Prévue initialement pour la mi-novembre, la tenue de la conférence de Genève II devrait être encore une fois repoussée. En cause, une opposition divisée qui a annoncé son intention de ne pas se rendre à la table des négociations.
Ira, ira pas? Pour l’heure, l’opposition syrienne, plus que jamais divisée, ne semble pas vouloir siéger à la table des négociations de Genève II, prévue pour la mi-novembre. Après deux jours de réunions à Istanbul, le Conseil national syrien (CNS) a annoncé dimanche, par la voix de son chef, Georges Sabra, sa décision de ne pas aller aux pourparlers de Genève II. Une décision qui intervient trois semaines après l’annonce par Ahmad el-Assi el-Jarba, le chef de la Coalition nationale syrienne, de son intention d’y participer. Il avait toutefois fixé comme condition préalable le départ du président Bachar el-Assad. Sabra estime que les conditions ne sont pas réunies et s’interroge sur «l’agenda» de Genève II, la composition de la délégation censée représenter «le peuple syrien et l’opposition», entre autres.
Un coup dur pour cette organisation, qui tente tant bien que mal de rassembler toutes les factions de l’opposition, dont le Conseil national syrien est une composante essentielle.
Si Genève II est maintenue, on peut donc légitimement s’interroger sur les protagonistes qui y assisteront. Car le chef du Conseil national syrien, Georges Sabra, non content de ne pas vouloir participer aux négociations, a également menacé de se retirer de la Coalition nationale syrienne, si celle-ci prenait part à la réunion. «Les habitants de Moaddamiyat el-Cham meurent de faim, la Ghouta est assiégée et le régime interdit d’y faire entrer du pain. A Moaddamiyat el-Cham, le Croissant-Rouge a évacué 1 500 civils, en majorité des femmes et des enfants dans un état de très grande fatigue. Est-ce que ce sont des conditions pour parvenir à une transition démocratique?», a argué Sabra pour justifier sa position.
La conférence de Genève II, déjà plusieurs fois repoussée, paraît aujourd’hui reportée aux calendes grecques.
L’opposition de la Coalition nationale syrienne paraît de plus en plus minée de l’intérieur et ne parvient pas à réunir tout le monde autour d’elle. Et derrière le revirement du Conseil national syrien, transparaît en filigrane un mal bien plus profond. Une divergence entre deux pays soutiens de l’opposition depuis le début de la crise syrienne, à savoir la Turquie et l’Arabie saoudite. En effet, les Frères musulmans, ardemment soutenus par Ankara, sont très influents au sein du Conseil national syrien. Tout en étant décriés par l’Arabie saoudite qui a propulsé son candidat à la tête de la Coalition nationale syrienne, Ahmad el-Jarba, pour tenter de rassembler tout ce petit monde autour d’elle.
Ce conflit interne de l’opposition reflète donc, plus que jamais, les influences des deux puissances régionales. Et elles reviennent encore plus en lumière après que les Etats-Unis eurent finalement renoncé à frapper le régime de Bachar el-Assad, lui préférant la voie diplomatique. La menace de frappes occidentales s’est éloignée, à la suite de l’accord russo-américain de début septembre, mais sur le terrain, la situation empire pour l’opposition. Après avoir annoncé sa décision de ne pas participer à Genève II, Georges Sabra a également eu des mots vifs à l’encontre de la communauté internationale, accusée d’avoir laissé le régime «impuni» après l’attaque chimique du 21 août près de Damas.
L’Arabie saoudite, soutenue en cela par la France, avait en effet souhaité que la tenue de la conférence de Genève II soit liée concrètement à un rééquilibrage des forces sur le terrain. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant.
