Magazine Le Mensuel

Nº 2936 du vendredi 14 février 2014

ACTUALITIÉS

Genève II. Langues déliées contre vies sauvées

Si le lourd et long silence entre opposition et autorité syriennes a été rompu à Genève II, ce sont à des joutes verbales et à un dialogue de sourds que se sont livré les deux camps adverses lors du premier round de négociations. Pourtant, les langues déliées ont permis d’obtenir quelques avancées, notamment sur le plan humanitaire, avec l’évacuation de 1 600 civils de la ville de Homs. Un début prometteur après trois années d’atrocités. Le dialogue a repris le 10 février, pour un deuxième round de discussions.
 

«C’est un début très modeste, mais c’est un début», a déclaré l’émissaire de l’Onu pour le conflit syrien, Lakhdar Brahimi, au dernier jour du premier round des pourparlers de Genève II.
Lors de cette dernière journée de pourparlers, le 31 janvier, opposition et autorité syriennes s’étaient spécialement déplacées au siège européen des Nations unies à Genève, afin de discuter du problème du terrorisme. L’occasion pour les parties en présence d’exposer leurs visions sur la question, sans oublier de blâmer leurs opposants. «Le régime veut parler de terrorisme. Affamer la population jusqu’à la mort, la torture et la prison, c’est du terrorisme», a affirmé l’opposition en séance, ajoutant: «Le plus grand terroriste en Syrie, c’est Bachar el-Assad». La délégation gouvernementale a présenté, quant à elle, un communiqué appelant à l’«arrêt du financement, de l’armement et de l’entraînement des terroristes», assimilant les rebelles à des terroristes. En quittant le siège des Nations unies, face à des manifestants lui témoignant leur soutien, le ministre syrien de l’Information, Omran el-Zohbi, a même répété et affirmé qu’il ne ferait aucune concession à l’opposition. «Ni dans ce round, ni dans le prochain, ils [les adversaires du régime] ne pourront obtenir de la délégation syrienne aucune concession. Ils n’obtiendront pas par la politique ce qu’ils n’ont pas pu avoir par la force».

 

