Magazine Le Mensuel

Nº 2925 du vendredi 29 novembre 2013

Expositions

Un souk sous les feux des projecteurs. Sabra cosmopolite

Jusqu’au 7 décembre, à l’Institut français, Sabra se dévoile d’une façon inédite sous l’objectif de Houda Kassatly. L’exposition, réalisée dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire sur les migrants au Liban, s’intéresse à ce souk cosmopolite accueillant 1001 nationalités.   
 

«Carrefour Sabra: place commerciale où se croisent les petites gens, lieu d’approvisionnement et de chalandise, Sabra est l’un des rares espaces où se rencontrent des populations d’origines diverses: Libanais, Palestiniens, Syriens et, depuis quelques années, des migrants de toutes origines. Les parcours de vie chaotiques, les trajectoires tortueuses, les initiatives plus ou moins couronnées de succès s’y entrechoquent sous le regard distant des icônes politiques de tout bord. Pourtant, le temps du marché, un ordre social éphémère émerge, transformant le carrefour et l’avenue Sabra en un «lieu propice aux expériences cosmopolites du moment», peut-on lire sur l’un des panneaux explicatifs de l’exposition.
La Sabra cosmopolite,  «véritable Babel horizontale», a retenu l’attention de plusieurs chercheurs, sociologues, linguistes, historiens, photographes et cinéastes, mobilisés dans le cadre d’un programme de recherche collectif. Car, si la paternité du projet revient à l’Ifpo, nombreuses institutions collaborent dans cette étude consacrée aux travailleurs étrangers au Liban. Ainsi, le projet est soutenu par le CNRS libanais, financé par le programme Cèdre (de coopération franco-libanaise) et réalisé avec l’USJ, la LAU et l’IRD, un institut français.
«Nos recherches sont axées sur deux thématiques, précise Liliane Kfoury, chargée de recherche à l’Unité interdisciplinaire de recherche de la mémoire du Cemam, Centre d’études pour le monde arabe moderne, rattaché à l’USJ. Nous avons souhaité étudier, d’une part, la situation des travailleurs migrants et, d’autre part, la transformation des espaces publics engendrés par leur présence au Liban, dont traite cette exposition». Des clichés signés Houda Kassatly. «Le carrefour de Sabra est une sorte de greffe humaine autour du souk de fruits et légumes, introduit-elle. Les Bangladais, en particulier, viennent y vendre leurs produits, des CD aux légumes asiatiques, poissons de rivière, épices ou encore produits de beauté». Depuis deux ans, la photographe, également ethnologue, s’y balade le
dimanche et observe. «Ce qui nous intéresse, poursuit-elle, c’est cette interaction qui existe entre les migrants et les autres communautés du camp. On enregistre, on écoute ce qui s’y passe. Il ne s’agit pas uniquement de photos, mais d’un travail pluridisciplinaire plus large». Ainsi, derrière la caméra, on retrouve Michel Tabet, réalisant des documentaires. Mais, également, au-delà des sociologues et historiens, des linguistes planchent sur cet entremêlement de langues parlées au souk, car les marchands arabes sont dorénavant sensibilisés à la langue des migrants et vice-versa. Un mélange de langues mais également de cultures. «Quand on regarde cette exposition, reprend Houda Kassatly, on n’a pas forcément l’impression d’être au Liban. Cette population de travailleurs bangladais, en majorité, éthiopiens, srilankais, philippins et dans une moindre mesure africains de l’Ouest, n’est pas présente depuis longtemps mais a déjà ses habitudes». Une population qui, depuis son arrivée au Liban, il y a une vingtaine d’années, inspire la photographe. «C’était très intéressant de suivre cette dynamique dès ses prémices au Liban. Au début, on ne les voyait pas puis la société civile les a rendus visibles, explique-t-elle. C’est une population nouvelle qui s’ajoute à la diversité libanaise. Dans un pays où la ségrégation communautaire est grande, une autre ségrégation, cette fois-ci raciale, vient s’y additionner. Certains partiront, d’autres resteront. Il y a toujours un ancrage quelque part».
De la transformation des espaces publics, Sabra en est donc l’exemple parfait. De plus, l’ethnologue relève une dernière observation. Saris, dessins au henné sur le corps, coiffures, «au-delà des aspects rituels, ils reflètent la volonté des migrantes de rétablir une souveraineté sur leur propre apparence, informe le dernier panneau de l’exposition. La visibilité croissante d’une beauté migrante témoigne ainsi d’une émancipation temporaire prenant place les jours de congé. Comme elle augure d’un possible renouvellement des rapports de travail dans la domesticité».
En marge de l’exposition, lors de l’inauguration le 26 novembre dernier,  a eu lieu d’ailleurs une conférence sur le thème: Travailleurs migrants au Liban, situations et modes de vie. Prochainement, l’ensemble du programme de recherche pourrait aboutir à l’élaboration d’un livre ou d’une seconde exposition. La première étant pressentie pour de nouvelles aventures, tout d’abord à la LAU puis certainement au-delà des frontières libanaises.

Delphine Darmency

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