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Nº 2918 du vendredi 11 octobre 2013

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Le sang coule à nouveau en Egypte. Les «Frères» sombrent dans la violence

La «Victoire du 6 octobre 1973», pour son 40e anniversaire, a grandement servi les intérêts de l’armée égyptienne. L’orchestration était parfaite. Depuis le début du mois, les grands titres des journaux étaient consacrés à cette bataille, qui restera le plus grand triomphe militaire de l’Histoire d’Egypte. A dater du 5 octobre, les chaînes satellitaires ont unifié leurs programmes sur ce thème.

La journée du 6 octobre 2013 sera un jour de fête à travers le pays. C’est le vœu des autorités. Mais les Frères musulmans, opposés «au coup d’Etat militaire» qui a destitué Mohammad Morsi, ont annoncé leur ferme intention de s’opposer aux manifestations de joie.
La population redoute ce duel qui aura, sans aucun doute, des conséquences sanglantes puisque le mot d’ordre officiel est de sévir avec la plus grande rigueur contre toute atteinte à la stabilité de l’Egypte.
La menace islamiste n’empêche pas le déroulement des festivités. Les journaux des 5 et 6 octobre consacrent tous un supplément aux «héros de la guerre d’octobre». De leur côté, les chaînes de télévision, publiques et privées, rivalisent d’enthousiasme pour commémorer cette bataille. Dès le 5 octobre, Anouar el-Sadate apparaît, à longueur de journée, sur le petit écran pour annoncer «la victoire en six heures contre l’ennemi sioniste».
La chaîne CBS s’approprie une grande première. Jihane el-Sadate, pratiquement exclue des programmes télévisés depuis l’accession au pouvoir de Hosni Moubarak, accorde une longue interview à la speakerine. Assise à côté de son fils Gamal, dans le salon de l’ancienne présidence de la République (une demeure qu’elle conservera jusqu’à son décès), Jihane retrace le portrait d’Anouar el-Sadate, sa discrétion totale au sujet de la guerre d’octobre, sa propre stupéfaction, les conséquences de cette victoire…
Le lendemain, 6 octobre, toutes les chaînes de télévision ont un seul sujet: les grands moments de la Victoire. Depuis son décès, Sadate n’avait jamais plus accaparé de la sorte le petit écran. D’autre part, de nombreux généraux à la retraite raniment le parcours de cette guerre, leur propre rôle, et soulignent l’héroïsme de leurs soldats. Des millions de téléspectateurs sont heureux de revivre, ou de s’initier pour les plus jeunes, à ces journées inoubliables de la vie de la nation.

