Magazine Le Mensuel

Nº 2947 du vendredi 2 mai 2014

à la Une

Présidentielle. Tout se joue à Paris et Riyad

En l’absence de soutien de Saad Hariri à Michel Aoun, le Courant patriotique libre et ses alliés ont provoqué un défaut de quorum qui relance la candidature de personnalités moins clivantes. Entre Paris et Riyad, l’élection «100% libanaise» s’enlise et vit ses derniers jours.

Le sort de la séance de mercredi était suspendu aux attendus de la rencontre à Paris, du leader du Courant du futur avec les ministres CPL des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et de l’Education, Elias Bou Saab. Un déjeuner de plusieurs heures a réuni les émissaires de Michel Aoun avec l’ancien Premier ministre, le seul qui puisse le porter à Baabda, sans résultat. «Les discussions avec Saad Hariri ont été positives. Nous ne voulons pas du vide, nous voulons élire un président. Toutes les options restent ouvertes. Nos bonnes relations ne se limitent pas à la présidentielle. Notre collaboration doit se poursuivre». Autrement dit, l’ouverture dans les deux sens se poursuit, le contact est maintenu. Rien n’est joué, en somme. Les échos, rapportés par les faucons du Courant du futur, réunis autour de Fouad Siniora, sont toutefois plus tranchés. Hariri aurait dit non à Aoun. Auprès du général, on rétorque que «la première séance a eu raison des ambitions présidentielles de Samir Geagea. Tant que la deuxième n’aura pas lieu, la candidature du leader du CPL reste d’actualité».
 

Tuer la candidature Aoun
Cette semaine, le peloton présidentiel est arrivé à son premier point de blocage. Tant que le leader des Forces libanaises restera le candidat du 14 mars, le 8 mars et le CPL lui opposeront le défaut de quorum. Samir Geagea aura beau crier au «déni de démocratie», à la volonté «de l’autre camp de torpiller l’élection présidentielle», sans l’assentiment du 8 mars, accéder à la présidence lui est impossible. Sans doute le savait-il déjà, car l’objectif de sa candidature était ailleurs. Il fallait à tout prix empêcher Saad Hariri de s’ouvrir davantage au CPL. En se présentant, Geagea a imposé un choix au leader naturel du Courant du futur: moi ou l’implosion du 14 mars. C’est d’ailleurs le premier argument qu’utilisent les faucons du 14 mars, autour de Siniora et les pôles chrétiens de la coalition, pour justifier l’impossibilité pour Hariri de soutenir la candidature de Aoun. Le deuxième: «Non, il ne peut pas être un candidat consensuel». Ces derniers jours, plusieurs députés du 14 mars ont fait passer ce message. «Il n’y a pas si longtemps, Michel Aoun développait des discours de haine contre les sunnites et payait à Saad Hariri un aller simple», rappellent-ils en chœur.
Le troisième est d’ordre régional. Le CPL parie sur une pax romana à grande échelle entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui se partageraient ainsi le contrôle de l’Irak, de l’Egypte, de la Syrie et du Liban, engagés dans des élections législatives ou présidentielles. Aoun-Hariri, le ticket gagnant. Les partisans de Michel Aoun appuient leur thèse sur la bienveillance de Washington et de Moscou. Au Courant du futur, on explique que l’élection de Michel Aoun dépend en premier lieu de l’Arabie saoudite, et les murmures en provenance de Riyad indiquent que le royaume n’a pas encore fait son choix. Ces derniers jours, Waël Abou Faour s’est rendu à deux reprises en Arabie: la première à Jeddah pour y rencontrer Saad Hariri, la deuxième à Riyad pour y rencontrer le chef de la diplomatie saoudienne Saoud el-Fayçal. Les responsables du pays reçoivent mais ne disent rien.
Derrière les deux mastodontes de la rue chrétienne, d’autres candidats consensuels polissent leur image, à commencer par Henri Hélou. Poussé par Walid Joumblatt, sa course présidentielle ressemble à un sans-faute jusqu’à présent. Fils de Pierre Hélou, ancien président de la Ligue maronite et pressenti pour prendre la présidence après l’assassinat de René Moawad en 1989, petit-fils de Michel Chiha, l’un des rédacteurs de la Constitution, le candidat «du dialogue et de la modération», tel que le qualifie le leader druze, présente un bon profil. «Ce n’est pas un candidat faible», assène Joumblatt. Dans les deux camps, l’homme est respecté. Pour pallier son déficit de notoriété, le député de Aley multiplie les apparitions médiatiques. Etre le candidat de Joumblatt lui assure une vraie chance. Lorsque sonnera le dernier quart d’heure qu’affectionne le chef du PSP, Henri Hélou sera le premier nom que celui-ci proposera.
Amine Gemayel, qui réclame «un président fort et capable de réunifier les Libanais», a obtenu une voix lors de la première séance. Comme Boutros Harb et Robert Ghanem, les deux autres candidats du 14 mars, le leader des Kataëb est prisonnier du soutien de son camp à Samir Geagea. Pour eux, présenter une candidature consensuelle, ce serait aller contre le candidat officiel de la coalition et même si le 14 mars venait à la soutenir, il se verrait automatiquement démonétiser aux yeux des alliés du Hezbollah.
Pour Sleiman Frangié, la donne est différente: «L’élection du président n’aura pas lieu sans entente. Je suis prêt pour la présidence et s’ils veulent quelqu’un issu des rangs du 8 mars, je serai un candidat sérieux». Tout en sous-entendant clairement que Michel Aoun n’est pas le candidat du 8 mars – donc possiblement consensuel – le leader de Zghorta valide l’idée que le prochain président sera le résultat d’une entente globale. Sur cette deuxième ligne de départ, les candidats se bousculent au portillon.

