Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

general

Jérôme Ferrari. Des mondes qui naissent et meurent

Le Sermon sur la chute de Rome est le dernier roman de Jérôme Ferrari, venu d’Abou Dhabi le présenter à Beyrouth, à l’occasion du Salon du livre francophone 2013. Présélectionné dans la première liste de douze romans en lice pour le prix Goncourt 2012, il raconte l’histoire de Matthieu Antonetti et de son ami d’enfance, Libero Pintus, qui abandonnent leurs études de philosophie pour reprendre le bar de leur village familial corse qu’ils connaissent à peine. Leur objectif est de transformer un vulgaire débit de boissons, en «meilleur des mondes possibles». Vont-ils y parvenir?
 

En quelques mots, qui est Jérôme Ferrari?
Je me présente sous ma double casquette! Je suis professeur de philosophie depuis de nombreuses années. J’enseigne au Lycée français d’Abou Dhabi depuis deux ans. Je suis également romancier. J’ai, à mon actif, sept livres. Les deux premiers ont été publiés par une petite maison d’édition en Corse, tandis que les cinq derniers romans ont été publiés chez Actes Sud depuis 2007.

 

Est-ce votre première participation au Salon du livre francophone au Liban? Que représente cette participation?
Oui. Cela représente pas mal de choses car j’ai beaucoup voyagé dans le monde arabe et j’étais déjà venu à Beyrouth en 2004. Avec ma femme, nous avions fait un court voyage entre Damas et Beyrouth en voiture. Cela était possible à l’époque. Depuis mon premier poste en Algérie en 2003, j’ai toujours aimé le monde arabe. C’est très important pour moi d’être ici d’autant plus que l’éditeur qui va publier mon livre en arabe est libanais!  Par contre, je viens juste de descendre de l’avion, donc je ne peux pas vous dire si le Liban a changé depuis 2004!

Représenter la francophonie au Liban, est-ce important pour vous?
Quand on écrit on ne se dit pas représentant de la francophonie. Je suis plus intéressé par les gens que je rencontre et ce que je vais apprendre que par ce que je représente moi-même.

Vous avez remporté le prix Goncourt 2012, un an après… vous avez atterri?!
J’ai souvent atterri, car j’ai souvent pris l’avion depuis que j’ai gagné le concours! Ça a changé pas mal de choses car j’ai beaucoup voyagé depuis, notamment à cause des traductions. Je n’ai pas arrêté mon travail, je suis toujours le même; j’ai juste plus de choses à faire, je suis donc un peu plus occupé et plus fatigué qu’avant!
En revanche, je ne parle toujours pas de mon travail de romancier avec mes étudiants. J’ai fait des interventions dans d’autres lycées, mais pour ceux à qui j’enseigne, je suis le professeur de philosophie. Il ne faut pas tout mélanger!

Comment vous est venue l’idée de votre dernier roman Le Sermon sur la chute de Rome?
L’idée m’est venue en lisant un passage d’un sermon de saint Augustin sur les mondes qui naissent et qui meurent. J’ai  trouvé ce passage très beau, mais pour moi il transmettait aussi quelque chose d’universel. J’ai donc décidé, à partir de ce passage, de faire un roman où seraient mis en scène plusieurs mondes qui naissent, grandissent et meurent.

Pourquoi les lieux choisis (Corse, Algérie, etc..) vous sont-ils familiers?
Il me semble que ce n’est pas complètement incohérent d’écrire sur les endroits du monde qu’on connaît le mieux. Ce que je connais le mieux c’est la Corse, c’est chez moi, j’y ai passé l’essentiel de ma vie. Un roman a aussi pour mission de prendre en compte la réalité. Il me paraissait naturel de parler de ce pays, ce n’est pas le fruit d’une longue réflexion, c’est plutôt une démarche naturelle.

Certaines critiques ont parlé de philosophie dans le roman, vous avez démenti. Pourquoi?
On peut faire ce que l’on veut, mais pour moi, le but d’un roman n’est pas de rendre digestes des idées philosophiques. Je ne pense pas qu’il y ait de la philosophie au sens propre du terme dans mon roman. Un texte philosophique est articulé autour de concepts. Mon roman est une narration. Après, comme je le disais, la littérature et la philosophie ont, en commun, la réalité mais elles ne le font pas avec les mêmes outils.
 

A part votre imagination, qu’est-ce 
qui vous guide?
Pour l’histoire c’est vrai que je me laisse entraîner par mon imagination, mais pour l’écriture non. A partir du moment où on commence à évoquer le texte − sûrement une des parties les plus importantes dans l’écriture d’un livre − c’est un travail sur la langue. C’est ce que doit faire tout romancier: travailler la langue d’une manière qui lui est propre.

Vous avez parlé d’un côté mystique dans le roman, pouvez-vous l’expliquer?
C’est toujours compliqué d’expliquer pourquoi on a tel goût et pas tel autre. Je suis assez touché par le mysticisme, j’aime la poésie mystique et les romans mystiques. C’est pour cela que j’aime beaucoup la littérature russe par exemple. Ce sont des choses qui relèvent du goût.

A quel type de lecteurs vous adressez-vous?
Je ne cible pas un lecteur. En écrivant je ne pense pas à ceux qui vont lire, je pense à mon texte. On pense au lecteur une fois le livre paru. D’ailleurs, écrire en ciblant un public ne me paraît pas très judicieux quand on écrit des romans; il faut plutôt essayer de mener à bien le projet que l’on a imaginé.

Y a-t-il des messages que vous avez voulu faire passer de manière subtile dans ce roman?
Non, mais je pense que quand on veut faire passer un message, il vaut mieux le faire directement. Dans un roman, il y a plusieurs niveaux de lectures selon ceux qui le lisent. On ne peut jamais être sûr de la manière dont le texte sera reçu. Il y a aussi des choses que l’on met inconsciemment dans le livre. Je pense que c’est au lecteur de savoir ce qu’il va en tirer.

Etes-vous en train de travailler sur un autre livre? Si oui peut-on savoir quand il sera prêt?
Oui, je travaille sur un autre livre, mais je ne peux pas vous dire quand il sera fini. Ce n’est pas que ce soit un secret, c’est que je n’en sais rien! n

Propos recueillis par Anne Lobjoie Kanaan

Un mot d’Actes Sud sur le roman
«Entrant, par-delà les siècles, en résonance avec le sermon par lequel saint Augustin tenta, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres, Jérôme Ferrari jette, au fil d’une écriture somptueuse d’exigence, une lumière impitoyable sur la malédiction qui condamne les hommes à voir s’effondrer les mondes qu’ils édifient et à accomplir, ici-bas, leur part d’échec en refondant sans trêve, sur le sang ou les larmes, leurs impossibles mythologies».

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