Sur le terrain, en effet, les forces régulières du régime poursuivent leur progression, notamment autour de Damas, mais aussi à Homs, ainsi que dans d’autres provinces. En face, l’Armée syrienne libre (ASL) recule, au nord et à l’est, et perd de plus en plus de combattants et de soutiens au profit des groupes affiliés à al-Qaïda. Les jihadistes du Front al-Nosra et de l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL) grossissent leurs rangs au détriment de l’ASL. Loin d’unir leurs forces contre le régime de Bachar el-Assad, ces différentes factions s’affrontent même entre elles, comme le 19 septembre dernier, à Aazaz, près d’Alep. De plus en plus affaiblie, l’Armée syrienne libre souffre du manque de moyens militaires et de soutien financier, alors que le Front al-Nosra et l’EIIL bénéficient de financements sans fin et d’un arsenal de pointe, payés par des fonds privés des pays du Golfe. Dans le même temps, sur le terrain, les attentats à la voiture piégée se multiplient, comme à Damas, ces derniers jours, ou encore dans le fief rebelle de la province d’Idleb, à Darkouche. Avec, à chaque fois, le cortège des morts qui ne cesse d’augmenter. Des attentats régulièrement imputés à l’EIIL.
L’annonce de Georges Sabra est intervenue alors que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, entreprend une vaste tournée diplomatique, Moyen-Orient compris, après les célébrations de la fête de l’Adha. Il a d’ailleurs déjà rencontré l’émissaire de l’Onu et de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi, lundi à Londres, pour évoquer les préparatifs de Genève II. «Nous pensons qu’il est urgent de fixer une date pour convoquer la conférence afin de travailler à (la mise en place) d’une nouvelle Syrie», a déclaré Kerry, à l’issue de son entretien. «Nous estimons que le président (Bachar el-) Assad a perdu la légitimité nécessaire pour être un rassembleur qui pourrait rapprocher les parties, et qu’il est clair que pour mettre en œuvre Genève-1, qui est la seule justification d’une conférence Genève-2, il doit y avoir une transition gouvernementale, ainsi qu’une nouvelle entité au pouvoir en Syrie», a-t-il ajouté.
De son côté, la Russie a appelé les Etats-Unis à user de leur influence pour convaincre l’opposition syrienne de se rendre à Genève. Sergueï Lavrov a, à cette occasion, pointé du doigt l’impuissance des pays occidentaux à convaincre leurs alliés. «Pour notre part, nous exerçons une influence sur Damas qui donne des résultats tangibles», a-t-il souligné. D’autant que Lavrov peut mettre à son actif les résultats de l’accord sur les armes chimiques, auquel Damas semble se soumettre pour l’instant sans tergiverser, sous les bravos de la communauté internationale.
La situation paraît donc pour l’heure sans issue. A moins que la Russie ne décide d’user de son influence sur Damas pour convaincre le régime de lâcher du lest envers les civils, gravement pilonnés aux alentours de Damas. Pour convaincre l’opposition de s’asseoir à la table des négociations. Mais cela suffira-t-il?
Jenny Saleh
Enlèvements en série
Dimanche, la journée a été marquée par
l’enlèvement de six membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour la plupart de nationalité syrienne, ainsi qu’un employé du Croissant-Rouge syrien, en pleine zone rebelle, dans la province d’Idleb.
Lundi, le membre du Croissant-Rouge, ainsi que trois des employés du CICR, ont été libérés «sains et saufs», mais l’organisation était toujours en attente d’informations sur les otages restants. Le CICR s’est également dit déterminé à poursuivre ses missions en Syrie, tout en assurant que la sécurité de son personnel était une priorité. Si cet enlèvement est le premier du genre pour le CICR en Syrie, le Croissant-Rouge syrien a déjà payé un lourd tribut, 22 de ses collaborateurs ayant déjà trouvé la mort depuis le début du conflit.
L’humour noir d’Assad
L’entretien fleuve de Bachar el-Assad,
accordé au journal al-Akhbar et paru lundi, ne sera pas passé inaperçu.
Le leader syrien s’est permis une petite
plaisanterie qui n’a pas fait rire tout le monde. Il a estimé que le prix Nobel de
la paix accordé vendredi dernier à
l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) «aurait dû (lui) revenir».
Une déclaration, qui l’on s’en doute, a fait grincer des dents. Lors de l’annonce du lauréat du Nobel de la paix, de nombreux militants anti-Assad avaient déjà ironisé, estimant que ce prix récompensait également la «coopération» d’Assad. Sans doute marque-t-il un regain de confiance après avoir évité des frappes militaires qui auraient pu retourner la situation en faveur de l’opposition. Plus que de l’humour malvenu, cette déclaration intervient dans un contexte où l’OIAC réclame davantage de moyens et d’efforts de la part de toutes les parties en présence, pour effectuer sa mission en toute sécurité.