Magazine Le Mensuel

Nº 2942 du vendredi 28 mars 2014

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Election présidentielle. Le vide, candidat favori

Trois jours après le début du délai constitutionnel pour l’élection d’un nouveau président de la République, un flou total entoure le sort de cette échéance, cruciale pour la stabilité du Liban. Si certains acteurs ont exprimé des positions claires, la plupart continuent de dissimuler leur jeu et de cacher leurs véritables intentions. Le candidat favori reste le vide… jusqu’à nouvel ordre.

Le plus sincère entre tous est, probablement, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Depuis des mois, le prélat insiste sur la nécessité d’organiser l’élection présidentielle à la date prévue, c’est-à-dire entre le 25 mars et le 25 mai. Mardi, Mgr Raï a exercé des pressions on ne peut plus explicites sur le président de la Chambre, Nabih Berry, l’invitant à convoquer, dès lundi prochain, une séance pour élire le nouveau président. «La Chambre doit se réunir le plus vite possible afin d’éviter le vide à la présidence. Il ne faut pas attendre le dernier jour du délai constitutionnel», a-t-il insisté.
Pour le chef de l’Eglise maronite, «il est important d’organiser le premier tour de la présidentielle le plus rapidement possible». Selon lui, «la tenue d’un premier tour est nécessaire pour avoir le temps de choisir un président capable d’assumer ses responsabilités».
Contrairement à son prédécesseur, Mgr Nasrallah Sfeir, qui avait proposé, en 2007, une liste de cinq présidentiables potentiels, le patriarche Raï refuse catégoriquement d’entrer dans le jeu des noms. «Il ne me revient pas de proposer le nom du président, c’est aux partis politiques et aux Libanais de trouver le candidat convenable», a-t-il ajouté. Cela ne l’empêche pas de pointer ce qu’il considère être la principale caractéristique du futur chef de l’Etat. «Un nouveau président qui nous unit et qui sait communiquer avec tous les protagonistes», souligne-t-il. Ceci ne signifie pas que, dans son for intérieur, le chef de l’Eglise maronite n’a pas de préférence pour certaines personnalités. D’aucuns affirment que l’ancien ministre de l’Intérieur, Ziad Baroud, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et d’autres encore, ont les faveurs du patriarche. Mais il se garde bien de l’exprimer, aussi bien en public qu’en privé, car pour lui, la priorité absolue doit aller à l’organisation de l’élection dans les délais constitutionnels. Des sources ecclésiastiques expliquent cette insistance par la crainte de l’installation du vide au niveau de la première magistrature de l’Etat. Un tel scénario pourrait en effet déboucher, à la lumière des bouleversements régionaux actuels, sur un remodelage du système politique libanais (un nouveau Taëf?), qui remettrait en question l’attribution de la présidence à la communauté chrétienne. Il est donc primordial, dans ces circonstances bien particulières, qu’un président soit élu le plus tôt possible, afin de ne pas créer un fait accompli qui risquerait de faire jurisprudence, dans le cadre d’une redistribution des pouvoirs au Liban.

 

