Il reste deux jours encore, jusqu’au 10 novembre, au Biel, pour aller au Salon du livre. Deux jours de rencontre, de débats, de dialogue, d’échange. Deux jours pour partager nos ressemblances et nos différences, pour retrouver l’autre, au cœur des mots. Deux jours pour célébrer «les mots des autres».
On pourra se plaindre et dire que l’espace du salon se réduit d’année en année, qu’il y a de moins en moins d’affluence, que les exposants sont toujours les mêmes, que toutes les publications ne se valent pas, que les visiteurs achètent de moins en moins de livres, qu’on se rend au salon comme à une excursion… Oui, peut-être, chacun aura ses doléances, ses critiques, ses jugements, ses regrets. Mais on est tous là, amoureux du mot et du livre, malgré tout. De signatures en lectures publiques, de conférences en tables rondes, d’expositions en dessins «live», les idées, les pensées, s’échangent, se débattent. Une seule visite ou plusieurs, le hall du Biel s’emplit et se désemplit, avec des pics d’affluence. C’est que ce rendez-vous, on l’attend chaque année, d’année en année, toujours impatients et enthousiastes de prendre part à ces dix jours d’effervescence littéraire sous toutes ses formes.
Dès le premier jour, celui de l’inauguration le 1er novembre, les allées du Biel respirent la vie. Patrice Paoli, ambassadeur de France, l’a bien relevé lors de la cérémonie d’inauguration qui a eu lieu à l’Agora. «Le Salon du livre francophone de Beyrouth bruit de nouveau de la rumeur des jours d’inauguration. C’est le chuchotement des invités, le murmure des libraires, des éditeurs et des amateurs du livre, la douce chanson de la grammaire française pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Erik Orsenna, ou plutôt le doux chant de la francophonie». Le Salon de Beyrouth, ajoute-t-il, c’est «une histoire de rencontre qui date de plus de vingt ans déjà, une histoire collective», menée conjointement par l’Institut français du Liban et le Syndicat des importateurs de livres, pour assoir et accroître son succès. Et se surpasser d’édition en édition.
Pour que vive le mot
Après la venue l’année dernière de l’Académie Goncourt, cette année l’Académie française est l’invitée d’honneur, avec la présence d’Hélène Carrère d’Encausse, Michel Edwards, Dominique Fernandez et Amin Maalouf. «Nous nous devions d’être encore plus créatifs cette année», répète Georges Tabet, le président du Syndicat des importateurs de livres. C’est sûr, cette année deux noms planent essentiellement sur le Salon du livre. Amin Maalouf, notre Immortel à l’Académie française et Sorj Chalandon avec son roman Le Quatrième mur dont le Liban fait palpiter les mots de sang et de paix.
Il y a les auteurs habitués du Salon de Beyrouth et ceux qu’on découvre pour la première fois. Il y a les exposants habituels et familiers, et ceux qui font acte de présence pour la première fois, à l’instar des éditeurs arabes regroupés dans un stand. Au cœur de la thématique des «Mots des autres», les organisateurs du salon ont opté cette année pour une plus grande diversité culturelle, en mettant l’accent notamment sur l’importance de la traduction. Parce que la francophonie n’est pas qu’une question de langue, mais de culture, de valeurs, de manière de penser, de mode de vie. Autant de valeurs que la France et la francophonie partagent avec le Liban, comme l’a souligné Gaby Layoun, le ministre sortant de la Culture, représentant le président de la République et le Premier ministre. Autant de valeurs partagées également avec la Belgique, le Canada et la Suisse, qui scellent une nouvelle fois leur partenariat avec les organisateurs du salon, à travers leurs ambassades au Liban.
Le salon sonne telle «une leçon de vie, son existence même est un pari, dans une vague d’incertitudes», comme le dit Salwa Naccouzi, directrice régionale du Bureau M.O. de l’AUF. «Heureusement que personne n’est atteint par les principes de précaution», ajoute-t-elle. En effet, depuis vingt et un ans que la première édition a été célébrée au Liban, le Salon du livre se maintient, contre vents et marées, à l’exception d’une édition annulée, en 2006, suite à l’agression israélienne, dans un pays, dans une région où le quotidien est pétri de violence et d’incertitude.
Et à l’occasion du centenaire de la naissance d’Albert Camus célébré cette année, rappelons-nous ses mots du discours du 10 décembre 1957 à la suite de son attribution du prix Nobel de la littérature: «Dans toutes les circonstances de sa vie (…) l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier: le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. (…) La noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir: le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression». Universel Camus, et combien actuel, dans cette partie du monde où on continue de tuer, mais aussi et surtout, de créer pour que triomphe la liberté d’expression à l’autel des mots.
Leila Rihani