Après les Rencontres d’Arles cet été (festival le plus important de photographie en France), la Beirut Art Fair fin septembre dans le cadre de l’exposition Generation War de Katya Traboulsi, c’est aujourd’hui à Marseille, et jusqu’au 18 janvier prochain, que s’affichent quelques-uns des clichés du photographe libanais Samer Mohdad, dressant un portrait d’une Beyrouth en mutation.
Au premier étage de la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône, trente-quatre clichés de Samer Mohdad s’exposent au public marseillais. Qu’ils soient en couleur, noir et blanc, des années 80, 90 ou 2000, tous réunis, ils dépeignent Beyrouth en mutation, de la place des Martyrs, à la plage Saint-Simon, en passant par l’ancienne décharge publique de l’hôtel Normandy ou encore de la synagogue de Wadi Abou Jmil. Des empreintes visuelles permettant d’observer la transformation d’une capitale dévastée par la guerre civile, puis reconstruite selon des normes contestées par Mohdad. Le communiqué de l’exposition Beyrouth Mutations n’en est que plus explicite: «Selon le photographe, Beyrouth a subi différentes opérations de chirurgie esthétique pour se faire belle, mais elle a perdu son âme! L’esprit de Beyrouth n’y est plus: les gens qui faisaient son âme sont partis vivre dans les banlieues nord et sud de la ville ou ont quitté la capitale. Le centre-ville est devenu privé, acheté par un groupe qui l’a transformé en îlot de luxe, destiné à séduire la riche clientèle des pays du Golfe».
C’est en 1986 que Samer Mohdad prépare son premier travail photographique sur Beyrouth. Il est alors étudiant à l’école de photographie de Liège, en Belgique, et retrouve le Liban pendant des vacances scolaires où il capte avec son objectif des instants du quotidien dans les camps de Sabra et Chatila ou encore dans le quartier Barbir. «Beyrouth-Ouest, dont j’arpentais les rues, s’était transformée en un lieu de misère et de débrouillardise. La cité sportive abritait, sous des tentes de fortune, des réfugiés venus du sud du pays, fuyant l’invasion israélienne, peut-on lire dans son livre éponyme, Beyrouth Mutations, paru en mars 2013. A Barbir, mon appareil photo et moi-même fûmes témoins d’une explosion qui détruisit une partie de la rue. Grâce à des connaissances haut placées, je réussis à entrer dans la prison de Beyrouth et à passer une demi-journée à photographier les détenus, doublement enfermés: dans ce lieu et dans la ville encerclée par la guerre et ses milices. Ainsi, à partir de 1986 et tout au long des dernières années de guerre, mon travail photographique a consisté à capturer des images du conflit qui se déroulait sous mes yeux». La guerre terminée, il photographie les ruines d’où jaillit l’humain, puis capte inlassablement des moments-clés de l’évolution de la capitale, d’attentats en manifestations à des paysages sociétaux significatifs de leur temps.
Son histoire avec Beyrouth commence depuis son enfance, alors qu’il découvre, émerveillé, des photographies de ses parents datant du début du XXe siècle, prises par des photographes ambulants sur la place al-Borj. Aujourd’hui, comme il l’explique dans son livre, son point de vue sur la capitale est conditionné par le contexte de ses débuts, il y a vingt-cinq ans, et par toutes les transformations qu’a subies la ville: «Dès le départ, je savais qu’un jour viendrait où je raconterai cette ville sur laquelle je porte un regard à la fois distancé et proche. Le but de ce récit en images n’est pas simplement de montrer un état de fait, mais de vous faire vivre Beyrouth avec le sentiment d’avoir vu et vécu ses réalités passées». Car le photographe ne s’adresse pas uniquement aux Libanais, mais plus encore à ceux qui n’ont pas encore expérimenté Beyrouth.
Aujourd’hui, dans la salle d’exposition de la Bibliothèque Gaston-Defferre, un groupe de lycéens font connaissance avec la capitale libanaise, ses contrastes et ses problématiques. Pour mieux faire comprendre au public cette ville en mutation, une table ronde a d’ailleurs été organisée le 1er octobre dernier autour des Mondes de Samer Mohdad. Mais ce n’est pas tout, deux autres rendez-vous sont programmés autour de l’exposition: un concert de Rabih Abou-Khalil le 7 novembre prochain et le 13, la projection du film Je veux voir de Joana Hadjithomas et de Khalil Joreige. L’occasion pour les Marseillais de se sensibiliser un peu plus avec le Pays du Cèdre.
Delphine Darmency
A l’honneur également
Dans le cadre du projet Vies déplacées. D’une rive à l’autre de la Méditerranée de la Bibliothèque Gaston-Defferre, les auteurs libanais Iman Humaydan et Rachid el-Daïf, ainsi que la cinéaste Jihane Chouaib seront également en tête d’affiches dans plusieurs communes des Bouches-du-Rhône, à travers projections et lectures de leurs œuvres respectives.