Magazine Le Mensuel

Nº 2938 du vendredi 28 février 2014

general

Saad Hariri. Les dessous de la nouvelle dynamique

Depuis plusieurs semaines, le leader naturel du Courant du futur développe un discours rassembleur, bouscule son camp, assoit son autorité, multiplie les passerelles avec ses 
adversaires et peaufine sa stature internationale. L’agenda chargé d’un futur Premier ministre qui prépare son retour au Liban après trois années d’exil?
 

Le 21 février, dans les salons tapissés de l’Ecole maronite de Rome, Saad Hariri est d’humeur joyeuse. Au sortir de son long entretien avec le patriarche Béchara Raï, le voilà qui emprunte l’appareil d’un photographe de presse pour jouer au reporter. La plaisanterie sympathique d’un homme en opération reconquête. En second rideau, ses conseillers Bassem el-Sabeh, Ghattas Khoury et Daoud Sayegh sourient. Les gardiens du temple de Rafic Hariri ne sont jamais bien loin. Les membres de sa famille, encore moins. Saad Hariri a choisi ses cousins Nader et Ahmad pour diriger son cabinet et son parti. Les cinq hommes constituent le bureau politique du Courant du futur, installé sur les quais de la Seine depuis 2011. Il y a plusieurs semaines, il a repris la direction des opérations. Après avoir tenu la dragée haute à Nabih Berry, Fouad Siniora s’est mis en retrait pour lui laisser mener les négociations gouvernementales. L’inflexion spectaculaire du premier parti sunnite du pays prend ses racines dans la reconfiguration de la carte diplomatique dans la région.

 

Riyad, la réorientation
En Arabie saoudite, le dossier syrien a changé de main. Le prince Bandar Ben Sultan, chef des puissants services de renseignements du royaume, a été remplacé par le ministre de l’Intérieur, le prince Mohammad Ben Nayef, dans la gestion de ce dossier. Officiellement, le premier s’est installé aux Etats-Unis pour s’y faire soigner. Les observateurs avisés y voient surtout une double sanction. La première, infligée par le roi Abdallah, qui lui reproche d’avoir échoué à renverser le régime de Bachar el-Assad. La
seconde, par l’Administration Obama, qui s’inquiète de la prolifération des cellules d’al-Qaïda en Syrie et au Liban. En confiant le dossier syrien au ministère de l’Intérieur, chargé donc de la lutte antiterroriste (voir encadré), le roi envoie un message fort au président américain qu’il doit recevoir dans le courant du mois de mars. La situation leur a échappé, leur mission est de la récupérer.
Nouvel objectif, contenir les organisations jihadistes et stabiliser le front libanais. Saad Hariri, le jeune protégé du royaume, est l’un des premiers à en avoir été informé. En l’invitant à se joindre à sa rencontre avec le président Michel Sleiman au mois de novembre dernier, le roi Abdallah signifiait que Hariri était toujours en première ligne. Depuis que les autorités saoudiennes lui ont confié la lourde tâche de récupérer la mise au Liban, jamais il n’avait semblé aussi présent. Après avoir perdu le contrôle de la machine islamiste en Syrie, Riyad veut pouvoir compter sur un homme de confiance, capable de mener à bien son projet. Temporairement, il s’agit d’apaiser les tensions. L’assassinat de Mohammad Chatah, perpétré le 27 décembre, sonne comme un coup de semonce: l’urgence est à la conciliation. Saad Hariri et son équipe se mettent au travail dès le début de l’année.
Le vide laissé par son départ n’a pas été comblé. Au sein de son parti, la gouvernance exercée par Fouad Siniora et l’ensemble des députés a aplati le processus de décision. A la proue du 14 mars, le leader des Forces libanaises n’a pas l’assise politique d’un Hariri. A Tripoli et à Saïda, fiefs traditionnels du Courant du futur, ses barons, qui se sont acoquinés avec la nébuleuse salafiste, religieuse et armée, sont allés beaucoup trop loin aux yeux des modérés.

 