Dialogue de sourds
Ces scènes de diatribes violentes, entendues le dernier jour des négociations, ont mis fin à l’espoir des plus optimistes de voir un accord sortir in extremis de cette première rencontre. Tout du moins, elles ont souligné la largeur du fossé qui sépare régime et opposition, ainsi que la longueur du chemin qui doit être parcouru pour arriver à une solution politique du conflit, qui frappe la Syrie depuis trois ans maintenant et a fait plus de 136 000 morts.
Avant de clore la première manche, Lakhdar Brahimi a égrené dix points qui justifient, selon lui, de ne pas désespérer du processus en cours. Pour l’Algérien, «les deux camps savent qu’ils doivent conclure un accord sur la formation d’une instance de gouvernement transitoire («TGB», «transitional governing body» en anglais) dotée des pleins pouvoirs», comme le prévoit le communiqué dit de Genève 1, fruit d’un compromis russo-américain scellé en juin 2012.
Certes, sous la pression de l’événement, la délégation syrienne a fini par accepter de se référer à ce texte, cité dans la lettre d’invitation de Ban Ki-Moon, le secrétaire général des Nations unies. Mais les informations qui ont filtré des séances de négociations montrent qu’opposants et loyalistes continuent d’en faire une interprétation diamétralement opposée.
Les premiers, soutenus par les grandes puissances occidentales, préfèrent parler d’instance plutôt que de gouvernement, englobant ainsi les prérogatives réservées au gouvernement et à la présidence, évinçant par la même occasion Bachar el-Assad. Les seconds, encouragés par le Kremlin, balaient ces subtilités sémantiques, considérant le TGB comme au mieux un gouvernement d’union, s’ouvrant à d’autres forces d’opposition, mais toujours sous l’autorité de l’actuel raïs.
Si la transition politique demeure l’épée de Damoclès des négociations, la simple rencontre entre les deux camps, une première depuis trois ans, a permis de débloquer l’alarmante situation humanitaire.
Le 6 février, soit moins d’une semaine après la fin du premier round des négociations, le régime syrien a signé un accord temporaire avec l’Onu établissant, dès le lendemain et pour trois jours, un cessez-le-feu dans la vieille ville de Homs, troisième ville de Syrie et bastion de la rébellion, bombardée depuis dix-huit mois par le régime.
Ainsi, l’Onu et le Croissant-Rouge ont pu faire évacuer 1 600 civils et approvisionner en matériel et nourriture d’urgence les habitants désirant rester sur place. L’opération avait failli être annulée samedi après une violation de la trêve qui a retardé l’acheminement d’une aide d’urgence et l’évacuation des civils qui le souhaitaient. Des obus de mortier ont fait cinq morts dans les quartiers tenus par l’armée. Du côté du régime, l’agence de presse syrienne officielle a accusé des groupes terroristes armés d’être à l’origine des tirs. Côté opposition, les militants affirment que c’est le régime qui a bombardé le convoi. Si cette opération d’évacuation et d’approvisionnement est une première, et donc une relative réussite, un responsable de l’Onu sur place parle d’une «goutte d’eau». Car ces 1 600 évacués ne doivent pas faire oublier les deux millions de réfugiés dans les pays voisins et les six millions de déplacés à l’intérieur même de la Syrie. Selon l’Onu, 9,3 millions de Syriens – plus du tiers de la population – ont besoin d’une aide humanitaire dont l’acheminement se heurte aux difficultés liées à la guerre et aux obstacles bureaucratiques émanant du gouvernement syrien.
Fort de son relatif succès à Homs, l’action humanitaire est devenue le cheval de Troie des négociations. Pour les parrains de Genève II, comme la France, l’humanitaire peut être un moyen de trouver des points d’accord, avant d’aborder les sujets qui fâchent et ravivent les passions, comme la transition politique et le départ de Bachar el-Assad. «Nous demandons qu’il y ait une action beaucoup plus forte en ce qui concerne l’humanitaire et qu’on ouvre les villes aux médicaments et aux vivres. Il est absolument scandaleux qu’on discute depuis déjà pas mal de temps et qu’on continue à affamer les populations tous les jours. En liaison avec d’autres pays, nous allons déposer une résolution aux Nations unies en ce sens», a déclaré le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, au micro de la radio française RTL le lundi 10, jour de la reprise du dialogue entre opposition et autorité syriennes. La France s’associe donc à un projet de résolution déposé par la Jordanie, l’Australie et le Luxembourg.
Cette attitude proactive des puissances occidentales coïncide également avec l’agacement de l’opposition, qui, ne voyant pas de résultats tangibles sortir des négociations, menace de s’en retirer. «S’il n’y a aucun progrès, je pense que ce serait une perte de temps d’envisager un troisième round», a déclaré le porte-parole de l’opposition, Louay Safi, au deuxième jour du second round des négociations, le 11 février.
Au sein du Conseil de sécurité de l’Onu, on guettera l’attitude de la Russie, puissant allié de Bachar el-Assad. La Russie, qui a jugé la semaine dernière «inopportune» l’idée d’une résolution humanitaire sur la Syrie, s’appuyant sur le succès de l’opération à Homs. Elle veut prouver que ce type d’accord conclu localement fonctionne et qu’il n’est pas utile de voter une résolution humanitaire au Conseil de sécurité, comme le veulent les Occidentaux.
Le dialogue est relancé, qui plus est sur des questions vitales. Reste à voir si les différentes parties vont conserver l’élan des accords de cessez-le-feu de Homs pour l’appliquer à d’autres villes où la situation est encore plus dramatique.

Elie-Louis Tourny

La glace se brise
Dans le sillage de l’évacuation des civils de Homs, le contact a été rétabli entre des rebelles et les autorités syriennes. 
Encouragés par la relative détente du régime qui a permis ce succès humanitaire, des combattants rebelles se sont décidés à 
rentrer en contact avec les autorités, pour négocier une réconciliation, comme cela s’est produit autour de Damas. Le gouverneur de Homs, Talal Barazi, a déclaré que 130 jeunes se sont rendus aux troupes régulières en marge de l’accord portant sur les 
populations civiles. Leur sort est incertain.

 

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