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Nº 2941 du vendredi 21 mars 2014

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L’armée syrienne reprend Yabroud. Un revers psychologique et militaire pour les rebelles

Yabroud est finalement tombée aux mains du régime syrien ce week-end. L’appui des combattants du Hezbollah aura été crucial dans cette victoire, qui coupe un peu plus les ailes à une rébellion divisée, tout en redonnant de l’air au conduit alaouite cher à Bachar el-Assad.

Nombreux étaient ceux qui prédisaient une bataille de longue haleine à Yabroud, fief tenu par plusieurs factions islamistes, dont le Front al-Nosra, proche d’al-Qaïda. Une bataille où l’issue était encore incertaine, comme ce fut longtemps le cas à Qoussair. En cause notamment, la topographie complexe de la région, formée de montagnes et de collines surplombant les deux côtés de la frontière libano-syrienne, ou encore l’important déploiement de forces de plusieurs factions islamistes. Les jihadistes avaient d’ailleurs juré de se battre jusqu’au bout et de «transformer Yabroud en cimetière pour les assaillants». Autant d’éléments qui confèrent à la prise de Yabroud par le régime une dimension encore plus importante, stratégiquement parlant. Rappelons que cette ville était passée sous contrôle des rebelles aux premiers jours du soulèvement lancé le 15 mars 2011. Yabroud était alors considérée comme un bastion stratégique de par sa proximité avec la frontière libanaise d’une part et d’autre part, de l’autoroute reliant Homs à Damas, en faisant un axe de transit idéal pour les combattants rebelles et les armes.
La bataille du Qalamoun, au sein duquel se positionne Yabroud, avait commencé déjà depuis plusieurs semaines. Plusieurs brigades islamistes défendaient la ville bec et ongles, aux côtés des combattants du Front al-Nosra, tandis que l’armée régulière syrienne et le Hezbollah pilonnaient sans relâche. A cela s’ajoutaient des raids aériens intensifs.
Mais la semaine dernière, les événements se sont accélérés. Vendredi, une source militaire affirmait ainsi à l’AFP que les forces loyalistes étaient parvenues à pénétrer dans Yabroud par l’entrée est. L’armée «avance dans la rue principale de la ville. Les rebelles fuient vers Rankous», une localité située au sud de Yabroud, indiquait cette source. Un officier syrien précisera plus tard: «Ce fut la bataille la plus difficile que nous avons menée, car les rebelles se trouvaient dans la montagne qui entoure la ville et dans les immeubles de Yabroud. Il a fallu d’abord s’occuper des collines puis, samedi, nous sommes entrés par l’est de la ville jusqu’au centre sportif et aujourd’hui (dimanche) nous avons fini le travail».
L’armée de Bachar el-Assad, soutenue avec force par les combattants du Hezbollah, prend donc le contrôle de l’ensemble des collines surplombant la ville. Une victoire cruciale pour la prise complète de cette localité qui comptait quelque trente mille âmes avant la guerre. De ces hauteurs, armée syrienne et Hezbollah s’infiltrent à l’est et au nord-est de Yabroud. Une stratégie visiblement gagnante, avec une présence des combattants du parti de Dieu, d’unités d’infanterie et de chars, au sol, tandis que l’aviation syrienne les appuie depuis les airs.
Au fil des heures, le plus grand hôpital de campagne des rebelles, mais aussi des bases importantes de l’opposition sont occupés. Dimanche, les soldats syriens ratissent les rues de la ville, tandis que des unités spéciales procèdent au désamorçage des nombreux engins explosifs laissés par les rebelles.
Selon une source proche du Hezbollah dans la Békaa, le dernier assaut a été rapide grâce à une opération audacieuse menée par un commando de la Résistance libanaise. Des hommes hyper entraînés pour la guérilla urbaine. Dans la bataille, pas moins de treize chefs rebelles auraient été tués, portant un coup fatal aux derniers combattants présents à Yabroud.
S’il ne faut pas négliger la puissance de feu déployée par l’armée régulière associée à celle du Hezbollah, une autre raison permet aussi d’expliquer la chute de Yabroud. La prise de la ville aura en effet été précédée par une débandade généralisée − et assez effarante − des rebelles durant les affrontements.
A l’origine de ce sauve-qui-peut, des désaccords entre les différentes factions présentes concernant le retrait ou le maintien de leurs forces face au régime. Incapables une nouvelle fois de s’entendre, ces factions n’ont cessé de s’accuser mutuellement de trahison, de lâcheté, sur le terrain, mais aussi sur les réseaux sociaux. Le Front al-Nosra, partisan de la défense de Yabroud jusqu’à la mort, est même allé jusqu’à accuser d’autres groupes rivaux d’avoir purement et simplement livré Yabroud sur un plateau au régime de Bachar el-Assad. Et se demandant aussi si la ville n’avait pas été monnayée par certains. Un des combattants du Front al-Nosra témoignait ainsi sur sa page Facebook du retrait par surprise de certains rebelles, laissant les jihadistes seuls face aux forces du régime dimanche. Selon le site syrien Slab News, repris par la chaîne al-Manar, dès le vendredi, le Front al-Nosra s’est retrouvé à court de combattants. «Ils ont lancé un appel à l’aide aux forces de Jaïch el-Islam, colonne vertébrale du Front islamique». Mais les renforts n’arrivent pas. Ceux-ci préfèrent en effet fuir Yabroud pour se replier vers Rankous, Flita, ainsi que dans quelques fermes du massif du Qalamoun, qui échappent encore au contrôle du régime.

