Magazine Le Mensuel

Nº 2946 du vendredi 25 avril 2014

general

Romeo Lahoud. Solide comme un roc

Rien ne prédestinait Romeo Lahoud, architecte de formation, à devenir cet artiste aux talents multiples. Il écrit des pièces de théâtre, compose des chansons et possède à son actif plus de trente-cinq comédies musicales. Derrière la célébrité et la gloire, un homme d’une grande sensibilité sur lequel le destin s’est acharné plus d’une fois. Solide comme un roc, un peu à l’image du phœnix qui renaît de ses cendres, il en est sorti chaque fois plus fort. Portrait.

Il nous reçoit à son domicile, à Achrafié, entouré de ses photos. Il nous entraîne dans les souvenirs d’une vie si riche et évoque avec une grande émotion les drames qui l’ont frappé, la perte de sa première épouse, celle de sa fille et de sa deuxième épouse. Né dans une famille politique, un père qui fut député de Jbeil et une mère «qui s’intéressait à la politique encore plus que mon père», Romeo Lahoud n’a pas choisi un parcours traditionnel. Tout jeune, il s’enfuit presque de la maison paternelle pour aller à la poursuite de ses rêves. «Mes parents voulaient que je sois un homme politique chevronné. Au début, j’étais très enthousiasmé par l’idée, mais en comprenant la politique et ses dessous, les coups bas et les retournements de chemises, j’ai changé d’avis. Tout cela ne correspondait pas à mon caractère». Elève du peintre libanais César Gemayel, il décide d’aller en France étudier la peinture. «C’est ainsi qu’à 21 ans, j’ai quitté la maison en catimini».

 

De Amchit à Paris
Il s’en souvient encore. Il est arrivé à Paris un mardi. «Le mercredi matin, j’étais le premier à faire la queue devant le musée du Louvre. Arrivé à 8 heures, j’en suis ressorti à 17 heures, bourré de complexes à la vue de toutes ces œuvres réalisées par les plus grands artistes. Je me suis juré de ne plus faire de la peinture», confie Romeo Lahoud. Inscrit à l’école des Beaux-Arts, il fait un transfert et commence des études en architecture d’intérieur. Son premier contact avec le monde du théâtre se fait grâce à un ami libanais d’origine polonaise, Olger Rakinski, dont le cousin était le premier machiniste aux Folies-Bergère. «J’ai fait alors la connaissance de la vedette, Yvonne Menard, avec qui je suis devenu très ami. Elle m’invitait souvent et j’étais très intéressé à venir voir les décors. J’étais fasciné par la rapidité avec laquelle on pouvait les changer dans une pièce si petite. Ce métier s’appelait la sténographie mécanique que je voulais apprendre à tout prix». Il se rend en Italie, dans un institut où il étudie cette matière auprès du professeur Carlo Montecamazzo. «On n’apprend pas dans les livres. Il faut travailler comme des ouvriers, clouer les planches, suspendre les rideaux. Il faut trouver des solutions à tout genre de plateaux, ceux qui sont étroits, profonds… Une fois qu’on apprend cela, on finit par connaître toutes les notions d’un plateau de théâtre et peu à peu j’ai appris la mise en scène». Selon Romeo Lahoud, le public est très dangereux. Il peut vous porter aux nues comme il peut vous briser. «Dans le monde du théâtre, on est proche du public. Quel que soit celui-ci, il devient une seule et même tête, qui rit, pleure, applaudit ou s’ennuie au même instant».
Sur ces entrefaites, Romeo Lahoud renoue avec ses parents. Il épouse la Française, Liliane Poulain, qui lui donne deux filles. Mais elle disparaît. Dominique, que le destin lui arrache aussi à 22 ans et Valérie. Il vit entre Beyrouth et Paris avant de revenir définitivement au Liban vers la fin des années 50. «J’ai acquis une culture artistique en roulant ma bosse un peu partout dans les théâtres et je suis rentré avec un bagage important. J’étais porté sur la comédie musicale qui n’existait pas en France. Il y avait les grands shows, l’époque dorée des chansonniers et des théâtres de boulevard».
Grâce à sa sœur Aline Lahoud, il fait la connaissance de Salwa el-Saïd, présidente du comité du festival de Baalbeck. «Ils voulaient changer le style du festival. Mon contrat stipulait que je devais avoir recours à une grande vedette et à toute autre personne de mon choix pour le reste». Romeo Lahoud connaît déjà Sabah, qui avait quitté le Liban et s’était installée en Egypte. «J’ai réussi à la ramener au Liban et nous avons travaillé ensemble pendant dix ans. Nous avons fait le premier festival à Baalbeck en 1963 où nous avions présenté la pièce Al Challal». La critique n’épargne pas Romeo Lahoud. On l’accuse de présenter du folklore français et de faire un défilé de mannequins. «Je voulais présenter au public mes idées. La scène est un rêve. Il fallait montrer les costumes et les décors».

