Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

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Zeina Abirached. Paris n’est pas une île déserte

Emotion au détour d’un dessin, poésie au creux d’un mot, Zeina Abirached, auteure, dessinatrice de bande dessinée, ne cesse d’entraîner ses lecteurs dans son univers merveilleux. Elle expose Paris n’est pas une île déserte, jusqu’au 6 décembre, à l’Institut français de Beyrouth.
 

Une chevelure de mouton, un trait synthétique et graphique, des dessins en noir et blanc, minimalistes, et enrobés de tellement de détails, de motifs, de formes géométriques, une imagination débordante d’espièglerie et de rêves, des mots simples et drôles qui touillent les souvenirs, un agencement d’images virevoltantes, de personnages attachants, de situations et de mises en situations émaillées de sensations et d’émotions… Zeina Abirached a tissé, au fil des années, tout un univers qui lui appartient, qui lui ressemble. Un univers en dessins, son ultime moyen d’expression, son espace de création et de rêves, l’endroit où, d’une certaine manière, elle retrouve Beyrouth, elle recrée Beyrouth, alors que son quotidien est bien ancré à Paris, depuis son départ en 2004.
En entrant dans la galerie de l’Institut français de Beyrouth, le visiteur fait d’un coup face aux premiers émois d’une jeune fille de 23 ans qui s’apprête à plier ses bagages pour aller s’installer à Paris. Cette jeune fille n’est autre que Zeina Abirached, l’auteure qui s’est transformée en personnage de B.D. avec ses bouclettes tellement typiques. Un personnage que nous avons appris à connaître et reconnaître, qui nous a fait sourire et grimacer, parce qu’en fouillant toujours plus profondément ses souvenirs, elle donne vie aux nôtres.
A chaque objet qu’elle plaçait dans sa valise, elle avait l’impression de répondre à la question: qu’emporterais-tu sur une île déserte? Et voilà le visiteur entré de plain-pied au cœur de l’exposition Paris n’est pas une île déserte, qui donne à voir pour la première fois des planches de son travail d’écriture en cours. Et on retrouve encore et toujours le plaisir de ses images qui prennent leur temps pour esquisser les émotions, le plaisir de ses mots qui s’entrechoquent comme nés d’un émerveillement sans cesse aiguisé d’éternelle enfant: «A aucun moment, je n’ai pensé que Paris était tout sauf une île déserte». Pour la première fois, Zeina Abirached semble nous emmener dans sa pensée de Parisienne, tout en effectuant toujours un aller-retour entre sa ville d’adoption et Beyrouth. Entre deux rives, entre deux langues, l’arabe et le français qui s’emmêlent dans sa tête comme le jeu des Mikados. Ces intraduisibles «tayyeb», «ye3né», «enno», «naïman»… qui ponctuent involontairement tous nos discours de Libanais, qui nous rattachent inconsciemment à notre identité.
 

Beyrouth de fond en comble
Et voilà qu’au détour de ces planches, apparaît l’ombre du grand-père. Un fantôme presque qui, en tant que drogman, veille en pensée à la bonne orthographe de sa petite-fille. Cela fait des années que Zeina Abirached planche sur le scénario de sa 5e B.D. qui ne cesse d’évoluer au fil du temps. C’est que le projet est laborieux, et dépasse, ou du moins dépassait, le cadre autobiographique. Elle voulait évoquer au cœur du Beyrouth mythique des années 60, son arrière-grand-père, l’inventeur du piano oriental. Mais entre le mythe familial, la difficulté de trouver des archives, la distanciation par rapport au sujet, elle avait dernièrement décidé que le personnage deviendrait un personnage de fiction. Qu’en sera-t-il? Comment se présentera sa prochaine B.D.? Nous n’avons qu’à attendre.
Et à savourer, jusqu’au 6 décembre, les traits esquissés de son grand-père, ce nouveau personnage venu s’ajouter à ceux qui peuplent déjà son univers. Elle-même d’abord, son frère, son père, sa mère, sa grand-mère, Anhala, Monsieur Georges, Ernest Challita, sa maison, son quartier situé en pleine ligne de démarcation, l’épicier du coin, le coiffeur, les voisins, les us et coutumes durant la guerre, après la guerre… Depuis (Beyrouth) Catharsis et 38, rue Youssef Semaani en 2006, en passant par Mourir Partir Revenir, Le jeu des hirondelles en 2007 jusqu’à Je me souviens en 2008, Beyrouth a toujours été au cœur de ses créations. Beyrouth qu’elle tente de comprendre, de décortiquer, de créer, de recréer encore et encore, en fonction du recul qu’elle prend chaque fois qu’elle s’en éloigne, en fonction des sentiments emmêlés qui l’empoignent quand elle y revient. Questionnements sur le passé d’une ville, sur son âge d’or toujours présenté comme irrévocablement merveilleux aux nouvelles générations, qui elles, ne connaissent que le Liban d’aujourd’hui. Interrogations sur le passé de la guerre, sur la normalité anormale de nos habitudes, sur notre présent. Sur Beyrouth qui change à une vitesse effroyable, et qu’il faut à chaque fois ré-apprivoiser.
Remarquablement agencée, l’exposition Paris n’est pas une île déserte sonne comme une rétrospective du parcours de la dessinatrice; de ses nouvelles planches, de ses quatre B.D., sans oublier sa B.D. jeunesse Mouton, et le roman-feuilleton qu’est Agatha de Beyrouth dessiné en direct en collaboration avec l’écrivain français Jacques Jouet autour de la Maison jaune de Sodeco; des multiples affiches qu’elle a illustrées pour certains festivals en passant par l’illustration d’ouvrages à l’instar du Livre du chevalier du Zifar, ou de couverture d’autres comme Les cerfs-volants de Kaboul et Mille soleils splendides de Khaled Hosseini… Autant de fenêtres ouvertes sur l’univers merveilleux de Zeina Abirached.

Nayla Rached

L’exposition se poursuit jusqu’au 6 décembre, à la galerie de l’Institut français de Beyrouth.

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