 

Les musulmans décideurs
Au Liban, la balle de la présidentielle est désormais dans le camp de Nabih Berry et du patriarche Béchara Raï. Mardi, place de l’Etoile, le président du Parlement a été interrogé avec insistance sur ses intentions subodorées il y a quelques jours, lorsqu’il a déclaré que «le classicisme de l’élection présidentielle ne durera pas longtemps». La prochaine séance est prévue pour mercredi 7 mai prochain, mais il pourrait s’agir d’un nouveau rythme. Dix jours avant la fin du mandat présidentiel, soit le 15 mai, les séances électorales pourraient avoir lieu de plein droit, sans convocation de la Chambre. Or, la Constitution ne clarifie pas le quorum requis pour ce genre de séances. La semaine prochaine, Berry va-t-il provoquer un fait accompli? Ce mercredi, les députés n’ont pas obtenu de réponses définitives.
Comme Walid Joumblatt, Nabih Berry a un candidat préférentiel en la personne de Jean Obeid. Il y a une dizaine de jours, l’ancien ministre s’est rendu à Riyad pour y rencontrer des responsables saoudiens, ainsi que Saad Hariri. Très peu d’informations ont filtré de ces entrevues. Au début du mois, il indiquait qu’il ne se considérait pas «à ce stade» candidat à la présidence, «du fait de l’absence d’opportunités à l’ombre des conditions de la compétition à l’heure actuelle».
Le patriarche veut également reprendre la main. Après une visite à Lourdes, il se dit qu’une rencontre entre le chef de l’Eglise et Saad Hariri est en préparation à Paris. Béchara Raï a clairement changé de discours ces derniers jours. Après avoir promu l’accession d’un candidat «fort», issu des rencontres organisées à Bkerké entre les quatre principaux leaders chrétiens du pays, il réclame un président «accepté de tous». A Rome, il a rajouté les épithètes de «patient» et de «sage», en s’adressant à Michel Sleiman. Sans doute va-t-il se mettre en personne en quête du futur président. Pense-t-il à Ziad Baroud? Il reste toutefois la dernière carte, celle qui signera le constat d’échec de l’impossibilité du Parlement divisé à élire un nouveau président, celle du commandant en chef de l’Armée, Jean Kahwagi, qui a l’avantage d’avoir récemment participé aux négociations de livraison d’armement pour l’Armée libanaise entre l’Arabie saoudite et la France.
«Mon gouvernement ne souhaite pas être confronté à un vide présidentiel et avoir à assumer les prérogatives d’un chef d’Etat», déclarait cette semaine le Premier ministre Tammam Salam. A force de s’accuser d’un éventuel vide, le 14 mars, en maintenant la candidature de Geagea, et ses opposants qui jouent le défaut de quorum, ont monté un dispositif vers lequel ils emmènent tout droit le pays.

Julien Abi Ramia

Sur fond de grogne sociale
Mardi, place Riad al-Solh, les syndicats se sont réunis pour protester contre la non-promulgation de la grille des salaires et les mesures étudiées pour la financer. «Nous n’acceptons pas une grille des salaires au détriment des démunis et des personnes à faible revenu. Le financement de la grille doit avoir lieu avec les fonds de la corruption», a expliqué Hanna Gharib, président du Comité de coordination syndicale (CCS). A la tribune, le président du Syndicat des enseignants des écoles privées, Nehmé Mahfoud, a prévenu qu’il était «interdit de toucher aux acquis sous la bannière des réformes».
Il s’est ensuite adressé aux députés: «La réforme réelle ne se fera pas à travers l’application des impôts sur les fonctionnaires et les ouvriers, sous prétexte de financer la grille des salaires. Mettre un terme à la corruption au port, à l’aéroport, dans les ministères, le secteur de l’électricité et d’autres permettra d’assurer le financement de la grille des salaires. La vraie réforme serait de sortir vos hommes de l’administration publique».
Le lendemain, les employés de l’Electricité du Liban (EDL), de l’Office des eaux, de la Régie libanaise des tabacs et tombacs, d’Ogero, des municipalités, du secteur de la santé et des usines commerciales et agricoles ont répondu à l’appel de la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL). Son président Ghassan Ghosn s’est lui aussi prononcé contre une augmentation des taxes.

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