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Nº 2930 du vendredi 3 janvier 2014

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Après l’assassinat de Mohammad Chatah. Les scénarios du pire et du mauvais

Au lieu de pousser les Libanais à mesurer 
l’ampleur des dangers qui menacent leur pays, l’assassinat de Mohammad Chatah a transformé 
en abysse le fossé qui les sépare. Le sang des 
victimes n’avait pas encore séché que les 
protagonistes (faut-il les appeler ennemis?) 
échangeaient sans retenue des accusations 
haineuses. Les scénarios à venir ne sont pas 
reluisants. Ils varient du pire au mauvais.

Pour le 14 mars, il ne fait aucun doute que l’ancien ministre Mohammad Chatah a été tué «par les mêmes criminels qui ont assassiné Rafic Hariri et tous les autres martyrs de la Révolution du cèdre». Ce n’est plus uniquement la Syrie qui est pointée du doigt mais directement le Hezbollah. Certains scénarios aboutissent à la conclusion que le conseiller de Saad Hariri a payé le prix d’une sourde lutte d’influence en Iran entre un «courant radical», incarné par les Gardiens de la révolution, dont la ramification libanaise est le Hezbollah, et une «tendance modérée», représentée par le président Hassan Rohani. L’objectif de cet assassinat serait, selon les tenants de cette analyse, d’«éliminer les figures sunnites modérées pour pousser la communauté vers l’extrémisme, ce qui permettrait au Hezbollah de justifier son combat contre les takfiristes et, par conséquent, de conserver ses armes». Les partisans de la théorie de la «confrontation entre deux tendances en Iran» se trouvent aussi bien dans les rangs du 14 mars que chez des journalistes et des militants foncièrement anti-américains et anti-israéliens (lire l’article de Thierry Meyssan intitulé L’abdication de l’Iran – http://www.voltairenet.org/article181267.html).
 

La guerre, du Yémen au Liban
Le 8 mars affirme, de son côté, que l’assassinat de Mohammad Chatah, a, comme tout autre assassinat politique, une fonction bien déterminée, celle de provoquer une discorde sunnite-chiite, dans le but d’entraîner le Hezbollah dans une guerre civile et le pousser, de la sorte, à retirer ses combattants de Syrie. En effet, la participation «qualitative et quantitative» des hommes de Hassan Nasrallah à la guerre syrienne aurait non seulement empêché la chute du régime, mais lui aurait aussi permis de reprendre l’initiative sur le terrain. Le maître d’œuvre de cette conspiration serait l’Arabie saoudite, accusée d’exacerber le conflit sectaire à l’échelle de la région et de financer les groupes extrémistes partout où ils se trouvent (lire l’article de Patrick Cockburn dans The Independent du 29 décembre 2013).
Pour convaincre, les uns et les autres avancent des arguments et des contre-arguments, parfois sérieux, souvent biscornus.
Il est vrai que seules une enquête crédible et des preuves matérielles solides pourront désigner le vrai coupable de ce crime abominable (voir encadré). Mais en attendant les résultats des investigations, rien n’empêche d’essayer d’apporter des éléments de réponse. La première vérité indiscutable est que l’attentat du Starco intervient dans un contexte de confrontation régionale ouverte entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui a pour champs de bataille la Syrie, l’Irak, le Liban, Bahreïn et le Yémen. Les observateurs alertes diront que l’Iran est passé à l’offensive, après le double attentat suicide qui a visé son ambassade à Beyrouth, le 19 novembre dernier. Au Yémen, par exemple, les houthites ont écrasé les milices salafistes dans la région de Dammaj, à Saada, après des mois de combats acharnés. En Irak, le Premier ministre Nouri el-Maliki a lâché son armée contre les camps d’al-Qaïda et les foyers rebelles sunnites d’al-Anbar. Ses troupes ont démantelé les campements installés par des protestataires sunnites depuis des mois dans cette province instable. En Syrie, l’armée gouvernementale a intensifié ses opérations militaires à Alep, dans le Qalamoun, autour de Damas et à Deir Ezzor. Suivant cette grille de lecture, l’assassinat de Mohammad Chatah constituerait une riposte de l’Iran à l’attentat du 19 novembre.
L’Arabie saoudite n’est pas en reste. En Syrie, le royaume poursuit son soutien en hommes, armes et argent aux rebelles, dans l’espoir de modifier les équilibres sur le terrain. Encouragés par le royaume, les groupes armés ont lancé une offensive majeure dans la Ghouta orientale, le 22 novembre, et ont réussi à prendre plusieurs localités sans parvenir toutefois à briser l’encerclement imposé par l’armée régulière depuis la mi-avril. Riyad financerait aussi l’entraînement de centaines d’anciens officiers et soldats jordaniens, volontaires pour aller combattre les troupes du président Bachar el-Assad dans la région de Daraa, dans le sud (voir The Sunday Times du 29 décembre). A Bahreïn, les autorités pro-saoudiennes ont durci leur répression, arrêtant la principale figure de l’opposition chiite, le cheikh Ali Salman, secrétaire général de l’association al-Wifaq.
Le Liban se trouve donc au cœur de cette confrontation régionale et la fameuse politique de distanciation a fait long feu.
Les médias internationaux ont presque unanimement estimé que l’assassinat de Mohammad Chatah est une conséquence directe de la crise syrienne. La plupart ont mis en garde contre une nouvelle guerre civile au Liban et aucun n’envisage une amélioration de la situation dans les mois à venir.
Mais est-il nécessaire de lire la presse internationale et les rapports des think tanks américains pour tirer les mêmes conclusions? Tous les indices présagent d’une aggravation de la crise politique avec de possibles répercussions sécuritaires. L’attentat de Starco risque d’accélérer les événements.

