Le vent d’un nouvel élan souffle sur les bords du lac Léman, où l’Iran et le groupe 5+1 se sont retrouvés, la deuxième fois en moins d’un mois. Un accord n’a pas encore été trouvé, mais le dialogue, désormais installé, sera repris le 20 novembre.
Les ministres des Affaires étrangères de l’Iran et du groupe 5+1 (formé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité: Etats-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Chine, qui a dépêché un vice-ministre, avec l’Allemagne) se sont réunis du 8 au 10 novembre à Genève, afin de trouver un accord sur le dossier nucléaire iranien. Les négociations n’ont pas abouti à un accord écrit, mais elles s’inscrivent dans la lignée d’un long processus diplomatique, dont l’issue semble se dessiner peu à peu.
Un nouvel élan
Le dossier du nucléaire iranien pose problème depuis maintenant plus de dix ans, mais depuis 2012, des négociations entre l’Iran et le groupe 5+1 ont régulièrement lieu. Dans ses grandes lignes, l’objectif des pourparlers est qu’en contrepartie d’une levée des sanctions internationales qui le frappent, l’Iran fournirait des garanties à l’Occident sur la mise en œuvre strictement civile de son programme nucléaire, et non militaire, comme le redoutent les pays occidentaux. Dans les détails, le groupe 5+1 a déjà formulé plusieurs requêtes lors d’une réunion avec l’Iran à Bagdad, en mai 2012, qu’ils ont par la suite revues à la baisse. Parmi ces revendications figuraient la sortie du territoire iranien du stock d’uranium déjà enrichi, l’ouverture des sites aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et la suspension de l’enrichissement de l’uranium, notamment dans la centrale de Fordow, où le stock enrichi à 20% a atteint les 186 kg (il faut selon les experts un minimum de 240 kg pour fabriquer l’arme atomique) fin août dernier, selon l’AIEA, qui n’a connaissance de ce site que depuis 2009. Les négociations avaient repris en avril dernier à Almaty, ville du Kazakhstan où, après une fin de non-recevoir des volontés occidentales, Téhéran avait fait une proposition inacceptable au groupe 5+1, demandant une baisse des sanctions sans garantir en contrepartie la fin de l’enrichissement. Deux mois après ce blocage dans les négociations, Hassan Rohani est élu président de la République islamique d’Iran. Une de ses priorités de campagne portait sur la baisse des sanctions internationales dont souffrent atrocement l’économie et la société iraniennes. Il succède à Mahmoud Ahmadinejad et multiplie alors les discours rassurants envers l’Occident, se forgeant une image de modéré, qui plaît aux Etats-Unis. Le coup de téléphone entre Rohani et le président américain Barack Obama est symbolique du changement d’attitude dans le dialogue entre l’Iran et l’Occident. Depuis, les discussions ont repris, et toutes les parties semblent montrer un réel intérêt à l’avancée des négociations sur le dossier du nucléaire, qui, si l’on en croit les différents protagonistes, est sur la bonne voie. Et pour cause, alors que la conférence était censée se dérouler du vendredi 8 au samedi 9, les parties ont décidé de la prolonger jusqu’au dimanche 10 novembre. John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, a même interrompu sa tournée au Moyen-Orient pour se rendre en urgence à Genève y rencontrer Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères. Si elle n’a pas abouti à un accord, la conférence de Genève a pour le moins le mérite de témoigner de l’optimisme que manifestent Iraniens et Occidentaux, prélude indispensable à l’établissement d’un futur accord.
Paris sceptique
Seul bémol apparent lors des dernières négociations, la position sceptique de la France, symbolisée par les déclarations et agissements de son représentant Laurent Fabius, pendant et après les négociations. Le ministre français des Affaires étrangères est en effet le seul à avoir rompu le silence, déclaré de rigueur pour la réussite des négociations, en accordant à France Info une interview entre deux réunions. Non seulement Fabius a fourni des précisions sur les sujets en discussion, mais il a surtout fait part de sa crainte d’«un accord au rabais». Selon des diplomates français, Paris craint la répétition du scénario de 2003, où tout semblait conduire à un accord jusqu’à ce que l’Iran fasse machine arrière. Ainsi, le Quai d’Orsay veut «éviter l’euphorie du verre à moitié plein», insistant donc sur les «questions majeures qui ne sont toujours pas encore réglées, en particulier sur le réacteur d’Arak, ainsi que sur le stock et l’enrichissement de l’uranium», a martelé Laurent Fabius alors que les négociations battaient leur plein à l’hôtel Intercontinental. Lundi soir, l’Iran a autorisé les inspecteurs de l’AIEA à visiter ce site (voir encadré).
Paris semble mettre un point d’honneur sur la nécessité d’un arrêt de la construction de la centrale d’Arak, dont le réacteur à eau lourde produirait du plutonium, à raison de 9 kg par an (à partir de 8 kg, il peut être couplé à un missile pour en faire une charge atomique), puisque Fabius avait déjà insisté sur ce point le 6 octobre. D’autres sujets, aussi alarmants et plus urgents que le réacteur d’Arak, qui ne serait pas opérationnel avant au moins deux ans, dont la centrale de Parchine, où l’accès est depuis 2005 refusé à l’AIEA, peuvent également être l’objet des pourparlers.
Israël en mission commando
S’ils marquent une volonté affichée de négocier, les Etats-Unis doivent cependant composer avec leurs alliés israéliens, qui, encore plus que la France, ne veulent pas d’un accord faible, et se réservent d’ailleurs le droit de se défendre eux-mêmes. Sur ce point, John Kerry a voulu être rassurant dans ses déclarations qui ont suivi les négociations. Il a déclaré que «les Etats-Unis ont les mêmes intérêts qu’Israël. Ils ne sont pas dupes et savent que c’est dans leur intérêt et dans l’intérêt de tous de mener à bien les négociations», Pour autant, Israël s’est lancé dans une campagne offensive auprès de ses alliés américains pour faire valoir leurs positions strictes à l’égard de l’Iran. Le ministre israélien, Naftali Bennet, s’est rendu deux jours après les négociations aux Etats-Unis afin de convaincre les députés républicains du Congrès de ne pas voter la levée des sanctions qu’Obama pourrait proposer. La marge de manœuvre du président américain peut donc se retrouver affaiblie par son alliance avec Israël, reste que certaines sanctions américaines peuvent être levées par simple décret présidentiel.
Agenda politique concordant
L’Iran doit de son côté tenir compte également des positions des conservateurs, qui ne voient dans les négociations qu’une stratégie malveillante des Occidentaux. Mais si Rohani et Obama sont arrivés à un tel rapprochement malgré les oppositions auxquelles chacun fait face, c’est en raison de leur calendrier électoral qui pour une fois se rejoint. Les deux présidents disposent en effet de six mois avant les prochaines échéances électorales. Le temps presse donc, puisqu’à ce moment, chacun aura besoin de rallier les opposants à son camp, et le temps de l’ouverture sera passé.
Elie-Louis Tourny
Accord avec l’AIEA
L’Iran et l’AIEA sont parvenus à un accord au lendemain de la réunion de Genève. A l’occasion de la visite du président de l’AIEA à Téhéran, une feuille de route a été adoptée, prévoyant l’accès de la centrale d’Arak au personnel de l’AIEA. Même s’il ne prévoit pas de visite dans le site controversé de Parchine, cet accord renforce les conditions favorables à une future entente.