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Nº 2939 du vendredi 7 mars 2014

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Tais-toi et creuse de Hala Moughanie. «La survie est plus importante que le vivre ensemble»

L’histoire? «Dans une décharge, un père, une mère et leur fils s’affairent autour d’un trou. Chacun y trouve ce qu’il cherche… jusqu’à l’arrivée de deux représentants de l’ordre qui bouleversent un équilibre familial déjà précaire». 
Interview de Hala Moughanie, auteure de la pièce de théâtre. Tais-toi et creuse.

L’action principale de votre pièce se passe autour d’un trou qui sert de décharge. Pourquoi ce choix?
La symbolique de ce trou, c’est avant tout un trou de mémoire. Ça peut être aussi un trou causé par un obus. Le trou renvoie forcément à un vide. Toute l’histoire se déroule autour de personnages qui ont des manques à remplir. C’est avant tout une question de mémoire. J’ai commencé à écrire ce texte en mai 2006. Pendant que je l’écrivais, Israël a attaqué le Liban et il y a eu la guerre de juillet. Donc, finalement, mon premier objectif, c’est de parler de ce que la guerre laisse comme souffrance, et surtout de la nécessité d’évoquer cette souffrance. Le fait d’avoir vécu une énième guerre pendant l’écriture m’a obligée à prendre en considération le moment que je vivais en ce juillet 2006, et à parler de mon expérience liée à mon travail avec des organismes internationaux, avec la vie sociale au Liban au-delà de la guerre. J’avais envie de décrire la fragilité humaine, que ce soit à l’intérieur d’une cellule familiale ou dans le cadre de relations amoureuses, filiales ou sociales, dans un pays où on venait de sortir d’une situation sécuritaire d’une lourdeur de plomb, puisque le retrait syrien venait de se dérouler.

Les rapports entre les membres de cette famille semblent conflictuels, presque malsains. Est-ce l’image que vous avez des rapports familiaux?
Je suis convaincue que toute relation humaine implique une forme de violence. La cellule familiale est le premier espace où chaque individu fait son expérience des rapports humains. C’est le premier espace qui nous oblige à faire des concessions. Et ce sont justement ces concessions qui ouvrent la voie à l’apprentissage de la souffrance, parce qu’obligatoirement, on vit des frustrations, symboliquement. La famille, c’est ce lieu de contact obligé entre les personnes qui, à la base, n’ont rien demandé. Dans une situation de survie comme celle que vivent les personnages, les tensions sont exacerbées et la survie individuelle est plus importante que l’envie de vivre ensemble. Je pense qu’en ce sens, cette famille représente la nation libanaise: nous aimerions vivre ensemble, mais pour une multitude de raisons intrinsèques et externes, nous n’y arrivons pas. Il y a plusieurs approches possibles pour comprendre les personnages. Je ne suis pas une adepte de l’approche «psychologisante» qui estime que des personnages inventés ont une psychologie au même titre qu’un être humain réel. Je préfère considérer que chaque personnage est vecteur d’un message. Chaque personnage de ma pièce représente une idée phare. Le père, c’est la caricature du Libanais commerçant. La mère est une espèce de femme-caméléon qui vacille entre la conscience qu’elle a de sa fragilité et la frivolité qu’elle s’oblige à feindre pour garantir que ses relations avec les autres ne la condamnent pas. Le fils, lui, a son propre univers et est obsédé par la question de la mémoire. C’est la personne la plus authentique et sincère d’entre eux tous. De l’autre côté, les deux policiers représentent l’état policier et sécuritaire.

Pourquoi avez-vous voulu vous exprimer à travers une pièce de théâtre?
J’avais tellement de choses différentes à dire. J’avais tellement d’univers différents à transmettre, que la forme théâtrale s’est imposée de manière évidente. D’autant plus que, contrairement au roman, le théâtre permet de faire des pauses, d’avoir des hésitations, de créer une attente différente. Puis finalement, une pièce de théâtre a pour objectif d’être mise en scène. J’avais envie que cette écriture soit mise face à la société et l’oblige à se regarder. 

Propos recueillis par Danièle Gergès

Bio en bref
Hala Moughanie a été journaliste et a 
travaillé dans des organismes humanitaires. Actuellement, elle travaille dans la 
coopération internationale. Elle s’occupe de concevoir des stratégies publiques et des projets de développement avec des 
organismes internationaux. Tais-toi et creuse est sa première pièce de théâtre éditée aux éditions Arcane, fondées en 2013. Sa mission est de promouvoir de jeunes auteurs libanais sur le plan local et international.

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