène un grand train de vie. Elle se lie à un certain Ahmad Abou Zeid, ancien capitaine du port de Haïfa, et passe plusieurs mois avec lui. Malgré les interventions du fils de ce dernier et les menaces qu’il adresse à la chanteuse afin qu’elle laisse son père tranquille et rompe toute liaison avec lui, Afaf fait la sourde oreille.
Le soir du 5-6 novembre 1948, la chanteuse et le capitaine dînaient au restaurant Ajami, en plein cœur de Beyrouth. Peu avant minuit, elle quitte le restaurant en premier et s’installe au volant de sa voiture garée tout près pour attendre le capitaine qui réglait l’addition. Quelques minutes plus tard, un inconnu tire plusieurs balles dans sa direction. Blessée au cou et à la poitrine, elle succombe à ses blessures à son arrivée à l’hôpital.
L’affaire Tamam Adas
L’enquête s’oriente d’abord vers la piste du mari éconduit. Ce dernier clame son innocence. Le juge d’instruction le relâche. La vérité était ailleurs. C’est le fils du capitaine Abou Zeid qui est accusé d’avoir assassiné la chanteuse qui, ignorant ses menaces, n’a pas rompu sa relation avec son père. Il s’est avéré qu’il avait rendu visite à la chanteuse quelques jours plus tôt et lui avait demandé de mettre un terme à cette relation qui avait déjà coûté à son père 200 000 livres libanaises, une coquette somme à l’époque. Mais la chanteuse s’entêtant à refuser, il décide de la tuer.
Toujours en novembre de la même année, un autre crime provoque l’indignation générale. Tamam Adas, de Rachaya, est la mère naturelle d’un petit garçon qu’elle délaisse pour son amant Hani Habib Mourad. Elle convainc sa mère de lui céder un terrain dont elle voulait profiter avec son amant. En dernière minute, celle-ci change d’avis et revient sur la promesse faite à sa fille Tamam, qui décide de réagir et de faire payer à sa mère ce revirement. De connivence avec son amant, elle l’introduit un soir au domicile de sa mère qui dormait avec le fils de Tamam près d’une cheminée. Hani place une grenade dans les cendres de l’âtre et se retire. L’explosion tue la mère et blesse grièvement l’enfant.
Sans aucune indulgence pour Tamam et son amant, les juges les condamnent à la peine capitale. C’était la première condamnation à mort d’une femme au Liban, mais sa peine fut commuée en prison à vie, à la suite de l’amnistie décrétée au début du deuxième mandat de Béchara el-Khoury.
Arlette Kassas
Les informations citées dans cet article sont tirées du Mémorial du Liban – le mandat Béchara el-Khoury, de Joseph Chami.
Incidents et condamnations
Ces deux affaires sordides ont secoué le Liban au cours du dernier trimestre de 1948, mais les meurtres ne manquaient pas à cette époque. L’Etat, soucieux d’imposer la sécurité et de faire ses preuves dans ce jeune Liban, ne montrait aucune indulgence. Les condamnations à la peine capitale étaient nombreuses.
Quelques jours à peine avant l’assassinat de la chanteuse Afaf, Ali Ibrahim Ammar, surnommé le «monstre de Machghara» pour avoir violenté puis tué trois mineurs, est pendu devant les parents des victimes.