 

La rencontre avec Salwa
Après Baalbeck, l’idée de faire un théâtre à Beyrouth est née. «Pierre Eddé m’a indiqué une salle vide à l’hôtel Phoenicia. Ce fut mon premier théâtre dans lequel j’ai présenté Mawwal, un spectacle qui a tenu l’affiche neuf mois sans interruption. C’était le premier théâtre permanent au Liban». Il change plusieurs fois de théâtre et de genres. «Avec le temps, on change d’idées, on ne fait plus la même chose. J’ai découvert beaucoup de nouveaux talents qui sont devenus de grandes stars tels que Walid Gholmié et Abdel-Halim Caracalla. J’ai transformé Sabah de star égyptienne en star internationale, jusqu’au moment où je me suis arrêté un peu avant la guerre. J’ai fait alors la connaissance d’Alexandra Katrib. C’est grâce à elle que j’ai découvert que sa plus jeune sœur, qui m’ouvrait la porte et allait se cacher dans sa chambre, allait devenir une grande vedette unique en son genre». Il s’aperçoit peu à peu que Salwa était différente de la fille qui l’accueillait à l’entrée de la maison.
Avec beaucoup d’émotion, Romeo évoque ces deux sœurs qui, chacune à sa manière, ont laissé une profonde empreinte dans sa vie. «Salwa aimait sa fille et sa maison. Alexandra aimait la vie, les gens. Toutes les deux avaient une belle voix, mais en écoutant Salwa chanter, au bout de vingt secondes, j’ai réalisé que j’étais en présence d’une autre personne, d’une grande vedette. Salwa s’oubliait dans ses chansons». Pour la convaincre de travailler avec lui, Romeo Lahoud a recours à sa propre mère, qu’il envoie auprès de Salwa
l’assurer de ses bonnes intentions. Résultats: quinze comédies musicales et des rôles, qui ne se ressemblaient pas, qu’elle interprétait à merveille. Pour lui, c’est un nouveau départ. Aux côtés de Salwa Katrib, participe Georgina Rizk, alors Miss Univers, à la première comédie musicale, ainsi que Tony Hanna et Abdo Yaghi qui montait pour la première fois sur scène. Après trente-trois comédies musicales et plusieurs festivals, Romeo Lahoud décide de s’arrêter. «J’estimais en avoir fait suffisamment. Il était temps que je me repose un peu et que je voyage avec ma femme. J’ai traversé des moments très durs, la perte de ma première femme, puis de ma fille. Ensuite, Alexandra est tombée malade. Nous étions très liés. Elle m’a fait promettre avant de partir de continuer à travailler après elle. Et c’est en hommage à Alexandra que j’ai repris le théâtre». C’est avec des yeux qui brillent de larmes contenues qu’il parle de cette femme tant aimée et dont les photos sont partout à la maison. «En partant, elle a emporté une partie de moi avec elle. J’ai appris beaucoup d’elle. Elle m’a appris à pardonner, ce qui est le plus difficile. Elle m’a aussi enseigné qu’être heureux ne suffit pas s’il n’y a pas la joie à la maison, ce que j’avais perdu depuis mon adolescence». Tous ces drames qui l’ont frappé se sont accumulés dans son cœur et dans sa tête. «Mais il faut continuer. La vie ne s’arrête pas. Aujourd’hui, je suis revenu avec Tarik el-Chamess, car j’en avais fait la promesse à Alexandra, mais aussi pour une jeunesse qui devient de plus en plus accro à la technologie. Internet n’est pas une éducation. Il faut qu’ils voient ce qu’est un pays, ce qu’est le Liban».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Le grand retour
«Un pays qui n’a pas de patrimoine n’a pas d’avenir. Il est condamné à mourir de froid». C’est dans cet esprit, qu’après une longue absence, Romeo Lahoud est revenu avec la pièce Tarik el-Chamess au Casino du Liban. «Je veux ramener les jeunes au théâtre, leur faire découvrir notre patrimoine, le vrai visage du Liban. Je n’aime pas critiquer ceux qui font de la politique, mais ils sont en train de construire un pays pas une patrie et c’est ce qui m’a véritablement poussé à revenir avec 0». Initialement, cette pièce avait été écrite pour Salwa, puis de nouveau, Romeo Lahoud l’a adaptée pour Aline Lahoud, la fille de Salwa Katrib, les 
circonstances en ont décidé autrement.

 

Digne fille de sa mère
On ne peut pas s’empêcher de faire la 
comparaison entre Salwa Katrib Lahoud et sa fille Aline. «Aline est plus jolie que sa mère, mais Salwa avait plus d’allure. C’est très curieux, elles ont presque la même voix. En écoutant chanter Aline, j’ai l’impression d’entendre Salwa. La mère est spécialiste du tarab, alors que la fille est spécialiste de la chanson occidentale», dit Romeo Lahoud. Evoquant sa participation à la fameuse émission The Voice, il confie: «Lorsqu’ils l’ont qualifiée de bombe libanaise, j’étais sûr qu’ils allaient la sortir».

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