Troubles à Tahrir
Dans les rues, le spectacle est différent. Tôt dans la matinée et, à plusieurs reprises dans la journée, des avions de chasse et des hélicoptères survolent à basse altitude Le Caire et les grandes villes et larguent des drapeaux égyptiens.
A la place Tahrir, symbole de la double révolution, celles du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013, la foule agite des drapeaux et entonne des chants patriotiques.  Des portraits du général Abdel-Fattah el-Sissi voisinent avec ceux de Gamal Abdel Nasser, et plusieurs manifestants clament: «Sadate a libéré le Sinaï, et Sissi a libéré l’Egypte».
Des centaines de manifestations de soutien à l’armée ont lieu à travers le pays, tandis que les islamistes tentent de perturber ces festivités dans Le Grand Caire, soit à Guiza, Helwan, Choubra, Nasr City et à Alexandrie, Suez, Béni-Souef, Miniah… Le bilan des accrochages entre anti et pro-Morsi s’élève en fin de journée à 51 morts et environ 400 blessés. Le ministère de l’Intérieur annonce l’arrestation de 450 fauteurs de troubles.
Ces violences n’empêchent pas le déroulement des cérémonies officielles: gerbes de fleurs déposées par le président de la République et le général Sissi sur les tombes du Soldat inconnu, de Gamal Abdel Nasser et d’Anouar el-Sadate, en présence des familles des anciens présidents de la République.
Le soir, au stade des Forces anti-aériennes, une fête musicale se déroule en présence du président Adli Mansour, du général Abdel-Fattah el-Sissi, de Jihane el-Sadate et de Abdel Hakim Gamal Abdel Nasser. L’opérette, intitulée «Misr Om Al Dounia», est interprétée par une centaine d’artistes égyptiens et étrangers.
Le général Sissi, longuement applaudi par l’assistance, prend la parole. Il rend hommage aux héros du 6 octobre 1973 et reprend le slogan: «L’armée, la police et le peuple sont ensemble, main dans la main, pour accomplir la volonté des Egyptiens». Un torrent d’applaudissements accueille cette déclaration. Le général poursuit: «L’armée n’oubliera pas ceux qui sont à ses côtés (applaudissements), et n’oubliera pas ceux qui sont contre elle».
La menace est précise et les Frères musulmans directement visés. Du reste, cette journée du 6 octobre 2013 aura permis de départager les camps. La majeure partie du peuple soutient l’action de l’armée et du gouvernement intérimaire. Nul besoin de preuves pour l’affirmer. En revanche, les Frères musulmans et les islamistes, qualifiés unanimement de «terroristes», auront du mal à se maintenir sur la scène politique.
Malgré leur exclusion et les sanctions draconiennes dont ils sont l’objet depuis le 14 août, les Frères n’ont pas renoncé à s’imposer. Au soir du 6 octobre, l’Alliance contre le coup d’Etat, dirigée par la confrérie, a appelé à d’autres manifestations cette semaine, et demandé aux étudiants des diverses universités à manifester mardi «contre ces massacres qui se poursuivent». Une quinzaine de jours plus tôt, l’Université de Aïn Chams, située au Caire, a été contrainte de fermer temporairement ses portes à cause des heurts violents entre les étudiants pro et anti-Morsi.
Le 7 octobre, à Maadi, quartier huppé de la capitale, des roquettes ont endommagé une gigantesque antenne satellitaire. De plus, une voiture piégée dans le Sinaï a causé la mort de trois personnes, tandis qu’à Ismailiya, six soldats sont tués par des inconnus qui ont ouvert le feu sur leur patrouille.
Sera-t-il possible d’endiguer cette vague de haine et de violence? Il est difficile d’apporter aujourd’hui une réponse. Les Frères sont privés de leurs dirigeants, Mohammad Morsi est détenu au secret, et les autres responsables, dont le guide suprême Mohammad Badie, et Khayrat el-Chater, le cerveau et le grand argentier, sont à la prison de Thora avec les prisonniers de droit commun. D’autre part, près de 2000 Frères sont sous les verrous. Cela n’a pas empêché les manifestations de chaque vendredi réclament le retour de Morsi au pouvoir, et les attentats dans le Sinaï.
Les Frères sont décapités, certes, mais ils ont toujours un pouvoir de nuisance.  Leur stratégie consiste à démontrer qu’il faut compter avec eux, et qu’ils peuvent maintenir l’insécurité dans le pays. On dit aussi, mais rien n’est prouvé, que des négociations secrètes sont menées avec les autorités. Seule une réconciliation nationale, difficile à réussir dans l’immédiat, permettrait à l’Egypte de retrouver le chemin de la prospérité.
Le gouvernement transitoire promet de poursuivre l’application de la Feuille de route tracée par les militaires. La future Constitution est en préparation. Il y aura ensuite les législatives, puis l’élection d’un président. Le peuple souhaite confier son sort au général Abdel-Fattah el-Sissi. Mais le patron de l’armée affirme qu’il ne sera pas candidat à la présidence. Quelle sera, l’an prochain, sa réaction face à des millions d’Egyptiens qui le plébiscitent?

Denise Ammoun, Le Caire

Trois mois de crise
3 juillet 2013: Mohammad Morsi est destitué.
3 juillet 2013: Mohammad Morsi est destitué. 14 août 2013: le sit-in des pro-Morsi interrompu avec violence.
3 juillet 2013: Mohammad Morsi est destitué. 5 octobre 2013: tous les médias commémorent la Victoire du 6 octobre 1973.
3 juillet 2013: Mohammad Morsi est destitué. 6 octobre 2013: les festivités du 6 octobre troublées par des heurts sanglants.
3 juillet 2013: Mohammad Morsi est destitué. 7 octobre 2013: attentats dans le Sinaï et Ismaïliya.
 

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