Des candidats «forts»
La présidentielle 2014 se présente sous un angle différent des autres élections tenues depuis Taëf, dans la mesure où les deux personnalités politiques les plus représentatives de la communauté chrétienne, Michel Aoun et Samir Geagea, ont clairement exprimé, avant tous les autres, leur volonté de briguer la présidence.
Même si le discours des deux hommes s’articule autour de la thématique du «président fort», leur approche et leur interprétation de cette «force» sont loin d’être identiques.
Pour le chef du Courant patriotique libre (CPL), la force du président découle de sa représentativité au sein de sa communauté, qui lui confère une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des deux autres pôles du pouvoir, le chef du gouvernement et le président du Parlement, qui sont généralement choisis parmi les partis les plus représentatifs de leurs communautés respectives. Il devrait en être de même pour le président chrétien, martèle Michel Aoun.
Soucieux de se débarrasser de l’image du candidat partisan, et de se présenter en homme «qui unit et qui sait communiquer avec tous les protagonistes», comme le préconise le patriarche Raï, le général Aoun, s’est démarqué du 8 mars, plus particulièrement du Hezbollah, tout en maintenant une alliance solide avec ce parti. Il a ainsi ouvert un dialogue direct avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri, qu’il a rencontré à Rome, et a adopté des positions médianes sur de nombreuses questions, notamment lors de la déclaration ministérielle. Il a aussi amélioré ses relations avec les Américains, dont il reçoit l’ambassadeur David Hale régulièrement. Les deux hommes semblent s’apprécier et discutent de tous les sujets sans interdits. Une petite phrase lancée dans une interview accordée à la chaîne de télévision panarabe al-Hadath, la semaine dernière, donne une idée claire de l’état d’esprit du chef du CPL: «Lorsque Israël a attaqué le Hezbollah, j’étais aux côtés du Hezb. Lorsque la Syrie voulait poursuivre les députés Walid Joumblatt et Marwan Hamadé, j’ai pris leur parti. Maintenant, je veux être avec moi-même».
Des sources bien informées affirment que le général Aoun a fait part au secrétaire général du Hezbollah, qu’il a rencontré début décembre, de son intention d’initier une politique d’ouverture avec les acteurs locaux et externes, en prévision de la présidentielle. Hassan Nasrallah l’y aurait encouragé. Et malgré tout ce qui se dit, le Hezbollah appuierait la candidature du général Aoun à la présidence de la République et il pourrait l’annoncer publiquement le moment venu.
Samir Geagea a également plaidé pour l’élection d’un «président fort». Mais cette force doit se manifester aussi bien face aux adversaires qu’aux alliés. Pour le chef des Forces libanaises, «les Libanais ont besoin d’un président qui ne fait pas de compromis et qui prend des positions fermes et courageuses». Geagea se déclare donc opposé à l’élection d’un candidat consensuel. Selon lui, le président ne doit pas être élu «pour se construire un leadership», mais pour appliquer «une vision claire pour le Liban, basée sur les visées politiques légitimes du 14 mars».
Ce qui signifie que le prochain chef de l’Etat doit posséder une assise populaire et doit être du 14 mars, ce qui écarte, d’emblée, la plupart des prétendants issus de cette alliance. Les caractéristiques qu’il a dressées du prochain président s’appliquent, surtout, à sa propre personne.
Il est clair que la candidature prématurée de Samir Geagea n’est pas seulement dirigée contre ses adversaires politiques, notamment Michel Aoun, mais contre les personnalités de son propre camp. Il veut mettre Saad Hariri au pied du mur, en l’obligeant à appuyer sa candidature, sachant que l’ancien Premier ministre ne s’est pas encore prononcé sur un nom. Il s’est contenté de dire que le 14 mars présentera un seul candidat, ce que le patriarche Raï affirme aussi avoir entendu de la bouche du chef du Courant du futur. Pour essayer d’atténuer l’image de candidat de défi, qui lui colle à la peau, le leader des FL a fait des gestes timides en direction du Hezbollah, affirmant qu’il était disposé à «un dialogue sérieux» avec le parti. Un geste complété par les fleurs lancées par son épouse, Sethrida Geagea, dans son discours au Parlement la semaine dernière, à l’adresse du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
 

Divergences au 8 mars
Si le Hezbollah appuie la candidature du général Michel Aoun, il n’en est pas de même pour Nabih Berry. En plus de l’absence d’alchimie entre les deux hommes − pour ne
pas dire de l’antipathie qu’ils se vouent réciproquement − le chef du Mouvement Amal est un homme enclin au compromis, surtout avec les sunnites, même au détriment des chrétiens. Sa préférence va à un président consensuel, qui ne constitue un défi pour personne et qui serait accepté de tous. Son candidat idéal est l’ancien ministre Jean Obeid.
La recherche du consensus apparaît clairement dans les propos de Berry parus dans la presse, mardi, le premier jour du délai constitutionnel pour l’élection présidentielle. Le chef du Législatif a déclaré que sa priorité sera de garantir une entente permettant d’assurer le quorum des deux tiers au Parlement. Son approche est différente de celle qu’il a adoptée en 2007, lorsqu’il avait convoqué à dix-huit reprises la Chambre pour élire un successeur à Emile Lahoud, sans jamais réussir à réunir le quorum nécessaire, en raison du boycott des séances par le 8 mars et le CPL, sur fond de divergences avec le 14 mars sur le quorum réglementaire.
Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, est dans le même état d’esprit. Pour lui, le prochain président doit être un homme de consensus, accepté de tous. Jean Obeid répondrait à ces caractéristiques. Berry et Joumblatt espèrent jouer, ensemble, le rôle de balancier dans l’élection. A eux deux, ils comptent vingt-quatre députés au Parlement (dix-sept pour le bloc Berry et sept pour le bloc Joumblatt). Mais ils doivent d’abord réussir à convaincre une grande partie du 14 mars et une partie du 8 mars et du Bloc du Changement et de la Réforme. On assisterait alors à une configuration nouvelle au Parlement qui serait la suivante: le Courant du futur, les blocs Berry, Joumblatt et Sleiman Frangié (quatre députés), avec quelques indépendants du 14 mars, éliront un candidat consensuel, qui obtiendrait le meilleur score au premier tour de la présidentielle (entre soixante et 
soixante-quatre voix), sans toutefois être élu. Michel Aoun et Samir Geagea se partageraient le restant des voix. C’est sans doute l’idée qui trotte dans la tête de Berry lorsqu’il déclare: «Où est le problème s’il y a plusieurs candidats et celui qui obtiendra le moins de voix se retirera au profit de celui qui aura obtenu le plus de voix, comme cela se passe dans tous les pays du monde lorsque l’élection n’est pas tranchée au premier tour du scrutin?».
C’est sans doute le scénario le plus démocratique, mais il a peu de chance de se concrétiser, d’ici le 25 mai. Une telle reconfiguration du paysage politique nécessite des mois de préparation et des préavis qui ne se sont pas manifestés. Il est peu probable, au stade actuel, de voir une telle cassure au sein du tandem chiite, et encore moins au 14 mars. Il n’y a aucun signe précurseur qui le laisse présager. De même qu’il est improbable, comme le pensent certains, que le bloc de Hariri donne ses voix à Michel Aoun, alors que son allié Samir Geagea est candidat. Ce serait rien moins qu’une trahison. Et comme les rapports de force locaux et régionaux semblent globalement équilibrés, rien n’expliquerait l’élection du candidat de l’un des deux camps adverses. En outre, un accord sur un candidat consensuel serait difficile tant que Aoun et Geagea sont dans la course, car leurs alliés respectifs seraient trop embarrassés par la conclusion d’un tel arrangement avant le retrait de leur candidature.
Dans ce contexte, et en l’absence d’un accord préalable, aucun des deux camps politiques ne prendrait le risque d’assurer le quorum des deux tiers au Parlement, de peur qu’il ne fasse le jeu du candidat adverse, surtout que la bataille électorale est serrée et se joue à quelques voix près.
Pour toutes ces raisons, le vide semble être le scénario le plus probable dans les circonstances actuelles. Et c’est en prévision du vide que les acteurs régionaux et internationaux ont encouragé les Libanais à s’entendre sur un gouvernement de partenariat, susceptible de diriger le pays en cette période de vacance, qui pourrait durer plusieurs mois.