 

Divorce politique
Sur le plan politique, l’annonce par le président de la République, Michel Sleiman, d’une aide saoudienne de trois milliards de dollars pour équiper l’Armée libanaise de matériel militaire français, dément toutes les informations sur un désengagement du royaume au Liban. Le chef de l’Etat a expliqué que ce plan d’armement inédit n’est tributaire d’aucune condition. Mais le 8 mars est convaincu que le prix à payer serait la formation d’un gouvernement sans le Hezbollah, une exigence exprimée, il y a plusieurs semaines, par le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud el-Fayçal, lors de sa rencontre à Riyad avec son homologue américain John Kerry. «Nous ne permettrons pas au Hezbollah terroriste de décider de l’avenir du Liban», avait-il dit.
Indépendamment des souhaits de l’Arabie saoudite, le président Sleiman est fermement convaincu de l’urgence de la formation d’un nouveau cabinet, car il estime que le gouvernement d’expédition des affaires courantes ne jouit pas de prérogatives suffisantes pour diriger le pays en cas de vacance à la présidence de la République, à partir du 26 mai prochain. Il l’a encore réaffirmé lundi. «Le Liban doit profiter du soutien de la communauté internationale pour former un gouvernement (…) au début de 2014», a-t-il répété lors d’une rencontre avec l’ancien Premier ministre Fouad Siniora.
Selon des sources bien informées, le président Sleiman n’est pas opposé à la formule 9-9-6 (neuf portefeuilles au 8 mars, neuf au 14 mars et six pour les centristes), défendue par le 8 mars et le député Walid Joumblatt. Mais il n’a pas réussi à convaincre le 14 mars de l’accepter. Le chef de l’Etat et le Premier ministre désigné, Tammam Salam, se dirigent donc vers la formation d’un cabinet «neutre», composé de personnalités «respectées et acceptées de tous». Même les milieux du président du Parlement, qui assuraient que le président Sleiman ne formerait pas un gouvernement du fait accompli (c’est-à-dire sans concertations avec les forces politiques), ne sont plus aussi catégoriques concernant les intentions du chef de l’Etat. Les conseils de Walid Joumblatt n’ont pas réussi à faire fléchir le président Sleiman, déterminé à doter le pays d’un pouvoir exécutif «capable de gouverner dans la période à venir».
Selon les sources informées, ce gouvernement, composé de 14 à 16 membres, verrait le jour dans la première moitié de janvier. Les milieux du 8 mars affirment que l’objectif est de le former avant la conférence de Genève II, afin que la délégation libanaise ne soit pas conduite par Adnan Mansour mais par le nouveau ministre des Affaires étrangères, ou par l’ambassadeur du Liban aux Nations unies, Nawaf Salam.
Il est pratiquement certain qu’un tel gouvernement n’obtiendra pas la confiance du Parlement, car Joumblatt s’est engagé − il l’a encore répété il y a quelques jours −, à ne pas lui accorder ses voix, qui font pencher 
la balance.
C’est à ce moment-là que les choses vont se compliquer. Le président Sleiman, le 14 mars et de nombreux juristes estiment que la simple publication des décrets de formation du gouvernement au Journal officiel, en fera un cabinet légitime et légal. Le 8 mars, le Courant patriotique libre et d’autres constitutionnalistes assurent que le gouvernement d’expédition des affaires courantes, qui a obtenu à sa formation la confiance du Parlement, est plus légitime.
Les intentions du 8 mars ne sont pas connues en cas de formation d’un gouvernement du fait accompli. Les milieux de cette coalition évoquent une panoplie de mesures, allant de la réédition du sit-in du centre-ville (décembre 2006 – mai 2008), au refus de remettre les ministères dirigés par le 8 mars aux membres du nouveau gouvernement. Le Liban se trouvera alors dans une situation semblable à celle qui prévalait à la fin du mandat du président Amine Gemayel, avec deux gouvernements (le cabinet militaire du général Michel Aoun et le gouvernement de Salim Hoss).
Mais des scénarios moins soft circulent dans certains milieux politiques et diplomatiques. Un coup de force du Hezbollah − une sorte de réédition du 7 mai 2008 à une plus grande échelle − n’est pas exclu. Une source proche d’un haut dirigeant du 8 mars l’a explicitement dit, il y a plusieurs semaines, devant l’ambassadeur d’un pays européen qui offrait un «dîner amical» à sa résidence. Cette version est confortée par des rumeurs sur une mobilisation générale décrétée par le Hezbollah et par des mises en garde selon lesquelles «le changement de l’équation politique, comme cela s’est produit en 2005, ne se reproduira plus jamais». La petite phrase du député Nawaf Moussaoui, lundi, en dit long sur l’état d’esprit du Hezbollah: «Il n’y aura pas de consensus national sans un accord sur la Résistance. Il y a des tentatives de profiter de ce crime (l’assassinat de Mohammad Chatah) pour changer l’équilibre du pouvoir au Liban. Certains partis utilisent l’attentat pour intimider les autres».
Dans une telle ambiance, on voit mal comment l’élection présidentielle pourrait être organisée dans les délais.

Paul Khalifeh     

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