Magazine Le Mensuel

Nº 2935 du vendredi 7 février 2014

Spectacle

After 100 springs. L’espoir au-delà du sacrifice

Enseignante à l’American University of Beirut (AUB), Cornelia Kraft a déjà dirigé, mis en scène et chorégraphié, au Liban, plusieurs performances dont 777, Along the white line, Salome versus Bluebeard, Anti-gone. Elle présente les 10 et 11 février, au théâtre al-Madina, la performance After 100 springs, interprétée par des étudiants et des alumni de l’AUB.
 

L’année dernière, on célébrait le 100e anniversaire du Sacre du Printemps de Stravinsky. Cornelia Kraft a ainsi eu l’occasion d’assister à diverses représentations qui toutes reprenaient le thème principal du compositeur: le sacrifice d’un être humain. «Je me suis alors dit que j’aimerais bien ramener cela avec moi au Liban et essayer d’y penser et d’en discuter avec les jeunes. Le sacrifice est-il toujours nécessaire en 2014? De quels genres de sacrifices a-t-on besoin dans la région où nous vivons, des personnes avec qui nous vivons, de la mentalité dans laquelle nous évoluons…?».
Depuis plus de trois mois, Cornelia Kraft et ses acteurs se sont mis à la tâche. Un travail collectif dans tous les sens du terme et qui a pris du temps à se structurer. Tout en partant du synopsis initial de Stravinsky en ces 15 séquences, tout en le respectant, tout en écoutant, réécoutant la musique, «une musique qui implique profondément l’auditeur, l’atteint jusque dans ses tripes», Kraft et son équipe ont progressivement évolué par souvenirs qui jaillissent, par images, par couleur, par mouvement… Autant d’éléments épars qui ont été rassemblés, élaborés, développés, en prenant aussi en considération le décor, les costumes, l’éclairage. «Tout est portable, affirme-t-elle. Nous avons essayé de prendre le corps et l’espace avec tout ce qu’ils peuvent contenir. Tout est relié à la scène. Cette performance se présente comme un ensemble, un tout, un vrai travail collectif». Certes, elle a sa vision, son esthétique, mais elle est toute contente de discuter, de tout repenser, de remettre en question toujours. «Chaque fois, nous essayons, ils essaient d’améliorer les choses. Parce que ce sont eux les jeunes. Je m’inspire d’eux, de leur énergie, de leur manière de penser. Et puis, c’est moi l’étrangère ici», ajoute-t-elle souriante. Pour pousser plus loin cet échange, Kraft a demandé à ses acteurs, ses personnages, d’écrire chacun un texte sur ce que le sacrifice signifie pour eux. «C’était lourd, il y a peu d’espoir et beaucoup de déception. Alors, essayons de mettre un peu plus de lumière, d’espoir, d’énergie. Que pouvons-nous faire à partir de là?».
After 100 springs, un intitulé que Kraft a voulu éloigner d’un simple «Spring 101» qui aurait impliqué juste un autre printemps qui suit. «La performance essaie d’établir une autre étape de réflexion, une autre manière de réfléchir. Et c’est ce à quoi renvoie le mot «after». Un titre qui n’est pas sans rappeler un autre printemps, le «Printemps arabe». Un contexte auquel nul ne peut échapper et qui retrouve, là aussi, un écho. Mais «pas de manière littérale, ajoute Cornelia Kraft. Notre but n’est pas de faire une pièce politique. Pour moi, il est important de toucher l’humanité en tout et de mettre en évidence le combat, la révolte de chacun qui est en train de naître, de s’exprimer. Le printemps est en fait une énergie positive. Dans la pièce, ils acceptent la douleur dans l’espoir d’un avenir meilleur. C’est ce printemps que nous interprétons: que pouvons-nous faire en tant que personne».
Sur la scène du théâtre al-Madina, onze acteurs, des étudiants et des alumni de l’AUB, côtoieront les éléments, feu, eau, terre, air, ainsi que la lumière, l’obscurité, la colère… au fil de trois générations, les vieux, les adultes, les enfants et en filigrane la génération future. Autant de jeunes acteurs, sans expérience professionnelle dans le domaine, qui symbolisent tout un chacun, qui renvoient le spectateur à lui-même.
Au son du Sacre du Printemps de Stravinsky, dans un enregistrement de 2007 avec l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle, les acteurs donneront corps à des mouvements muets. «On se pose partout cette question: qu’est-ce qu’une performance de danse? Je crois que les frontières de la danse et des arts se diluent. Quand je dis mouvement muet, qu’on juge que ce soit de la danse ou non, c’est l’approche d’une transformation artistique de ce que nous pouvons faire avec notre corps, parce qu’il est le plus honnête. La musique et le corps en lui-même quand il bouge sans avoir recours aux mots, c’est ce qu’il y a de plus pur».

Nayla Rached

Infos pratiques
Les représentations de After 100 springs auront lieu les 10 et 11 février au théâtre al-Madina, à 20h. L’entrée est gratuite, mais les réservations nécessaires, via mail:
after100springs@gmail.com
Toutefois, pour ceux qui le désirent, des donations peuvent être effectuées au profit de l’ONG Unite Lebanon Youth Project (ULYP) à son stand au théâtre même. «Nous avons produit cette pièce avec toute notre énergie, gratuitement. Tout un processus de partage, donner et recevoir, un cercle qu’il était important pour moi de clore par cette démarche, explique Kraft. On aborde le sacrifice en tant que collectivité et il suffit de peu pour que cette collectivité puisse réaliser des choses encore plus grandes».

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