Calmer la rue sunnite
Les consultations, autour du gouvernement de Tammam Salam, ont ouvert les canaux de négociations entre toutes les parties. Par l’intermédiaire de Fouad Siniora et de Waël Abou Faour, le message de conciliation est d’abord transmis à Nabih Berry et Walid Joumblatt. Comme Saad Hariri, ils sont guidés par la nécessité de calmer le jeu et ont pris acte de la volonté d’ouverture de l’Arabie saoudite, qui tient absolument à neutraliser le front libanais, à faire un pas en direction du Hezbollah, parrains et alliés. Le parti attrape la balle au bond. Remettre Hariri sur les rails, c’est entrevoir la possibilité d’enrayer la machine terroriste qui l’attaque dans la banlieue sud de Beyrouth et à Hermel. Mais un dialogue direct entre les deux camps est encore impossible.
Ce sont les ambassadeurs américain et européens qui proposeront à Gebran Bassil de conduire cette médiation. Le ministre, qui entretient de bonnes relations avec Nader Hariri, estime qu’elle est conforme à la volonté d’ouverture de son parti qui a entamé, il y a plusieurs mois déjà, des discussions avec les députés du Futur. Hassan Nasrallah accepte l’idée. Le leader du CPL et celui du Courant du futur se rencontrent finalement à Rome en secret au milieu du mois de janvier. La période est symbolique. C’est au moment où s’ouvre le procès de l’assassinat de son père, le 17 janvier de La Haye, qu’il se dit «prêt à participer à un gouvernement de coalition avec le Hezbollah». Saad Hariri devient dès lors incontournable.
Le lendemain, Hariri reçoit l’ambassadeur des Etats-Unis au Liban, David Hale. Bénédiction de Washington. Les leaders libanais, de Michel Aoun à Walid Joumblatt, en passant par Nabih Berry et Amine Gemayel, saluent un homme d’Etat. La coalition
gouvernementale prend forme. Le virage est brutal et désoriente les faucons de son camp, surtout à Maarab. Au cours de ses entretiens téléphoniques avec Saad Hariri, Samir Geagea a exprimé l’inquiétude des sympathisants des Forces libanaises et du public acquis au 14 mars. En parlant pour eux, il parle de lui. Mais Saad Hariri le sait, il a tout une frange de son électorat naturel à convaincre.
Les discours condamnant aussi bien la présence combattante du Hezbollah en Syrie que les agissements du régime Assad, puis les garanties symbolisées par la présence d’Achraf Rifi dans le gouvernement, qu’il a œuvré à former, suffisent pour le moment à faire passer la pilule. «Il existe un désaccord fondamental avec le Hezbollah, mais il y a un pays et un peuple, et un rôle politique que nous devons jouer», disait-il ce lundi. Aux sceptiques, Saad Hariri laisse entendre qu’il s’agit d’une période transitoire. Les plus réfractaires peuvent se raccrocher au fait qu’il donne le sentiment
de revenir aux affaires.
Le 19 février, Saad Hariri s’est rendu en Egypte où il a été accueilli comme un véritable chef d’Etat. Il a tour à tour été reçu par le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, le maréchal Abdel-Fattah el-Sissi, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmi, le président par intérim, Adly Mansour, le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Arabi et le chef de l’Eglise copte, Tawadros II. Plusieurs semaines avant, il rencontrait le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, et le président français, François Hollande. Un agenda qui ressemble à s’y méprendre à celui d’un Premier ministre en exercice.
Sa stature étant posée, Saad Hariri prépare la prochaine échéance. La suite, ce sont les élections présidentielles. «Nous n’accepterons pas de vacance à la présidence de la République. Point à la ligne. L’élection présidentielle doit avoir lieu dans les délais et nous ferons tout pour qu’elle ait lieu», déclarait-il en Egypte, avant d’assurer qu’il ne sera pas absent de ce débat, «j’en serai même au cœur». Hariri affiche une assurance à double tranchant. Après Le Caire, il s’est donc rendu à Rome pour y rencontrer le patriarche Raï. Dans les cercles autorisés, on reconstitue le puzzle. Aoun et Hariri se sont-ils mis d’accord pour un soutien mutuel à l’horizon des présidentielles? Non, répond le leader du Futur, «il y aura un candidat du 
14 mars à la présidentielle, puis nous verrons comment iront les choses», dira-t-il.
Le scénario est pourtant alléchant. L’éventualité d’un retour au Liban de Saad Hariri est savamment entretenue (voir encadré). Les hommes forts des trois communautés à la tête du trident institutionnel, le Hezbollah et ses alliés y verraient de nombreux avantages. Berry et Joumblatt, qui rêvent d’un accord global entre Riyad et Téhéran, également. Mais en quelques mois, la donne peut changer. La nouvelle dynamique Hariri le démontre. 


Julien Abi Ramia

Un retour? Pas dans l’immédiat
Interrogé il y a quelques jours sur la chaîne égyptienne CBC sur la 
possibilité d’un retour d’exil, Hariri a répondu que «le risque était grand». «Ceux qui ont tué Rafic Hariri peuvent aussi tuer Saad Hariri. Ce que nous essayons de faire est de préserver la voie du Premier ministre martyr. Mon retour au Liban dépend du moment politique et sécuritaire approprié. Nous avons des élections présidentielles qui doivent se tenir et je vais être au cœur de cet événement. Je ne vais pas fixer de date précise pour mon retour au Liban parce que le danger existe, mais ce sera très bientôt». Deux mois plus tôt, sur Europe 1, il évoquait l’automne 2014 comme possible échéance.

Rempart contre le terrorisme
«Nous nous opposerons aux douteux appels visant à entraîner les Libanais, en particulier les sunnites, dans des guerres folles sans autre utilité que de pousser le Liban dans un holocauste religieux», déclarait Saad Hariri le 14 février dernier. Des propos qui montrent la volonté de l’ancien Premier ministre de 
réaffirmer son autorité sur la population 
sunnite libanaise dont une partie subit 
l’influence croissante de groupes radicaux combattant sur le front syrien. Après avoir tenté de suivre le mouvement lancé par Ahmad Assir, le Courant du futur tient aujourd’hui à se démarquer. «Tout comme le Courant du futur rejette l’exemple du Hezbollah, nous rejetons celui de l’EIIL et du Front al-Nosra, et tout appel visant à impliquer les sunnites du Liban dans la guerre entre le Hezbollah et al-Qaïda».
Un changement qui se matérialise désormais jusqu’au sein des services de renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) dont la feuille de mission intègre la lutte contre le terrorisme islamiste en tête de leurs priorités. Autre signe, le message de condoléances de Saad Hariri adressé au commandant en chef de l’Armée libanaise, le général Jean Kahwagi, après l’attentat du Hermel qui a causé la mort de deux soldats. 

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