Coup dur pour l’opposition
Côté pertes, le week-end aura été très rude pour les différentes factions de l’opposition. «Nous avons tué leurs principaux chefs et ils ont été complètement déroutés», commentait dimanche un commandant syrien de l’armée régulière, à l’AFP. Parmi eux, Abou Azzam el-Koweïti, un Koweïtien considéré le numéro 2 du Front al-Nosra au Qalamoun, tué dans des combats, dès vendredi. Parmi ses faits d’armes, son rôle dans la libération des treize religieuses du couvent de Maaloula, enlevées en décembre et retenues à Yabroud. Le numéro 1 de l’organisation islamiste dans la région, Abou Malek, aurait été grièvement blessé dans les combats.
Le géographe français et expert de la Syrie au Gremmo (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), Fabrice Balanche, explique à Magazine que, malgré les apparences, «la chute de Yabroud a été plus lente que celle du Qoussair, mais moins médiatisée, ce qui a donné cette impression de rapidité».
«Les forces du régime ont commencé à encercler Yabroud en décembre 2013 après la reprise de Qara, Deir Atié et Nabek. Il semble que l’offensive finale ait été retardée par l’enlèvement des moniales de Maaloula incarcérées à Yabroud. Les rebelles ont fait semblant de négocier la libération de prisonniers, alors qu’ils se servaient principalement des nonnes comme bouclier humain. Il s’agissait d’éviter le bombardement de la ville par l’armée syrienne et d’obtenir un corridor pour fuir vers le Liban». Balanche ajoute que «contrairement à Qoussair, il y a eu d’intenses négociations entre l’armée et les rebelles pour que ces derniers évacuent la ville. Ils savaient de toute façon qu’ils n’avaient aucun soutien à attendre de l’extérieur. Il semble que les vocations de martyr chez les jihadistes d’al-Nosra soient de plus en plus rares».
Quant à la fuite de nombreux rebelles vers le Liban − certaines sources parlent de mille hommes −, Fabrice Balanche estime que «beaucoup ont saisi cette chance, car Qoussair a fait jurisprudence». D’un autre côté, il souligne que «Bachar el-Assad a besoin de marquer le troisième anniversaire de la révolte par une victoire symbolique. La contre-insurrection est aussi une guerre psychologique».
La prise de Yabroud constitue en effet un vrai coup dur pour l’opposition, déjà très divisée, tant militairement que politiquement. Car c’est par là que transitaient les combattants autant que les armes depuis et vers le Liban.
Fabrice Balanche ajoute que, désormais, «la frontière syro-libanaise est presque complètement entre les mains de l’armée syrienne. Cela signifie qu’il sera difficile, voire impossible pour les rebelles réfugiés au Liban de se battre en Syrie». Avec un revers de la médaille qui pourrait être tragique pour le Pays du Cèdre. «On peut s’attendre à les voir retourner leurs armes contre les alliés du régime syrien au Liban», souligne-t-il. Toutefois, le géographe se montre sceptique quant aux affirmations du Hezbollah qui accusait Yabroud d’être la base arrière des terroristes à l’origine des voitures piégées. «Venaient-elles réellement de là?», s’interroge Balanche. «Il est tout de même risqué de préparer une voiture piégée en Syrie, de lui faire traverser l’Anti-Liban par des routes cahoteuses pour finir dans le Hermel ou dans la banlieue sud de Beyrouth». Pour lui, «la réduction des attentats à la voiture piégée est plutôt due au démantèlement du réseau terroriste qu’à la fermeture de la frontière».
La perte de Yabroud prive aussi les factions rebelles de bases importantes. «Avec la reprise de Yabroud, l’axe autoroutier Damas-Homs est complètement sécurisé. L’autoroute était ouverte, mais il existait toujours le risque d’une attaque et d’infiltration dans les localités voisines de Nabek ou Deir Atié», avance Fabrice Balanche. «Les rebelles n’ont plus de base pour attaquer Damas par le nord non plus. Le régime peut donc poursuivre tranquillement sa stratégie d’étouffement des poches rebelles de la Ghouta et de la banlieue de Damas. Il lui sera également plus facile de contrer une éventuelle offensive en provenance de Jordanie».
Aussi cruciale qu’elle soit, la prise de Yabroud ne devrait pas pour autant rebattre les cartes du conflit. Fabrice Balanche indique que l’objectif de l’armée syrienne, jusqu’à l’été, consiste à «éliminer les poches rebelles qui se trouvent dans la zone qu’elle contrôle. Le processus de reprise du territoire par le régime est en cours, lentement mais sûrement». Assurant, en outre, la sécurisation d’un vaste couloir allant de Damas à la Méditerranée.
Quant aux rebelles, note le chercheur, la chute de Yabroud ainsi que celle, l’an dernier, du Qoussair, «ne font que confirmer l’incapacité des rebelles à s’organiser en une véritable structure militaire malgré toute l’aide extérieure qu’ils reçoivent».

Jenny Saleh

La présidentielle en été
Si Bachar el-Assad ne s’est pas encore officiellement porté candidat, l’élection présidentielle devrait se tenir courant juillet, son mandat s’achevant le 
17 du même mois. Les électeurs doivent 
théoriquement être convoqués aux urnes entre 
60 et 90 jours avant le 17 juillet.
Entre-temps, le Parlement syrien a voté une loi, le 13 mars, ouvrant la voie à sa réélection. Car cette loi stipule que chaque candidat «doit avoir vécu en Syrie pendant une période de dix ans de manière continue, au moment de présenter sa candidature». Excluant de fait les personnalités issues de la Coalition de 
l’opposition installées à Istanbul.
Ce nouveau pied de nez du pouvoir en place a suscité les critiques du médiateur international Lakhdar Brahimi. Selon lui, cela torpillerait les négociations de paix entre régime et opposition, après deux tentatives infructueuses à Genève.

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