Il s’appelait Harry Koundakjian, mais partout où il a passé, caméra au poing, il était connu sous le surnom du kamikaze de la photo. Passionné de son métier, il sillonnait tous les fronts de guerre, tous les pays sinistrés par un séisme, une inondation ou une guerre…
Celle du Liban n’a jamais été aussi bien racontée que par les photos de celui qui, après avoir travaillé pour son propre compte, avait intégré l’agence américaine Associated Press qu’il représentait au Liban et un peu partout dans le monde. Il n’hésitait jamais à prendre des risques pour rester au cœur de l’événement et pour le montrer dans sa réalité la plus crue. Ceux qui l’ont connu à l’époque se souviennent, entre autres, des très longues heures, qu’en professionnel chevronné, oubliant jusqu’à l’humanisme, il attendait au bas de la Grotte aux Pigeons, un suicidaire qui hésitait à faire le saut de la mort, du haut de la falaise. Il racontait avec beaucoup d’humour sa déception en voyant l’homme retrouver, peut-être le goût de la vie, ou être saisi par la peur, faire demi-tour et renoncer à se lancer dans le vide. Il n’en reste pas moins qu’il l’avait filmé sans, évidemment, utiliser la photo. Harry a vécu des aventures de tous genres. Comme par le miracle du hasard, ou grâce à sa passion du reportage photographique, il s’est trouvé très souvent sur le lieu d’un crime, avant l’arrivée de l’ambulance ou de la police, pour filmer. Un exemple est resté certainement dans la mémoire des plus de trente ans, l’attentat qui a entraîné la mort d’un homme de la famille Itani devant l’hôtel Saint-Georges où, là aussi, Harry avait précédé les forces de sécurité. Cet amour du métier, il cherchait à le communiquer aux plus jeunes qui se lançaient dans la vie, caméra au poing. Que de fois il débarquait dans les bureaux de Magazine, le mardi tard dans la soirée, à l’époque où l’hebdomadaire devait être dans les kiosques, le jeudi matin, pour nous apporter de véritables chefs-d’œuvre qui, à eux seuls, étaient des reportages de l’actualité se passant de tout commentaire. Son appareil photo, disait-il, l’accompagnerait toute sa vie et resterait avec lui même dans l’au-delà. Le parcours de Harry Koundakjian qui, très jeune, n’avait eu de cesse de démonter un appareil photographique qui lui avait été offert, tient de l’imaginaire.
«Vos photographies témoignent de façon éloquente que vous n’êtes pas un photographe dans le sens ordinaire du mot», lui avait écrit le catholicos Aram 1er en 2004. Il avait ajouté: «Grâce à vos photos, vous avez pu attraper les moments marquants des personnes et discerner au-delà des simples faits et des scènes, le message réel». Ceci résume parfaitement la carrière d’un homme qui, durant cinquante ans, a raconté la vraie vie. Toujours sur le terrain, jusqu’à son dernier souffle, il a donné un sens profond à ce que représente la photographie, non seulement pour la presse, mais pour la mémoire du monde. Disparu, aujourd’hui, Harry laisse un héritage fabuleux qui a, d’ailleurs, fait l’objet d’une vaste exposition aux Etats-Unis de cinquante de ses œuvres choisies au hasard. La sélection n’a pas été facile, mais elle valait la peine d’être faite. Harry Koundakjian manquera à la profession, à l’histoire et à ses amis. Nous avions gardé le contact avec lui tout au long de son séjour en Amérique, nous le regretterons toujours et nous partageons la douleur de sa famille.
Mouna Béchara