Paul Khalifeh

Kahwagi en outsider?
Un chercheur américain proche de 
l’Administration américaine a indiqué qu’en l’absence d’accord sur un candidat consensuel entre les différents partis libanais, Washington appuierait l’élection du commandant en chef de l’Armée libanaise, le général Jean Kahwagi, à la présidence de la République. Cependant, cette élection n’interviendrait pas avant le 25 mai, mais après une période de vide qui s’étalerait sur plusieurs mois, le temps que la situation régionale se décante et que les acteurs libanais, hostiles à l’amendement de la Constitution (notamment l’Eglise maronite), fassent preuve de plus de souplesse, de crainte que le vide ne se prolonge pendant une période indéterminée.

La prorogation dépassée
Le président de la République, Michel Sleiman, ne cesse de répéter, à qui veut bien l’entendre, qu’il ne souhaite pas la prorogation de son mandat. Il l’a encore réaffirmé, cette semaine, dans une discussion à bâtons rompus avec les journalistes qui l’accompagnaient à bord de l’avion qui l’a amené au Koweït pour participer au sommet arabe. Le chef de l’Etat a rappelé qu’il était parmi les plus farouches opposants à la prorogation du mandat du Parlement. «Si je souhaitais vraiment la prorogation de mon mandat, je n’aurais pas pris ces positions ces dernières années, a-t-il dit. Les conditions internes et externes ne sont pas favorables à la prorogation».
Cité par le quotidien al-Moustaqbal, le président Sleiman a déclaré: «le Hezbollah n’acceptera pas la prorogation du mandat. C’est impossible après les positions qu’il a prises ces derniers temps. L’élection présidentielle aura lieu, contrairement à ce que certains pensent. Moi-même ainsi que le patriarche Béchara Raï exerçons des 
pressions dans ce sens».
Selon Sleiman, le prochain chef de l’Etat sera consensuel, il ne fera partie ni d’un camp ni de l’autre, espérant que le futur président adoptera la déclaration de Baabda.
Ces déclarations n’empêchent pas les mauvaises langues du 8 mars de soupçonner Sleiman d’œuvrer à la prorogation de son mandat, voire à une reconduction. Les milieux de cette coalition soulignent ainsi que la ministre des Déplacés, Alice Chaptini (proche du chef de l’Etat), a affirmé, à deux reprises ces dernières semaines, que bien que le président Sleiman soit opposé à toute rallonge de son mandat, les circonstances que traverse le pays pourraient le pousser à changer d’avis.
Ces mêmes milieux s’étonnent du fait que le président, en fin de mandat, convoque le comité du dialogue à une réunion pour examiner la stratégie de défense nationale, sachant qu’une question aussi cruciale ne saurait être réglée en deux mois.

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