Fatmeh, c’est le titre de la nouvelle performance de Ali Chahrour, dont il signe la chorégraphie et la mise en scène, et à laquelle donnent corps Umama Hamido et Rania Rafei.
Quand l’auditeur arabe écoute les chansons d’Oum Koulthoum, il se laisse aller aux délices du tarab, un état de sensations presque indescriptible, saisi par une sorte de plaisir mélancolique où le corps perçoit chaque nuance de cet «état» très caractéristique du monde arabe… Ali Chahrour a bâti la performance sur ce point de départ qu’il a poussé jusqu’à l’extrême, jusqu’aux «pleurs et lamentations» de Fatima al-Zahra’, la fille du prophète Mahomet, «celle qui a le plus écrit et chanté la mort de son père sur sa tombe, et dont les vers figurent parmi les textes les plus durs, et les plus représentatifs de cet état», ajoute Chahrour. En se basant sur les cérémonies de Achoura où l’autoflagellation, dans sa répétition, avec le temps, crée un état de plaisir du corps qu’on est fier de montrer parce qu’il reflète une extrême tristesse… en se basant sur les traditions des enterrements, où règne ce même état, Chahrour tisse le fil rouge de cette performance. De Fatmeh en Fatmeh, à travers le mouvement du corps et les oscillations de la voix, la performance propose «des incursions dans les relations entre le corps et la religion, la société, l’héritage culturel et les normes. Fatmeh récupère les prototypes des mouvements reliés au deuil et à la tragédie, particulièrement les aspects relatifs à la répétition et au temps, pour recadrer et représenter le drame, qui traduit le langage du deuil et de la tristesse en une joie physique en relation avec les activités quotidiennes».
«Entre le caché, le voilé, le dévoilé, ce qui devrait être voilé, le permis et l’interdit… dans ces situations d’extrême tristesse, on perd le contrôle sur le corps, les moyens d’expression corporelle se libèrent des règles imposées, les dépassent, pour faire ressortir toute la tristesse. Le corps de la femme se libère en ces moments de drame. Et tout est alors acceptable, tout devient acceptable. Dans ces endroits pourtant régis par les règles et les codes religieux. Cet état de tristesse euphorique est relié à la culture arabe et est devenu une partie de notre vie quotidienne», explique Chahrour.
Sur scène, Umama Hamido et Rania Rafeï. Deux femmes libanaises, deux artistes, deux danseuses non professionnelles. Chacune d’elle est immergée, à sa manière, dans la vie culturelle de Beyrouth, dans la ville de Beyrouth. Chacune d’elle a son vécu, ses histoires, ses images, ses visions, ses interrogations, ses conceptions de la ville, de la religion, du monde arabe. Chacune d’elle exprime, à sa manière, le concept de la tristesse, de la douleur dans le monde arabe. De manière spontanée, loin des techniques et des acquis de la danse contemporaine.
«Au départ, je voulais même m’adresser à des gens qui ne connaissent presque rien de la scène artistique beyrouthine, complètement étrangers à cette scène et à Beyrouth même, vivant dans les banlieues. Peut-être que je n’ai pas osé aller aussi loin, mais je compte développer cette idée dans le prochain projet». L’idée de la spontanéité du corps, et c’est ce qui, dans la danse, intéresse Ali Chahrour. «Ce que porte, ce que véhicule le corps de choses, d’histoires, d’images, d’éléments qui lui sont particuliers, qui sont particuliers à chaque corps, et non ce que le corps a appris ou acquis. Parce qu’alors, le choix devient facile. Au niveau de la danse contemporaine, je sens qu’on n’a pas encore abouti à un mouvement local lié au monde arabe. En général, on a tendance à importer la technique et les concepts de la danse de là où elle est née, en Europe, et à les manipuler. Alors que dans ces sociétés, la danse contemporaine est née d’un besoin et non d’un simple travail sur le mouvement qui serait ainsi isolé de son contexte». Dans Fatmeh, les mouvements d’Umama Hamido et de Rania Rafeï sont étroitement liés à leur contexte. Et cela se sent. Ali Chahrour n’a presque rien imposé, mis à part le concept de la mélancolie et de la tristesse. Ce sont ses danseuses qui proposaient les mouvements qu’ensuite il affûtait et peaufinait. Fatmeh ou la libération du corps, dans sa relation ambiguë avec le monde qui l’entoure.
Nayla Rached
Fatmeh sera présenté au théâtre al-Madina, durant quatre soirées, les 30 et 31 janvier, ainsi que le 1er et 2 février, à 20h30.
Billets en vente à la Librairie Antoine.